Pourquoi certains de ses personnages traversent-ils nuitamment la ville de Lyon en suivant le cours Lafayette où je suis né ?
Afin de conjurer tout cela, j’ai pris la grave et dangereuse décision de traduire Le Pays Multicolore , puis les Conquérants du Pliocène .
C’est en 1952, en ouvrant un placard dans un appartement où ma famille venait de s’installer, que je reçus entre les mains un livre tombé du rayon le plus haut : Le Conquérant de la Planète Mars , par Edgar Rice Burroughs. Le futur venait de me capturer par un habile coup de commando. Le point nodal était atteint.
Je pénétrais dans la science-fiction par une petite porte marquée fantasy . Fantasy ou science-fiction ? Voilà bien la querelle qu’il fallait pour raviver l’imaginaire. A dire vrai, je ne sais pas qui est quoi. Je ne sais pas ou je ne sais plus, comme disent les mauvais dialoguistes.
Tout ce que je sais, c’est que Julian May, après trente ans de voyages dans ces univers de science et de féerie que je ne renierai jamais, m’a fait retrouver l’aventure. Et m’a projeté beaucoup plus loin que ne le faisait cette porte entre les pattes de mon mammouth. Qu’elle me pardonne si j’écris que je retrouve à la fois Rosny et Philip José Farmer, Michel Zévaco et Max-André Dazergues, London et Jack Vance dans cet Exil au bout du Temps.
Car nous sommes ici en plein roman populaire, mais oui, mais oui. Avec une belle galerie de personnages au relief marqué, des extra-terrestres redoutables ou envoûtants, des héros éperdus et des traîtres rachetés, des femmes romantiques et des voleurs sympathiques.
De Till Eulenspiegel à Don Quichotte, du Hollandais Volant à Eric le Rouge, de Guenièvre à Fausta et Pardaillan…
Des archétypes, selon l’auteur qui avoue avoir suivi un itinéraire partant de la mythologie celte pour rejoindre Jung.
Bryan Grenfell le sociologue, Aiken Drum le voyou révolté, Sœur Roccaro la nonne, Elizabeth Orme la télépathe, Felice Landry la jouteuse-tueuse, Claude Majewski le romantique endeuillé, Stein Oleson le Viking, Voorhees le spationaute renégat, tous ont des raisons précises et pressantes de quitter le Milieu Galactique du XXI esiècle.
Après la Grande Intervention, qui a vu les races évoluées du cosmos débarquer sur Terre pour prendre en main le destin de l’humanité, l’Histoire a basculé. Les Lylmik, les Krondaku, les Simbiari, les Gi et les Poltroyens ont ouvert une multitude de nouveaux mondes aux hommes, dans la paix et l’harmonie.
Le Milieu Galactique de Julian May, c’est le prolongement logique des Rencontres du Troisième Type. Les humains, ayant passé leur examen, entrent dans la société stellaire.
Quoi de plus classique comme cadre ? Quoi de plus riche aussi ?
J’avoue qu’après quelques pages, je me suis demandé pourquoi diable Julian May allait lancer ses personnages à huit millions d’années dans le passé plutôt que de les promener entre tous ces mondes à peine entrevus mais chatoyants et fascinants. Et quelle était cette Révolution Métapsychique à laquelle elle faisait allusion ? Qui sont Jack le Désincarné et le Masque de Diamant ?
Mais il y a la Porte du Temps. Un certain Théo Guderian l’a plus ou moins créée, ou construite, en 2034, en effectuant des recherches sur les champs ondulatoires. Elle ouvre à sens unique sur la dernière période du cénozoïque, à quelque huit millions d’années dans le passé. Quiconque la franchit se retrouve au matin de la Terre. Non, pas au matin. Il s’agit bien plutôt d’un été indien qui aurait duré cinq millions d’années. Un moment heureux entre le miocène et le début du quaternaire et les glaciations du pleistocène. Un âge de chaleur et de végétation luxuriante, un monde foisonnant de vie et de beautés. Le Pays Multicolore. Ouvert à ceux qui, justement, refusent l’harmonieuse pacification, les ultimes enragés, dérangés, révoltés ou rejetés. Ces satanés rêveurs violents pour qui la science-fiction a toujours eu la plus grande tendresse.
Alors, adieu le Milieu Galactique et ses planètes colonisées, fertilisées, typées, enjolivées.
Par un petit matin de France, vous allez vous retrouver avec quelques autres aventuriers intrépides et franchir la Porte du Temps vers l’Exil lumineux du Pliocène. En dehors de tout ce que vous a appris la science, vous ignorez ce que vous allez trouver de l’autre côté. Vous serez chasseur ou constructeur, tanneur ou charpentier, pêcheur ou mercenaire, vous voyagerez en ballon ou en pirogue, vous traquerez l’amphycion ou le machairodus, vous escaladerez les volcans d’Auvergne ou vous descendrez le proto-Rhin à partir du Lac de Bresse… Vous aurez la Terre entière et cinq millions d’années devant vous.
Michel Demuth.
Michel Demuth: Julian May ou la libération de la fan
Que l’on me pardonne ce lamentable calembour, mais l’auteur le mérite, tant Julian May se plaît à évoquer toutes les conventions de science-fiction qui ont marqué sa vie depuis sa naissance, le 10 juillet 1931 à Chicago, son mariage avec l’anthologiste-spécialiste Tom Dikty et, enfin, son grand retour au genre et son entrée dans le roman avec la Saga du Pliocène.
Dans une interview récente, elle avoue que sa première nouvelle fut Dune Roller, publiée en 1951 dans Astounding et reprise ensuite dans de nombreuses anthologies, traduite en France sous le titre Le galet des dunes , dans Histoires qui font mouche de la série « Hitchcock »… Suivie de trente années de silence.
Du moins dans le genre qui nous occupe. Car Julian May utilisa une bonne dizaine de pseudonymes pour écrire des milliers d’articles scientifiques pour une énorme encyclopédie éditée à Chicago, ce qui lui fournit l’occasion d’enrichir considérablement ses connaissances en sciences naturelles : botanique, zoologie, ichtyologie…
A partir de là, elle entre dans le domaine du « juvenile », du petit roman écrit sur commande pour les adolescents. Elle aborde tous les genres : sport, biographie, histoire naturelle…
Son intérêt pour le passé de la Terre s’accroît encore.
Pour le contact avec la Terre également. Elle aime les randonnées, le camping, la descente des torrents en canoë. Bref, tout ce qui attend ses héros dans le Pliocène…
Mais elle reste une fan. Une vraie, une de celles qui, dans les conventions américaines, participent aux défilés de costumes, aux soirées de Forrest Ackerman, aux diatribes d’Harlan Ellison.
Elle se définit comme une romantique et ne cache pas sa sympathie pour la science-fiction des années 40-50. A quoi bon le dire d’ailleurs : tout est dans sa Saga. Qu’elle pense que nous allons vers un retour à cette forme de fantasy et de S.F., nous ne pouvons qu’être d’accord avec elle.
Mais ce qui fait le phénomène Julian May, c’est le succès. Débordant largement du champ S.F., la Saga du Pliocène figure depuis deux ans dans la liste des best-sellers. Le Pays Multicolore a été nominé pour le Prix Hugo et le Nebula, couronné par le Locus. Avec la parution du second et du troisième volume, les ventes ont encore augmenté et les critiques de la presse non-spécialisée se sont penchés sur « le cas Julian May ».
Pour conclure que l’aventure était de retour, que cela traduisait une certaine soif des lecteurs pour le dépaysement et le merveilleux après quelques années de sophistication et d’intellectualisation, de sombres dystopies nucléaires, politiques, génétiques.
Julian May est une optimiste visionnaire qui écrit vite des paysages et des êtres dont nous avons certainement besoin. Le monde a changé de rythme. Les Fugs , vin groupe californien légendaire des sixties, chantaient : « Quand le ton de la musique change, les murs de la cité tremblent. »
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