— Fou comme un déterreur de cadavres, commenta Y’sul. Bon, je suis assez grièvement blessé, alors, ramenez-moi à la maison, je vous prie.
— Waouh ! Ç’a été rapide, regardez !
— Effectivement, je pensais que nous aurions plus de mal à prendre le contrôle du vaisseau.
En gros plan sur un moniteur, ils virent un Voehn ouvrir un sas dans la coque du Velpin , brandir une arme et leur tirer dessus. Un autre écran montra que le blindage réactif du Protreptic s’était automatiquement mis en action pour absorber le rayon. Autant viser un navire de guerre avec une sarbacane.
— Bon ! maintenant, il est temps d’y aller.
— Attends, on n’a encore tiré sur rien ! Moi je dis qu’il faut dégommer le salopard qui vient de nous prendre pour cible.
— Non.
— Allez, s’il te plaît !
— On ne devrait jamais se fier à un logiciel. (Les deux moitiés de Quercer & Janath éclatèrent de rire.) Vise plutôt le réacteur principal du Velpin.
— Ça marche ! Cible verrouillée. Je tire.
Le vaisseau bourdonna brièvement autour d’eux. Sur plusieurs écrans, dont le moniteur principal situé devant le fauteuil de commandement, l’anneau de réacteurs du Velpin parut s’embraser, s’enrober d’une violente lumière rose et blanc stellaire. Puis le vaisseau se brisa en projetant alentour un nuage de débris scintillant, et ses deux morceaux commencèrent à dériver chacun de leur côté.
— Oups !
— Après tout, ce sont des Voehns. Ils recolleront sans doute les deux bouts avant d’aller s’emparer du vaisseau sépulcral ou d’un engin quelconque. Allons-y.
Les IA jumelles se retournèrent pour faire face à leurs passagers.
— Nous allons mettre en place les entraves de vos fauteuils. Criez si quelque chose ne tourne pas rond.
Les grands pics osseux couinèrent autour d’eux, et le gaz devint épais comme de la mélasse.
— Tout le monde va bien ?
Ils acquiescèrent.
— C’est parti !
Les étoiles s’animèrent, le navire gronda bruyamment, puis bondit. Les morceaux éparpillés du Velpin disparurent définitivement.
Par jeu, ils passèrent dans le O formé par le vaisseau sépulcral comme un fil dans le chas d’une aiguille, et s’en furent vers le système Direaliete et son trou de ver secret sans se soucier des alarmes multiples qui s’allumaient dans tout le navire.
* * *
S’ils s’attendaient à un ultimatum ou à ce qu’on les force, d’une façon ou d’une autre, à se rendre – ce qui eût certes été abject, humiliant, quoique inévitable –, ils furent grandement déçus. L’invasion des Affamés déferla sur le système Ulubis comme un tsunami sur une plage encombrée de châteaux de sable.
Le capitaine Oon Dicogra, à qui on avait récemment offert le commandement du vaisseau-aiguille NMS 3304, celui-là même qui avait conduit Fassin Taak de ’glantine à Sepekte plus de six mois auparavant – elle avait été promue lorsque Pasisa, l’ancien capitaine whule, s’était vu confier un navire plus grand –, se retrouva donc dans l’Escadron du Bouclier Défensif Extérieur du système Ulubis. Malheureusement, la réalité de ce « bouclier » n’était pas aussi impressionnante que son appellation. En effet, il se résumait à un salmigondis de vaisseaux modestes et sous-armés éparpillés à la périphérie du système dans la direction générale des forces d’invasion, derrière un nuage de « matériaux intercepteurs », constitué de gravats et de quelques mines, pour la plupart immobiles. Leur rôle était donc d’attendre derrière ce prétendu rideau défensif.
Dicogra, tout comme nombre de ses collègues, pensait qu’il aurait mieux valu aller à la rencontre des envahisseurs, plutôt que de rester plantés là. Mais les huiles en avaient décidé autrement. Selon elles, ce genre de manœuvre eût été trop risqué – un gâchis assuré. Attendre ici sans rien faire semblait à Dicogra aussi risqué que possible, toutefois, elle essayait de se persuader que ses supérieurs savaient ce qu’ils faisaient. On ne souhaitait certainement pas qu’ils se sacrifient en vain.
Ils formaient une aile ondulée de plusieurs milliers de kilomètres de longueur, déroulée sur la route supposée des assaillants, à un demi-million de kilomètres des limites du système. D’autres lignes fines étaient donc éparpillées autour d’eux, mais pas devant eux. Le NMS 3304 était le septième navire de la flotte, situé aux côtés du vaisseau du commandant de la flotte, au centre de la ligne. Dicogra était le troisième officier de l’escadron. Au début, naïvement, elle avait été flattée par cette brusque promotion. Puis elle avait eu peur. Ils étaient sous-équipés, misérablement armés, trop lents et beaucoup trop peu nombreux. En fait, ils étaient là pour mourir, pour montrer aux Affamés qu’Ulubis n’était pas disposé à se rendre sans combattre.
Les scanners d’espace profond, qui auraient pu les aider à mieux évaluer la route empruntée par les envahisseurs, avaient presque tous été détruits par les raids éclairs des Dissidents et de leurs alliés. Ceux qui fonctionnaient encore avaient perdu la trace de la flotte d’invasion lorsque celle-ci avait coupé ses réacteurs tout près de la coquille d’Oort, avant de se disperser dans toutes les directions, de dessiner des vecteurs entremêlés trop difficiles à suivre.
Les systèmes de surveillance passive se contentaient de fixer les étoiles dans l’espoir d’apercevoir une occlusion anormale ; ils contemplaient la lumière ancienne de soleils lointains.
Dicogra était étendue, les genoux repliés, dans un des modules de commandement du vaisseau, auquel elle était connectée, ce qui lui permettait de tout surveiller. Elle comprise, ils n’étaient que trois à bord, les principaux systèmes du petit vaisseau fonctionnant en mode automatique. Le Whule et le Jajuejein qui l’accompagnaient étaient des nouvelles recrues de la Navigarchie. Elle ne les connaissait pour ainsi dire pas. Ils étaient en plein apprentissage, et leur ignorance relative lui paraissait bien plus étrange que leur physique extraterrestre. Elle aurait préféré pouvoir les entraîner pendant quelques mois encore avant de partir au combat, mais la situation était désespérée.
À quelques secondes-lumière de là, elle détecta des radiations dures à la longueur d’onde élevée, signe que quelque chose – de nombreuses choses, en fait – avait rencontré le nuage de matériaux déployés entre eux et les envahisseurs. Toutefois, il ne s’agissait pour le moment que d’objets de taille modeste.
— Une pelletée de leur merde vient d’entrer en collision avec une pelletée de la nôtre, annonça par radio le lieutenant-colonel, l’officier le plus haut gradé de la flotte.
Les alarmes anticollision de son vaisseau se mirent à couiner et à clignoter. Nutche, son second, était chargé de régler ce type de problème. Elle observa néanmoins du coin de l’œil la manière dont il supervisait l’action des systèmes automatisés. De petits débris, semblables à des shrapnels volant à une vitesse très importante, passaient de tous les côtés sans les toucher. Rien à faire, rien à attaquer, pensa-t-elle. Juste rester assise et attendre.
Les étincelles se firent de plus en plus lumineuses et violentes, emplissant leur champ de vision, formant une sorte de rideau scintillant devant l’escadron.
— Il y a aussi beaucoup de…, commença quelqu’un d’autre avant que la liaison soit coupée.
Deux des vaisseaux de l’escadron disparurent dans des explosions de lumière – un, voire deux, à l’extrémité de la formation, et…
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