Lois Bujold - Opération Cay

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Environ deux cents ans avant la naissance de Miles…
Leo Graf, spécialiste des soudures en milieu spatial, est envoyé par sa compagnie dans une station orbitale pour y enseigner son art aux ingénieurs qui y vivent. Il découvre sur place une réalité déconcertante : ses élèves sont des Quaddies, des êtres dotés de quatre bras. Bien que leur « humanité » ne fasse aucun doute pour qui les côtoie, la compagnie n’entend pas conférer le moindre droit à cette main-d’oeuvre gratuite et servile. Jusqu’au jour où…
Prix Nebula 1988.

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— Sa’ut, ’eo, lança Tony sur son canal. Nav’é d’a’iver en ’etard. Vous en avez ’ardé un peu ’our moi ?

— Tony !

Pas facile d’étreindre quelqu’un à travers les scaphandres, mais Leo fit de son mieux.

— Tu arrives à pic pour le feu d’artifice ! dit Leo avec excitation. J’ai vu la navette accoster, tout à l’heure.

Inutile de mentionner les sueurs froides que ça lui avait provoquées en imaginant que Van Atta débarquait avec une équipe de la sécurité.

— Je pensais que le D rMinchenko t’aurait gardé au chaud à l’infirmerie. Et Silver, ça va ?

— Oui. Elle est ’estée là-bas. Le D r’i’enko n’avait ’as le ’emps de s’o’uper de moi. Claire et An’y dor’aient et je n’ai ’as ’oulu ré’eiller le bébé.

— Tu es sûr que ça va ? insista Leo, inquiet. Tu as une drôle de voix.

— C’est ’a ’ouche. ’ien de g’ave…

— Ah !

Leo lui expliqua la manœuvre en cours.

— Tu vas assister au bouquet final, déclara-t-il en s’élevant afin de voir par-dessus le module. La petite boîte au sommet – la cerise sur le gâteau, si tu veux – est un condensateur de deux mille volts. Il est relié à un filament placé dans le liquide explosif. J’ai utilisé le filament d’une ampoule électrique dont j’ai enlevé la gaine. Le truc qui dépasse est une cellule photoélectrique qu’on a prise sur une porte. Quand on l’atteindra avec ce laser optique, elle refermera le commutateur…

— Et l’é’ect’icité déc’enchera l’ex’osif ?

— Pas tout à fait. La haute tension fait exploser le fil, et l’onde de choc déclenche le mélange essence-tétranitrométhane. Puis, le flan de titane se propulse et percute la matrice de glace. C’est très dangereux, aussi on s’est abrités derrière ce module.

Il se tourna pour s’assurer que toute son équipe était bien en sécurité.

— Tout le monde est prêt ?

— Si vous pouvez regarder ce qui se passe, pourquoi pas nous ? se plaignit Pramod.

— Parce que c’est moi qui suis derrière le laser, répondit Leo, non sans une certaine satisfaction.

Il braqua le laser optique, puis marqua une pause pour calmer son anxiété. Il y avait tant de grains de sable qui pouvaient encore se coincer dans l’engrenage, même s’il avait vérifié et revérifié chaque paramètre plutôt dix fois qu’une… Mais à un moment, il fallait se décider, s’en remettre à sa bonne étoile et passer à l’action.

Il pressa le bouton.

Un éclair luminescent, un nuage de vapeur, et la matrice de glace explosa, projetant des débris alentour. Un spectacle magnifique. À contrecœur, Leo se baissa derrière le module. Ses mains gantées, appuyées contre le module, ressentirent le choc des éclats de glace heurtant les parois du module avant de ricocher dans le vide.

Puis ce fut le silence. Leo resta figé un moment, les yeux rivés sur Rodeo.

— Maintenant j’ai peur de regarder, avoua-t-il.

Pramod contourna le module.

— C’est en un seul morceau, en tout cas. Mais j’ai du mal à distinguer la forme exacte.

— Allons-y, les enfants, déclara Leo, après avoir repris son souffle.

Peu après, ils avaient rattrapé le fruit de leurs efforts. Leo refusait encore d’appeler « miroir vortex » ce qui n’était peut-être qu’un énorme fragment de métal tordu. Les quaddies l’inspectèrent à l’aide de leurs scanners sur toute la surface argentée.

— Aucune fêlure, Leo, dit Pramod. Par contre, il est sans doute un peu trop épais par endroits…

— On pourra remédier à ça en le polissant.

Bobbi s’activait avec son laser optique, déchiffrant les données qui s’inscrivaient sur son petit écran de contrôle.

— Il est conforme, Leo ! s’exclama-t-elle enfin. Il est conforme ! On a réussi !

Leo ferma les yeux et exhala un long, très long soupir de soulagement.

— D’accord, les enfants. Nous allons l’installer dans le… Oh, flûte ! On ne peut pas continuer à l’appeler « la reconfiguration de l’Habitat et le D-620 ».

— C’est un peu long, acquiesça Tony.

— Alors ? Quel nom lui donne-t-on ?

Plusieurs possibilités traversèrent l’esprit de Leo – l’Arche, l’Etoile de la Liberté… Le Délire de Graf…

— Chez nous, dit Tony. Rentrons chez nous, Leo.

— Chez nous…

Leo répéta ces deux mots, lentement, comme on goûte un vin millésimé. Oui. Il en aimait la saveur. Pramod approuva d’un hochement de tête, et Bobbi donna son accord d’un signe de la main.

Leo cligna des yeux. Il devait y avoir de la vapeur, dans son casque… ça le faisait larmoyer. C’était idiot…

— Oui. Emportons notre miroir vortex chez nous, les enfants.

Bruce Van Atta s’arrêta devant la porte du bureau de Chalopin, au spatioport Trois, afin de reprendre son souffle et de maîtriser ses tremblements. En plus, il avait un point de côté. S’il ne se faisait pas un ulcère, avec tout ça, il aurait de la chance. Il n’avait pas décoléré depuis qu’ils étaient revenus du lac. Être si près du but, mais tout rater à cause d’incompétents… Il y avait de quoi enrager.

Par le plus pur des hasards, s’étant réveillé en plein sommeil, il en avait profité pour appeler le spatioport afin de savoir s’il y avait du nouveau. Autrement, il n’aurait peut-être jamais appris que la navette avait atterri ! Devinant le plan de Graf, il avait foncé à l’hôpital. À quelques minutes près, il aurait pu coincer Minchenko.

Il s’était déjà délesté d’une bonne partie de sa hargne sur le pilote du jetcopter, en le traitant de dégonflé – parce qu’il n’avait pas eu le cran nécessaire pour forcer la navette à atterrir – et d’incapable – parce qu’il n’avait pas été fichu d’arriver sur le lac avant la Land Rover. Le pilote, écarlate, avait serré les poings sans répondre, sans doute mortifié. Et à juste titre. Mais cet échec prenait véritablement sa source là, de l’autre côté de la porte qui s’ouvrit pour le laisser entrer.

Chalopin, Bannerji, son omniprésent capitaine de la sécurité, et le D rYei étaient tous tournés vers le vid que diffusait l’ordinateur de Chalopin. Bannerji désignait quelque chose à Yei.

—… pourrait entrer ici. Mais quelle résistance opposeraient-ils, à votre avis ?

— Les quaddies ne sont pas belliqueux, répondit-elle.

— Hmm. Je ne suis pas trop partisan d’envoyer mes hommes se battre avec des neutraliseurs contre des… des êtres désespérés munis d’armes bien plus dangereuses, voire mortelles. Quel est le véritable statut de ces prétendus otages ?

— Grâce à vous, ironisa Van Atta, le score des otages est maintenant de cinq à zéro. Ils ont réussi à embarquer Tony. Pourquoi ne l’avez-vous pas mis sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme je vous l’avais dit, bon sang ? Et on aurait dû s’occuper de M me Minchenko, aussi.

Chalopin lui adressa un regard inexpressif.

— Monsieur Van Atta, vous semblez surestimer les capacités de ma sécurité. Je n’ai que dix hommes à ma disposition pour couvrir trois services de huit heures, sept jours par semaine.

— Plus dix dans chacun des deux autres spatioports. Ça fait trente. Armés comme il faut, ils constitueraient une force de frappe tout à fait honorable.

— J’ai déjà fait venir six de ces hommes afin d’assurer les tâches habituelles, car les autres sont accaparés par cette urgence.

— Pourquoi ne le sont-ils pas tous ?

— Monsieur Van Atta… GalacTech-Rodeo est une grosse compagnie. Il y a près de dix mille employés, ici, et presque autant de civils, si je puis dire. Mon service de sécurité est une force publique, et non une force armée. Mes hommes sont tenus d’accomplir leur devoir, auquel s’ajoutent les missions de sauvetage et de recherche, quand ils ne doivent pas, en plus, assister la brigade des pompiers.

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