— Daigne lui donner la force , répondirent la reine Selyse et ser Axell et Devan et le reste de l’assistance. Daigne lui donner le courage. Daigne lui donner la sagesse. »
Enfant, Davos avait appris des septons à prier l’Aïeule pour la sagesse, le Guerrier pour le courage, le Ferrant pour la force. Mais c’est à la Mère que s’adressaient à présent ses prières, c’est la Mère qu’il conjurait de préserver son cher Devan, son fils, du dieu diabolique de la femme rouge.
« Lord Davos ? Faudrait nous y mettre… » Ser Andrew lui toucha gentiment le coude. « Messire ? »
S’entendre donner ce titre avait beau lui faire encore l’effet d’une incongruité, Davos se détourna néanmoins de la baie. « Mouais. Il est temps. » Stannis, Mélisandre et les gens de la reine en avaient encore pour une heure au moins, de leurs patenôtres. C’était dès le crépuscule que les prêtres rouges allumaient chaque jour leurs feux, tant afin de remercier R’hllor de la journée qui s’achevait que pour le supplier de renvoyer à l’aube son soleil dissiper le rassemblement des ténèbres. Ses marées, voilà ce que doit savoir un contrebandier, ses marées et quand les saisir au collet. Et il était cela, tandis que tombait la nuit, n’était que cela, Davos le contrebandier. Sa main mutilée se porta d’elle-même à son col afin de conjurer le sort et n’y trouva rien. Il la rabattit d’un geste agacé et se mit à marcher d’un pas légèrement plus vif.
Ses compagnons se maintinrent à sa hauteur en ajustant leurs foulées sur les siennes. Il y avait là le Bâtard Séréna, avec sa face ravagée par la petite vérole et ses airs de chevalerie loqueteuse ; ser Gerald Goüer, trapu, bourru, blond ; plus grand d’une bonne tête, barbe en pelle et sourcils en broussaille bruns, ser Andrew Estremont. Trois types bien, chacun dans son genre, aux yeux de Davos. Et trois types morts, sous peu, si ça tourne à l’aigre, notre entreprise de ce soir.
« Le feu est une chose vivante, lui avait dit la femme rouge, comme il la priait de lui enseigner à lire l’avenir dans les flammes. Il est toujours en mouvement, toujours en train de changer…, tel un livre dont le texte danserait et se modifierait tandis que vous tâcheriez de le déchiffrer. Il faut des années d’entraînement pour discerner les formes au-delà des flammes, et quantité d’années supplémentaires pour apprendre à distinguer les formes de ce qui sera des formes de ce qui peut être ou des formes de ce qui fut. Et même alors, la tâche n’en est pas moins rude, rude. Mais voilà des choses que vous ne concevez pas, vous autres, natifs des terres crépusculaires. » Comme, à ces mots, Davos s’était étonné que ser Axell eût trouvé le truc, lui, si promptement, elle s’était contentée de répondre, avec un sourire énigmatique : « N’importe quel chat peut fixer un feu et voir s’y ébattre des souris rouges. »
Aux hommes du roi, ses complices, il n’avait pas plus menti là-dessus que sur le reste. « Il se peut que la femme rouge, avait-il prévenu, voie nos desseins.
— On ferait aussi bien de commencer par la tuer, dans ce cas, fut d’avis Lewys la Poissarde. Je sais un coin qu’on pourrait la ferrer, à quatre, avec des épées pointues…
— Vous nous perdriez tous, objecta Davos. Mestre Cressen a essayé de la tuer, et elle l’a su tout de suite. Par le biais de ses flammes, je parierais. J’ai comme l’impression qu’elle n’est pas longue à se douter des menaces qui pèsent sur sa propre personne, mais sûrement qu’elle ne peut pas voir tout. Si nous affectons nous-mêmes de l’ignorer, peut-être avons-nous une chance de passer inaperçus d’elle.
— Il est déshonorant de se tapir et d’agir en catimini, regimba ser Triston de Mont-Taïaut, en qui lord Guncer Solverre avait eu jusqu’à sa mort sur le bûcher de Mélisandre un vassal exemplaire.
— Est-il tellement plus honorifique de brûler ? riposta Davos. Vous avez vu périr votre maître. Est-ce au même sort que vous aspirez ? Ce n’est pas d’hommes d’honneur que j’ai besoin pour l’heure, c’est de contrebandiers. Etes-vous avec moi ou non ? »
Ils l’étaient. Les dieux soient loués, ils l’étaient.
Mestre Pylos aidait Edric Storm à se dépêtrer de ses quatre opérations quand Davos ouvrit la porte. Ser Andrew lui marchait presque sur les talons, les autres étaient demeurés en arrière pour garder la porte de la cave et l’escalier. Le mestre leva la séance : « Ce sera tout pour aujourd’hui, Edric. »
Celui-ci se montra sidéré par leur intrusion. « Lord Davos, ser Andrew… ? Nous étions en train de faire du calcul. »
Ser Andrew sourit. « Je détestais le calcul, à ton âge, cousinet.
— Je n’en raffole pas non plus. C’est l’histoire, moi, que j’aime le mieux. C’est tout plein d’anecdotes.
— Maintenant, intervint mestre Pylos, cours prendre ton manteau, Edric. Tu accompagnes lord Davos.
— Ah bon ? » Le gamin se leva. « Où est-ce qu’on va ? » Sa bouche prit un pli têtu. « Je ne viens pas, si c’est pour aller prier le Maître de la Lumière. Je suis un homme du Guerrier, moi, comme était mon père.
— Nous savons, mon gars, dit Davos, viens vite. Nous faut pas flâner. »
Edric s’emmitoufla dans un gros manteau de laine écrue muni d’un capuchon. Pylos l’aida à se l’agrafer puis lui rabattit le capuchon bien bas sur le visage. « Et vous, mestre, vous venez avec nous ? demanda le petit.
« Non. » Il toucha la chaîne aux nombreux métaux qui lui ceignait le col. « Ma place est ici, à Peyredragon. Suis lord Davos et fais ce qu’il te dira. Il est la Main du roi, n’oublie pas. Que t’ai-je dit de la Main du roi ?
— La Main parle avec la voix du Roi. »
Le jeune mestre sourit. « Voilà. Va, maintenant. »
Davos s’était d’abord quelque peu défié de lui. Peut-être parce qu’il lui en voulait d’avoir pris la place du vieux Cressen. Mais force lui était désormais d’admirer son courage. Se pourrait qu’il y joue sa vie, lui aussi.
Sur le palier du mestre se trouvait à les attendre ser Gerald Goüer. Edric Storm le lorgna d’un œil curieux. Puis, comme on commençait à descendre, il demanda : « Où est-ce qu’on va, lord Davos ?
— Au bord de l’eau. Tu vas prendre un bateau. »
Le gamin s’immobilisa brusquement. « Un bateau ?
— Un bateau de Sladhor Saan. Sla est un bon ami à moi.
— Je vais m’embarquer avec toi, cousin, le rassura ser Andrew. Il n’y a pas de raison d’avoir peur.
— Mais je n’ai pas peur ! s’indigna Edric. Il y a simplement que… est-ce que Shôren vient aussi ?
— Non, répondit Davos. La princesse doit rester ici, avec ses père et mère.
— Je dois la voir, alors, expliqua le petit. Lui faire mes adieux. Sinon, elle sera triste. »
Beaucoup moins que si elle te voit brûler. « Pas le temps, répliqua Davos. Je vous promets de dire à la princesse que vous pensiez à elle. Et vous pourrez lui écrire, une fois là où vous allez. »
Edric se renfrogna. « Vous êtes vraiment sûr que je dois partir ? Pourquoi mon oncle me renverrait-il de Peyredragon ? Lui aurais-je déplu ? Je n’en ai jamais eu l’intention. » Sa mine butée reparut. « Je veux voir mon oncle. Je veux voir Sa Majesté Stannis. »
Ser Andrew et ser Gerald échangèrent un coup d’œil. « Nous n’en avons pas le temps, cousin, dit ser Andrew.
— Je veux le voir ! répéta Edric, encore plus fort.
— Lui ne veut pas te voir. » Il fallait bien dire quelque chose pour le faire redémarrer. « Je suis la Main du roi, je parle avec sa voix. Me faut-il aller trouver le roi et lui dire que tu refuses de faire ce que l’on te dit ? Sais-tu dans quelle colère cela va le mettre ? Est-ce que tu l’as déjà vu en colère, ton oncle ? » Il retira son gant pour lui montrer les quatre doigts qu’avait raccourcis Stannis. « Moi, oui. »
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