Il indiqua un quai un peu en amont de la ville. Une douzaine ou plus de gros bateaux y étaient amarrés, et à leurs mâts battaient les longues bannières cramoisies du clan Sambailid, avec leur emblème de croissant de lune rouge sang blasonné. Il semblait que d’autres bateaux de la même sorte se trouvaient un peu au nord, derrière un léger méandre que le Zimr faisait là. Ainsi, les Cinq Lords, ou certains d’entre eux, en tout cas, étaient déjà sur place à Salvamot, et avec leur propre armada. Il n’était guère étonnant que l’ensemble des habitants ne salue l’arrivée du Coronal qu’avec une certaine dose de retenue.
Un détachement de la garde du Coronal précéda lord Dekkeret à terre. Rapidement, le capitaine des gardes revint, accompagné par un petit homme au cou épais portant la tenue noire et la chaîne dorée de sa fonction, qui se présenta comme étant Veroalk Timaran, Premier Magistrat de la municipalité de Salvamot.
— Je porterais le titre de maire, dans un autre lieu, monseigneur, informa-t-il gravement Dekkeret.
Il exprima son grand plaisir et sa satisfaction que sa cité ait été choisie pour accueillir cette conférence historique. Il s’inclina de façon si extravagante devant lady Fulkari que les veines ressortirent sur la large colonne de son cou et que son visage s’empourpra. Il allait, dit-il, escorter personnellement le Coronal et ses compagnons jusqu’au domaine du Lord Gavahaud. Le Lord Gavahaud avait fourni des flotteurs pour la suite royale, signala le Magistrat Veroalk Timaran, et ils attendaient un peu plus loin.
Il n’y avait que trois petits véhicules, avec une capacité de peut-être quinze occupants, et quasiment pas de place pour la garde du Coronal.
— Nous avons apporté nos propres flotteurs, Votre Honneur, dit aimablement Dekkeret. Nous préférons y voyager. Je serais ravi que vous montiez avec moi dans le mien.
Le Premier Magistrat n’était pas préparé à cela, et il eut l’air troublé, sans doute pas tant de la distinction d’être invité à monter dans le flotteur personnel du Coronal, que de réaliser que cette journée s’écartait déjà du scénario qui lui avait été remis. Mais il n’était pas en position de s’opposer aux souhaits du Coronal, et il observa avec ce qui semblait être une consternation croissante les hommes de Dekkeret procéder au déchargement d’une vingtaine de flotteurs du vaisseau amiral, autant du deuxième bâtiment, et continuer à en décharger d’autres encore du troisième : suffisamment de véhicules pour transporter l’intégralité du corps de garde du Coronal et un bon nombre de troupes impériales également.
— Si vous le voulez bien, Votre Honneur, dit Dekkeret en indiquant au Premier Magistrat Veroalk Trimaran un flotteur portant les armoiries de la constellation.
La cité, la ville, quelle que soit sa dénomination, de Salvamot s’éclaircit rapidement dès qu’ils s’éloignèrent du fleuve, et Dekkeret se retrouva très vite en train de parcourir une rase campagne monotone parsemée de bouquets clairsemés d’arbres élancés qui avaient un tronc brun-roux et des feuilles pourpres, puis en train de faire une ascension sinueuse sur un terrain plus fortement boisé vers un plateau bas à l’est. Le domaine du Lord Gavahaud, dit le Magistrat, se trouvait au sommet.
Fulkari se trouvait aux côtés de Dekkeret, ainsi que Dinitak. Dekkeret l’aurait volontiers laissée en arrière à Piliplok pour qu’elle l’y attende, car il n’avait aucune idée des dangers qui le guettaient lors de cette conférence, ni si elle ne se terminerait pas en une sorte de conflit armé. Mais elle ne voulut pas en entendre parler. Les Cinq Lords, dit-elle, n’oseraient pas s’en prendre à un Coronal oint. Et même s’ils tentaient le moindre acte de violence, ajouta-t-elle – et il était clair qu’elle aussi était consciente de ce risque –, quel genre d’épouse royale serait-elle si elle se dérobait alors que son seigneur était en péril ? Elle préférait mourir valeureusement avec lui, dit-elle, que de repartir dans un lâche veuvage au Château.
— Il n’y aura pas de veuvage pour toi pour l’instant, lui déclara Dekkeret. Ces hommes manquent de courage, et nous les ferons bientôt plier le genou devant nous.
En son for intérieur il n’en était pas aussi certain.
Mais cela ne faisait aucune différence. Fulkari ne serait pas écartée, et, quoi qu’il advienne, elle serait à ses côtés jusqu’à la fin de cette aventure.
Septach Melayn se trouvait dans le deuxième flotteur, Gialaurys dans le troisième, et les autres suivaient de près. C’était une force considérable, des centaines d’hommes en armes, et d’autres prêts sur le débarcadère au cas où un signal de détresse serait envoyé. Si nous nous dirigeons vers une embuscade, pensa Dekkeret, nous allons leur faire payer cher leur trahison.
Mais tout semblait assez paisible lorsque les flotteurs franchirent la grande porte en voûte du château Mereminene. Il y avait une abondance de bannières au croissant de lune, et une foule d’hommes portant la livrée verte des Sambailid, certains armés, mais seulement à la façon ordinaire des hommes d’armes qui protègent un grand domaine. Dekkeret ne vit pas de bataillons dissimulés, ni d’armes cachées attendant leur heure.
Un homme roux, grand et costaud, remarquablement laid, silhouette pomponnée, se pavanant en grande cape marron pourpré balayant le sol et collants jaunes d’une élégance affectée et beaucoup trop étroits, s’avança dans un cliquetis d’éperons dorés. Il fit à Dekkeret et Fulkari une impressionnante révérence outrée, qui s’acheva par des symboles de la constellation immodérés lorsqu’il se redressa.
— Monseigneur, madame, vous nous faites un grand honneur. Je suis le Lord Gavahaud, dont c’est le grand plaisir de vous montrer les logements qui seront les vôtres durant votre séjour. Mon noble frère sera enchanté de vous saluer ensuite, une fois que vous serez installés.
— Quelle sorte d’accent est-ce là ? demanda Fulkari à voix basse. Il articule tout par le nez. Est-ce la façon de parler à Ni-moya ? Je n’ai jamais rien entendu de pareil.
— La fausse grandeur est la langue pratiquée ici, répondit Dekkeret. Nous devons faire attention à ne pas ricaner, quelle que soit la provocation.
Le pavillon des invités du château de Mereminene avait des parquets brillants et adamantins, des murs carrelés vermillon et des fenêtres à facettes enchâssées de façon complexe dans le plomb, de loin digne d’accueillir un Coronal en visite. La maison principale doit certainement être encore plus grandiose, songea Dekkeret. Et ce n’était qu’un domaine campagnard. Le vieux Dantirya Sambail n’était pas du genre à lésiner, semblait-il. Mais pourquoi l’aurait-il fait ? En son temps, il avait été roi de Zimroel, dans les faits, et sans aucun doute avait voulu égaler en une seule génération tout ce que les Coronals du Mont du Château s’étaient construit au cours de milliers d’années.
L’hospitalité de ce Gavahaud n’était pas chiche non plus. Le pavillon grouillait de pelotons de serviteurs faisant des courbettes, des vins rares et des fruits exotiques étaient fournis à profusion pour la délectation des invités s’ils souhaitaient se rafraîchir à leur arrivée, les draps de lit étaient de la plus belle qualité, des soies et des satins chatoyants aux chaudes nuances.
Un chambellan se présenta au bout d’une heure pour les informer qu’un dîner officiel aurait lieu ce soir-là, ajoutant que selon le vœu du Lord Gaviral aucune discussion portant sur des sujets graves ne se tiendrait avant le jour suivant.
Le Lord Gaviral, lui qui se faisait appeler Pontife de Zimroel, se rendit au pavillon des invités une heure plus tard, seul, habillé simplement, sans arme et à pied.
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