— Tu l’as mise hors de danger.
— Ah oui ! Je me souviens. Je t’ai entendu prononcer une incantation…
— Qui a évité que nous soyons écrasés.
On aurait cru que Tanis tombait de la lune.
— Où sommes-nous ?
— Dans la cave de l’auberge. Le plancher a cédé et nous sommes passés à travers.
— Par tous les dieux, fit Tanis en inspectant les lieux, nous sommes enterrés vivants !
Les compagnons prirent peu à peu conscience de leur situation. De fait, elle paraissait inextricable. Ils ignoraient depuis combien de temps ils étaient là, et ce qui avait pu se passer depuis. Pour finir, ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils pourraient faire pour sortir de la cave.
Caramon tenta de déplacer une pierre, ce qui provoqua un éboulement. Raistlin lui rappela sèchement qu’il ne pouvait plus lancer de sort.
Rivebise se demanda de quelle façon ils allaient périr : de froid, par asphyxie, écrasés sous les pierres, ou par noyade… Le niveau de l’eau montait rapidement.
— Nous pourrions appeler au secours ? suggéra Tika.
— Et ajouter ainsi les draconiens à la liste de nos ennemis…, ironisa Raistlin. Eux seuls peuvent nous entendre.
Tika rougit jusqu’aux oreilles. Caramon adressa un regard de reproche à son frère et passa un bras protecteur autour des épaules de la jeune femme. Raistlin leur jeta un regard dégoûté.
Au-dessus de leurs têtes, un son étrange interrompit leur conversation. Un autre cri aigu, plus intense encore, lui fit écho. Il ressemblait à ceux que poussent les oiseaux de proie planant sur la steppe au crépuscule.
— Qu’est-ce que ça peut être ? demanda Caramon, stupéfait. Ce n’est pas le cri d’un dragon. On dirait un immense prédateur ailé !
— Je ne sais pas ce que c’est, mais les draconiens sont en train de se faire tailler en pièces ! dit Lunedor.
Les hurlements de douleur et de terreur des draconiens s’arrêtèrent aussi abruptement qu’ils s’étaient élevés. Quel nouveau fléau allait succéder au précédent ?
Ils entendirent le bruit de pierres qui tombaient ; on jetait des poutres lancées sur le sol, où elles s’écrasaient avec fracas. À l’évidence, une créature cherchait à les atteindre.
— Après les draconiens, ça va être notre tour ! dit Caramon.
Lunedor avala sa salive ; Rivebise s’était départi de son expression stoïque et regardait en l’air avec anxiété.
— La ferme, Caramon ! jeta Raistlin en frissonnant.
— Inutile d’avoir peur, nous ne savons même pas de quoi…, commença Tanis.
Un bruit l’interrompit. Des pierres, des poutres et des blocs de mortier tombèrent dans la cave. Une gigantesque serre jaillit des débris et plongea vers eux.
Les compagnons se réfugièrent aux quatre coins de la cave, cherchant refuge sous les tonneaux éventrés. Pétrifiés, ils virent la serre sortir des décombres, laissant derrière elle une ouverture béante.
Ce fut de nouveau le silence. Personne n’osa le rompre. Nul ne se risqua à bouger.
— Il faut saisir cette chance, décida Tanis. Caramon, va voir ce qu’il se passe là-haut.
Le grand guerrier n’attendit pas la fin de la phrase pour se hisser parmi les gravats.
— Je ne vois rien, dit-il, surpris.
Tanis prit son épée et s’approcha, les yeux levés vers l’ouverture. Une silhouette noire se découpait sur le ciel rougeoyant. Derrière elle se dressait une énorme bête. Ils eurent juste le temps de reconnaître la tête d’un aigle géant, dont les yeux et le bec crochu luisaient à la lueur des flammes.
Les compagnons reculèrent, mais il était trop tard. La grande silhouette les avait repérés.
Elle s’agenouilla au bord du trou et retira le masque qui lui couvrait la tête.
— Ravi de te revoir, Tanis Demi-Elfe, dit une voix froide et claire, aussi lointaine que les étoiles.
8
La fuite de Tarsis. L’histoire des orbes draconiens.
Tandis que les dragons survolaient la cité éventrée, les armées draconiennes l’avaient envahie. À présent que les dragons s’étaient acquittés de leur tâche, leur seigneur les rappellerait à lui pour les lancer dans une nouvelle entreprise.
Rien en Krynn n’était capable de les arrêter. Parfois, cependant, un incident venait interrompre leur ronde. Un jeune dragon rouge qui conduisait un groupe fut averti qu’un combat avait lieu près d’une auberge détruite. Il s’y dirigea avec son équipe, maugréant contre l’inefficacité du commandement.
Il se remémorait les jours glorieux où Verminaard ; les menait lui-même à l’assaut, à califourchon sur Pyros. Lui au moins était un véritable Seigneur des Dragons !
— Halte ! C’est un ordre !
Le jeune dragon rouge s’arrêta net et leva les yeux. La voix claire et forte émanait d’un seigneur draconien. Malgré son ample cape et son masque rutilant, il s’agissait d’un humain, à en juger par sa voix. D’où venait-il ? Que faisait-il ici ? Pourquoi chevauchait-il un dragon bleu ?
— Quelles sont tes intentions, seigneur ? demanda le jeune dragon rouge. De quel droit nous arrêtes-tu sur un territoire où tu n’as rien à faire ?
— Mon affaire, c’est le sort de l’espèce humaine, que ce soit sur ce territoire ou ailleurs, répliqua le Seigneur des Dragons. Et mon épée me confère le droit de te donner des ordres ! Quant à mes intentions, je vous demande de capturer vivants ces misérables humains. Ils seront soumis à un interrogatoire. Amène-les-moi, tu seras bien récompensé.
— Regardez ! s’exclama un des dragons. Des griffons !
Le Seigneur des Dragons poussa une exclamation de colère. Tous regardèrent passer trois griffons qui volaient à la lisière de la fumée. Deux fois plus petits que les dragons, ils étaient redoutés à cause de leur férocité. Le groupe se dispersa à tire-d’aile devant ces créatures aux griffes et aux becs acérés, qui décapitaient les malheureux reptiliens qui se trouvaient sur leur passage.
Le jeune dragon rouge poussa un rugissement haineux, et se prépara à piquer sur les griffons. Le Seigneur des Dragons se mit en travers de son chemin.
— Je t’ai dit qu’il me les fallait vivants !
— Mais ils sont en train de s’échapper ! protesta le jeune dragon.
— Laisse-les filer. Ils n’iront pas loin. Je te décharge de ta mission. Tu peux rejoindre le reste de l’armée. Et si cet imbécile de Toede en parle, dis-lui que l’histoire de la perte du bâton au cristal bleu n’est pas oubliée. Je connais toutes les bévues de Toede, le chef des hobgobelins, et je me chargerai de les communiquer à d’autres s’il ose s’opposer à mes plans.
Éperonnant son dragon bleu, le Seigneur des Dragons s’élança à la poursuite des griffons. Grâce à leur extraordinaire rapidité, ils avaient déjà dépassé les portes de la ville.
— Inutile de me remercier, coupa Alhana Astrevent.
Chassant du revers de la main la pluie qui lui fouettait le visage, Tanis ne termina pas sa phrase. Cramponné au cou duveteux du griffon, il regarda défiler sous eux la ville réduite à néant.
— Peut-être regretteras-tu tes remerciements quand tu m’auras écoutée jusqu’au bout, déclara froidement Alhana. Je vous ai libérés pour mon propre compte. J’ai besoin de guerriers pour m’aider à retrouver mon père. Nous sommes en route pour le Silvanesti.
— Mais c’est impossible ! s’exclama Tanis. Nous devons rejoindre nos amis ! L’enjeu est beaucoup trop important ! Si nous arrivons à trouver ces orbes draconiens, nous aurons une chance d’anéantir ces horribles créatures et de mettre fin à la guerre. Après, nous pourrons aller au Silvanesti…
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