Une attaque. Le vaisseau avait été attaqué pendant qu’il dormait. Il était dans un hôpital quelconque, dans une cuve. Merde, il devait avoir été grièvement blessé. Peut-être ne lui restait-il plus que la tête ou…
— Coucou, envoya-t-il.
Il lui était facile de penser/parler, car il avait l’impression d’être dans un jeu ou bien – encore une fois – à l’hôpital pour un traitement.
— Vous êtes Saluus Kehar ?
Pourquoi ? Ils n’en étaient pas sûrs ?
L’avait-on drogué, assommé de quelque manière que ce soit ?
Merde, avait-il été kidnappé ?
— Qui est là ? demanda-t-il.
— Confirmez votre identité.
— Vous êtes sourds, je viens de vous demander qui vous étiez.
Une vague de douleur déferla sur son corps, inonda ses orteils et remonta jusqu’au sommet de son crâne. Sa pureté était étonnante, son caractère absolu affreux. Elle s’évanouit aussi brusquement qu’elle était apparue, laissant dans son sillage une douleur sourde dans ses testicules et ses dents.
— Si vous refusez de coopérer, vous souffrirez davantage, dit la voix.
Il voulut ouvrir la bouche pour parler, mais n’y parvint pas.
— Mais pourquoi ? finit-il par envoyer. Qu’est-ce que je… ? Bon ! d’accord, je suis Saluus Kehar. Où suis-je ?
— Vous êtes un industriel ?
— Oui. Je suis propriétaire de Kehar Industry. Où est le problème ? Où suis-je ?
— Que faisiez-vous juste avant de reprendre connaissance ici ?
— Pardon ? Ce que je faisais ?
Il essaya de se rappeler. D’ailleurs, il avait déjà commencé à y penser. Liss. Il était à bord de son vaisseau, à bord de la Coque 8770, et il était sur le point de s’endormir. Alors, il se demanda ce qui était arrivé à Liss. Où pouvait-elle être ? Était-elle ici, quoi que ce « ici » voulût dire ? Était-elle morte ? Devait-il parler d’elle ou non ?
— Répondez !
— Je me suis couché pour dormir.
— Où ?
— À bord d’un vaisseau. Un navire baptisé Coque 8770.
— Où se trouvait-il ?
— En orbite autour de Nasq. Écoutez, vous pourriez quand même me dire où je suis, non ? Je suis parfaitement disposé à coopérer, à vous dire tout ce que vous voulez savoir, mais j’ai tout de même besoin de connaître un peu plus le contexte. Il faut que je sache où je suis.
— Vous étiez seul ?
— J’étais avec une amie, une collègue.
— Son nom ?
— Elle s’appelle Liss Alentiore. Est-elle ici ? Où est-elle ? Où suis-je ?
— Quel poste occupe-t-elle ?
— Quel… ? Elle est mon assistante, ma secrétaire.
Silence. Il attendit un peu, puis envoya :
— Il y a quelqu’un ?
Silence.
Un clic, et les ténèbres furent remplacées par la lumière. Saluus était de retour dans le monde réel, dans un corps physique. Un plafond argenté et brillant, strié de centaines de lignes lumineuses. Il ne reconnaissait pas cet endroit, mais en tout cas, l’éclairage était excessif.
Il était étendu sur un lit. Malgré la gravité équivalente à un demi-g tout au plus, il ne pouvait pas bouger. Peut-être était-il entravé d’une manière ou d’une autre. Quoi qu’il en fût, il était incapable de lever les bras ou les jambes. Une personne vêtue comme un médecin ou un infirmier venait de lui retirer une sorte de casque. Il cligna des yeux, se lécha les lèvres. Il pouvait bouger légèrement les muscles de son visage et le cou, mais pas plus. Il croyait sentir le reste de son corps, sans toutefois en être sûr. Peut-être ne lui restait-il que la tête.
Un homme grand, mince, à l’air étrange et aux yeux d’un rouge violent le regardait. Sa tenue élaborée ressemblait à un costume d’opéra. Oh ! et puis ses dents… Elles étaient taillées dans du verre ou dans un matériau encore plus transparent.
Saluus prit une ou deux inspirations. Le fait de pouvoir respirer normalement était formidable. Néanmoins, il était toujours terrifié. Il se racla la gorge.
— Quelqu’un va-t-il me dire ce qui se passe ?
Un mouvement à la périphérie de sa vision. Il était en mesure de tourner la tête – son cou frottait contre une sorte de col rigide – et de voir un autre lit. Quelqu’un aidait Liss à se lever. Elle basculait ses longues jambes par-dessus le rebord. Elle le regarda, se détendit le cou et les épaules, laissa ses longs cheveux noirs se déverser sur son dos. Elle portait une fine combinaison. Elle était pourtant nue lorsqu’ils s’étaient mis au lit.
— Salut, Sal, lança-t-elle. Bienvenue au sein de la flotte d’invasion des Affamés !
Le type bizarre aux yeux mauvais tendit le bras et lui offrit une main gantée pour l’aider à se tenir debout.
— Il semblerait bien que vous nous ayez amené une personnalité de valeur, jeune femme, dit-il d’une voix étrange à l’accent épais, profonde et abrasive à la fois. Nous vous en remercions.
Liss eut un sourire timide, se redressa et se passa la main dans les cheveux pour les démêler.
— Ce fut un véritable plaisir.
Saluus se rendit compte qu’il avait la bouche ouverte. Il la ferma brièvement pour déglutir.
— Liss ? s’entendit-il dire d’une voix faible de petit garçon.
— Désolée, répondit-elle en se tournant vers lui et en haussant les épaules. Enfin, pas vraiment…
* * *
— Ces lasers aux rayons gamma sont vraiment très, très bien ! Regarde !
— Un laser de plus, c’est tout. Les convolueurs magnétiques sont intrinsèquement beaucoup plus impressionnants.
Fassin n’écoutait que d’une oreille Quercer & Janath, qui discutaient des instruments, capteurs, commandes et armes du vaisseau voehn.
— Oui, oui, bien sûr, mais c’est une arme défensive ! Jette plutôt un œil à ces missiles faucheurs d’ondes de choc ! Et ça marche pour toutes les fréquences ! Merde, ça fout sur le cul, non ?
— Peut-être, mais tu as vu ce blindage tressé ? À peine un centimètre d’épaisseur, mais des dizaines de kilomètres de fibres, qui absorbent l’énergie et l’assimilent pour recharger les batteries principales. La grande classe, quoi…
Ils étaient sur le pont du vaisseau, une bulle allongée située au centre de l’appareil. Les dix fauteuils adaptés à la morphologie des Voehns formaient un V. Quercer & Janath avaient pris place dans le siège du commandant, face à un moniteur géant qui affichait une vue de l’espace environnant, au centre duquel tournoyait lentement le Velpin. Fassin et Y’sul flottaient au-dessus de deux fauteuils situés juste derrière celui des IA. Les sièges étaient trop petits pour l’humain et beaucoup trop petits pour les Habitants. Ils s’ouvraient comme des mains entrelacées et étaient supposés se refermer sur les Voehns pour les protéger. Les Habitants pouvaient à peu près s’y installer lorsqu’ils étaient complètement ouverts. Le pont lui-même était exigu, ce qui ne semblait aucunement déranger Quercer & Janath. Quant à Fassin, il trouvait que les fauteuils avaient des airs de cage à oiseaux, voire de cage thoracique, aussi avait-il l’impression de flotter à l’intérieur d’un squelette de dinosaure.
— On peut essayer les armes sur quelque chose ?
Y’sul marmonnait dans son coin et s’occupait de sa carapace endommagée, arrachait les bouts de ses disques qui pendillaient, ponçait sa cuirasse avec une lime de fortune.
— Pourquoi ne pas faire sauter le Velpin ?
— Il y a plein de gens à bord !
Il était persuadé de pouvoir trouver quelque chose. Il en était venu à croire qu’il y avait bel et bien quelque chose à découvrir.
— Il y a plein de Voehns à bord.
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