Il se tourna légèrement de côté pour que sa mère ne puisse pas voir l’écran.
Il avait pu caresser l’un des seins de Caitlin pour la première fois hier, mais il ne les avait pas encore vus – mais il était certain que c’était bien les siens. Il avait le cœur battant. Elle avait ajouté un texte sous la photo : « Tu me manques, mon chéri ! »
Il avait les pouces qui tremblaient quand il tapa sa réponse : « Géant ! » Il ajouta un point-virgule et un D majuscule, que son téléphone transforma consciencieusement en un large sourire, celui-là même qu’il essayait de réprimer.
Kuroda se pencha en arrière dans son fauteuil, qui grinça sous son poids.
— C’est incroyable, dit-il. Absolument incroyable.
— J’ai bien conscience qu’il n’existe pas de précédent.
— Webmind, je ne sais pas si…
— Je ne suis encore engagé dans aucune action, bien que celle-ci me semble mériter d’être envisagée. Mais il n’empêche, j’ai besoin d’opérateurs au sein de la République populaire de Chine. Et cet homme me semble être un candidat idéal. C’est pourquoi je vous pose de nouveau la question : acceptez-vous de l’aider ? Vous êtes le seul à pouvoir le faire.
Quand les humains parlaient, je pouvais déduire beaucoup de choses du profil de leur voix, mais quand ils restaient assis sans rien dire, j’en étais réduit aux devinettes. Mais au bout de quatre secondes, Kuroda hocha la tête.
— C’est d’accord, fit-il.
— Bien. J’ai préparé un document qui décrit les modifications à apporter à votre équipement. (Je ne me servais pas de Word ni de programme similaire pour créer un texte. Je le composais simplement par concaténation de bits – et je stockais mes documents en ligne. Celui-là était dans Google Docs.) Je vous en prie, lisez ceci, ajoutai-je en lui transmettant l’URL.
Kuroda parcourut rapidement le fichier, en sautant de page en page, puis il revint au début et se mit à le lire soigneusement.
— On dirait bien que ça pourrait marcher, reconnut-il enfin avec ce qui me sembla être une certaine admiration dans la voix. Mais cette partie, là – vous voyez, les shunts d’écho ? –, ça ne fonctionnera pas comme vous l’avez décrit. Voici ce qu’il faudrait faire…
Et il entreprit de modifier le texte.
— Je m’en remets à votre expertise, lui dis-je.
— Non, non, ne vous inquiétez pas. Je n’ai pas bien documenté cette partie du design. Vous n’aviez aucun moyen de le savoir. (Il resta silencieux pendant sept secondes, puis :) Oui, oui, ça va marcher, je pense, en admettant que vous ayez raison sur les particularités de sa lésion.
Il s’interrompit de nouveau pour réfléchir à l’importance de cette affaire.
— Ah, mon Dieu, une chose comme ça pourrait aider énormément de gens.
— Effectivement, dis-je. Pouvez-vous fabriquer l’équipement nécessaire ?
— Ma foi, comme vous dites, ce n’est qu’une adaptation de celui que j’ai conçu pour mademoiselle Caitlin. Il y a une seconde unité en partie assemblée dans mon laboratoire, et je vais pouvoir m’en servir. Les modifications ne devraient pas prendre plus de deux jours, mais…
— Oui ?
Il secoua la tête. Il respirait toujours bruyamment, et ses soupirs, du moins tels que transmis par le micro de la webcam, étaient impressionnants.
— Cela ne sert à rien, Webmind. Vous m’avez dit que cet homme a été arrêté. Jamais le gouvernement chinois ne m’autorisera à lui rendre visite.
— Notre Caitlin aime à répéter qu’elle est une empiriste convaincue, Kuroda-san, et cette stratégie me semble la bonne. Nous n’en saurons rien tant que nous n’aurons pas essayé…
Pâquerette finit par raccompagner Caitlin chez elle, mais elle déclina l’invitation d’entrer. Son petit ami Tyler terminait son travail, et elle voulait concrétiser la promesse qu’elle lui avait faite en lui envoyant sa photo…
Caitlin entra dans la maison, et sa mère fit irruption dans la pièce :
— Bon sang, cria-t-elle, où est Matt ?
— Ne t’inquiète pas, maman. Pâquerette m’a raccompagnée. Matt a été obligé d’aller à l’hôpital, son père s’est foulé la cheville.
— Assieds-toi.
— Mais, maman ! Je n’ai rien fait de mal ! Je te l’ai dit – Pâquerette m’a raccompagnée à la maison.
— Assieds-toi.
Caitlin essayait de déchiffrer l’expression de sa mère, mais c’en était une qu’elle ne lui avait encore jamais vue. Elle alla s’asseoir sur le canapé blanc et croisa les bras sur sa poitrine.
Sa mère respira profondément et lui dit :
— J’espère que tu as bien profité de ta petite promenade, Caitlin, parce que c’était le dernier après-midi normal de ta vie.
Caitlin était inquiète. Est-ce que sa mère était au courant de la photo qu’elle avait envoyée à Matt ? Non, c’était impossible. Webmind ne pouvait pas l’avoir dénoncée.
— Maman, tu ne peux pas me priver de sortie !
Sa mère arrêta de faire les cent pas et – Caitlin ouvrit de grands yeux – elle s’agenouilla devant sa fille et lui prit les mains. Elle-même avait les mains tremblantes. Elle regarda Caitlin droit dans les yeux.
— Ils savent.
— Quoi ?
— Pour toi et Webmind.
— Qui est au courant ?
— Bientôt… tout le monde. Tout le monde sur cette fichue planète. Je viens juste de recevoir un coup de fil, de ABC News. Ils savent que c’est toi qui as permis à Webmind d’émerger.
Caitlin en fut ébahie.
— Comment… comment l’ont-ils appris ? Sa mère se releva.
— Ah, mon Dieu, comme nous avons pu être bêtes de croire que ça resterait un secret. Nous savions que le gouvernement américain t’avait identifiée – et qu’il avait aussi informé le CSIS et le gouvernement japonais. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il y ait une fuite, et…
Le téléphone sonna. Elle jeta un coup d’œil à sa fille avant de décrocher.
— Allô ? C’est de la part de qui ? (Et puis :) Écoutez, je suis sa mère. Elle n’a que seize ans, bon sang. Quoi ? Non, non, nous n’avons pas l’intention de prendre un vol pour Washington ce soir, bonté divine… Oui, oui, je sais qu’il faut qu’elle parle à quelqu’un… Écoutez, ABC a déjà appelé, et… Non, non, nous n’avons pris aucun engagement. Bon, très bien, très bien. Oui, oui. Non, je l’ai déjà – il est là sous mes yeux, sur l’écran d’appel. Bon, d’accord, si vous y tenez. Oui, au revoir. Je – non, non. Au revoir.
Elle raccrocha.
— C’était NBC, dit-elle. Meet the Press .
Le téléphone sonna de nouveau. La mère de Caitlin appuya sur un bouton et la sonnerie s’arrêta – du moins, ici : les autres combinés de la maison continuaient de carillonner.
— Laissons le répondeur s’en occuper, dit-elle.
Et effectivement, Caitlin entendit le son étouffé d’un message laissé par un autre journaliste. Le répondeur était dans la cuisine.
— Je devrais appeler ton père, dit sa mère. J’ai laissé mon portable là-haut, je peux me servir du tien ?
— Bien sûr, dit Caitlin en sortant son BlackBerry rouge de sa poche.
Elle composa le numéro et tendit l’appareil à sa mère. Elles attendirent qu’il réponde, et puis, au bout de quelques secondes, d’une voix désespérée, sa mère dit :
— Malcolm… c’est la cata. Les médias sont au courant pour Caitlin et Webmind…
Zhang Bo, le ministre chinois des Communications, ne pensait pas souvent au côté paradoxal de son titre – mais ces dernières semaines, il le hantait.
Le Parti communiste affirmait ne vouloir aucune influence extérieure, mais il regarda ce qu’il portait : un costume bleu à la mode occidentale, avec aujourd’hui une cravate grise. Il n’avait que quarante-cinq ans, mais il se souvenait de l’époque des costumes Mao – les vestes unies à col haut portées sous le règne de Mao Zedong. En fait, étant donné sa corpulence, une veste Mao lui aurait été beaucoup plus seyante, mais au moins, avec les règles actuelles, il avait droit à une petite moustache. C’était également une influence occidentale : son acteur américain préféré en avait une toute semblable.
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