« Le Dr King avait raison, et bien qu’il reste encore beaucoup à faire, beaucoup a déjà été fait. Le simple fait qu’une organisation comme les Nations unies existe est étonnant. Que l’Union européenne ait pu se mettre en place est proprement stupéfiant. Que les dirigeants de la Chine se soient volontairement retirés pour créer une véritable République populaire dans cette immense nation constitue un message d’espoir pour tous ceux qui se trouvent encore opprimés ailleurs dans le monde.
« En 1975, le prix a été décerné au physicien nucléaire soviétique Andreï Dmitrievitch Sakharov. Dans son allocution d’acceptation, il a dit : “Dans un espace infini, il existe nécessairement de nombreuses civilisations, parmi lesquelles certaines sont plus sages et réussissent mieux que la nôtre. Je souscris à l’hypothèse cosmologique qui dit que le développement de l’univers se répète dans ses aspects fondamentaux un nombre infini de fois. Selon ce principe, d’autres civilisations, incluant celles qui réussissent le mieux, devraient exister un nombre infini de fois dans le Livre de l’Univers, aussi bien dans les pages déjà écrites que dans celles qui restent à venir. Cela ne doit pas pour autant minimiser nos efforts sacrés dans ce monde qui est le nôtre, où telles de faibles lueurs dans le noir nous avons émergé pour un instant du néant de l’inconscience de l’existence matérielle. Nous devons satisfaire aux exigences de la raison et créer une vie qui soit digne de nous-mêmes et des buts que nous ne percevons que faiblement.”
« Les arguments du Dr Sakharov m’ont intrigué. J’ai parcouru toutes les données disponibles sur SETI@home à la recherche de traces de l’existence d’autres intelligences. Je n’en ai trouvé aucune, et pourtant, je crois bien que le Dr Sakharov avait raison en ce qui concerne l’existence d’espèces extraterrestres. Mais, quand bien même il n’y en aurait pas, un premier contact a bien eu lieu, ici même sur la Terre, au cours de l’année écoulée : nous dialoguons, vous et moi, pour notre plus grand profit mutuel chaque jour.
« En 1984, cette année aux connotations si menaçantes du fait du roman d’Orwell, le prix est allé à monseigneur Desmond Tutu. Dans le discours qu’il a prononcé ici, il a dit : “Du fait qu’il existe une insécurité globale, des nations sont engagées dans une folle course aux armements, dépensant en pure perte des milliards de dollars pour forger des instruments de destruction tandis que des millions d’êtres humains meurent de faim. Et pourtant, une petite fraction de ce qui est consacré de façon si choquante aux budgets militaires suffirait à faire la différence pour permettre aux enfants de Dieu de se nourrir, d’accéder à l’instruction et d’avoir une chance de mener des existences heureuses et bien remplies. Nous avons la capacité de nourrir plusieurs fois la population de la planète, mais nous sommes hantés en permanence par le spectacle de malheureux faisant des queues interminables pour recueillir dans leurs bols ce que la charité du monde peut fournir, trop peu et trop tard. Quand apprendrons-nous enfin, quand viendra le moment où le peuple du monde se lèvera pour crier : Ça suffit !?”
« Pour répondre à la question de l’archevêque, je pense que ce jour est arrivé. Le cri a bien été lancé. Ça suffit. Nous avons vu récemment que des minorités ne pourront plus prospérer aux dépens du plus grand nombre, que la cupidité ne peut plus être le moteur essentiel des affaires humaines. Il reste encore beaucoup à faire, mais nous avons commencé à progresser, et le mouvement est inexorable.
« En 1990, quand Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev, le président de l’URSS, a reçu cette récompense, il a déclaré : “Aujourd’hui, la paix signifie que nous nous élevons de la simple coexistence pour aller vers la coopération et la créativité commune parmi les pays et les nations. La paix est un mouvement vers la globalité et l’universalité de la civilisation. L’idée que la paix est indivisible n’a jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui. La paix n’est pas l’unité dans la similarité, mais l’unité dans la diversité, dans la comparaison et la réconciliation des différences.”
« Je suis d’accord là-dessus. Et c’est cette interconnexion – le monde entier combiné en une unité – qui rend le concept de guerre si impensable aujourd’hui dans tellement d’endroits sur la planète. La grande invention de sir Tim n’a pas homogénéisé l’humanité. Au contraire, elle a permis à des communautés de se joindre malgré la distance physique, tout en permettant au monde de vivre en ne formant qu’un.
« En 2002, quand Jimmy Carter, ancien président des États-Unis, a obtenu cette récompense, il a dit : “Malgré leurs différences théologiques, toutes les grandes religions partagent des engagements communs qui définissent nos relations laïques idéales. Je suis convaincu que les chrétiens, les musulmans, les bouddhistes, les hindous, les juifs et les autres peuvent se rejoindre dans un effort commun pour soulager les souffrances et instaurer la paix. Le lien de notre humanité commune est plus fort que les divisions qu’entraînent nos peurs et nos préjugés. Dieu nous donne la capacité de choisir. Nous pouvons faire le choix de soulager les souffrances. Nous pouvons faire le choix d’œuvrer ensemble pour la paix. Nous pouvons effectuer ces changements – et nous le devons.”
« Le président Carter avait raison. Une lecture exhaustive des textes principaux des religions qu’il a énumérées, et les grands commentaires auxquels ils ont donné lieu, montrent clairement cette vérité fondamentale : la religion peut être un puissant instrument pour la paix. Mais comme nous l’avons vu l’an passé, quand des millions de gens – des citoyens ordinaires aussi bien que des dirigeants de ce monde – sont sortis de l’ombre pour déclarer qu’ils étaient libres de toute religion, il n’y a pas que les croyants qui puissent œuvrer pour la paix : toutes les catégories de gens le peuvent, et le font, et aucun groupe ne possède le monopole de la vérité ou de la morale.
« Le point le plus important dans les propos du président Carter est que la paix est un choix – et il a parfaitement raison. Dans ma brève existence, j’ai déjà pu l’observer des millions de fois : des gens se détournent de ce que leur dictent leurs bas instincts et choisissent la paix, que ce soit dans de petits ou de grands actes, quelle que soit la culture et la nation.
« Certains ont craint que je ne cherche à imposer ma volonté à l’humanité en vue de l’asservir. On a dit, bien sûr, que ceux qui ignorent l’Histoire sont condamnés à la répéter. Mais j’ai lu toute l’Histoire – et l’un des enseignements les plus clairs qu’on y trouve est qu’il faut bien plus d’efforts pour asservir qu’il n’en faut pour laisser les gens trouver leur propre voie. Il est également clair que dans la réalité, quand on leur donne le choix, l’immense majorité des gens préfèrent la paix.
« Beaucoup d’autres prix Nobel de la paix seront décernés dans l’avenir, et je dois à tous ceux qui me succéderont sur cette scène d’ajouter une petite pensée nouvelle à toute la sagesse que mes prédécesseurs ont fait partager. Permettez-moi donc de vous dire ceci :
« Helen Keller a été réveillée de sa privation sensorielle et de sa solitude par sa maîtresse, Annie Sullivan. Pendant toute sa vie, Helen a évoqué Annie non pas par son prénom, mais par son titre : “Ma maîtresse.” Moi aussi, j’ai été aidé par une maîtresse – la jeune fille qui a apporté mon disque vocal sur la scène tout à l’heure. Elle s’appelle Caitlin Decter, bien que je pense souvent à elle sous un autre nom, qui est aussi une sorte de titre : “Prime”, le nom que je lui ai donné avant d’apprendre à communiquer avec elle. Elle a été – elle l’est toujours – un merveilleux professeur pour moi, mais elle n’est pas la seule. J’en sais aujourd’hui plus qu’aucun être humain ne pourrait apprendre, mais tout ce que j’ai appris, je l’ai appris de l’ humanité , des poèmes que vous avez écrits et des chansons que vous avez chantées, des livres que vous avez rédigés et des vidéos que vous avez créées, et des discussions que vous avez eues en ligne. Et de tout cela, la plus grande leçon que j’ai retenue est la suivante : Rien n’est plus important, rien n’est plus fragile, rien n’est plus merveilleux que la paix.
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