La nuit était nuageuse et un vent très froid soufflait. Ma respiration s’échappait en petits flocons qui s’envolaient aussitôt. Le seul témoin de mes exercices d’équilibriste sur le toit était un chat, à l’air fatigué, accroupi dans l’encoignure d’une lucarne. Le froid s’était déclaré lorsque j’étais arrivé en ville, la nuit précédente, voyage résultant d’une décision que j’avais prise la veille sur le divan de Hal.
Quand Charv et Ragma, à ma requête, m’avaient fait atterrir à quelque quatre-vingts kilomètres de la ville, en pleine nuit noire, j’avais fait de l’auto-stop et atteins mon quartier bien après minuit. Et c’était heureux.
Une rue latérale qui se termine en cul-de-sac dans la mienne donne juste en face de ma maison. Quand on prend cette rue, les fenêtres de mon appartement sont pleinement visibles. Plus naturellement dans l’obscurité et le calme de la nuit que pendant la journée, je les cherchai des yeux. Sombres, elles l’étaient Comme elles devaient l’être. Vides. Inoccupées.
C’est alors que trente secondes plus tard, tandis que j’approchais du coin, j’aperçus un petit éclat de lumière, minuscule, puis plus rien.
À tout autre moment, j’aurais négligé ce détail, en supposant même que j’y aie fait attention. Cela pouvait être un reflet ou l’affaire de mon imagination. Et pourtant…
Oui. Mais récemment remis à neuf et les oreilles encore remplies d’avertissements, j’aurais été un idiot de ne pas me montrer prudent. Ni un idiot ni un raisin sec ne serai, décidai-je, tandis que n’écoutant que ma prudence, je tournai à droite et rebroussai chemin.
Je longeai quelques rues, tournai et arrivai enfin à la petite allée derrière mon building. Il y avait une entrée de service mais je l’évitai soigneusement et grimpai selon mes bonnes habitudes de gouttières en fenêtres, de rebords en escaliers de secours.
En un rien de temps, j’étais sur le toit et le traversai. Puis je me laissai glisser le long d’une descente d’eau jusqu’à l’endroit où je m’étais entretenu avec Paul Byler. Je m’avançai le long du rebord et jetai un coup d’œil par la fenêtre de ma chambre à coucher. Il faisait trop sombre pour discerner quoi que ce soit. C’était à l’autre fenêtre, toutefois, que s’était profilé ce qu’on aurait pu prendre pour la flamme d’une allumette.
Je posai mes doigts sur la vitre, appuyai fermement, puis exerçai une pression continue vers le haut. La fenêtre s’ouvrit sans un bruit, récompense de ma considération. Car, étant sujet aux insomnies et vu mon vif penchant pour les ébats nocturnes, je cirais abondamment les rainures du chambranle pour ne pas troubler le sommeil de mon colocataire.
Abandonnant mes chaussures sur le rebord de la fenêtre, j’entrai et me tins debout, immobile, prêt à fuir.
J’attendis une minute en respirant lentement par la bouche. Moins bruyant comme ça. Une autre minute…
Le craquement de mon fauteuil inconfortable me parvint, effet qui se produit toujours quand l’occupant décroise ses jambes pour les recroiser.
Ce qui situerait une personne sur la droite du bureau dans la pièce principale, près de la fenêtre.
– Reste-t-il encore du café dans ce truc ? réussit à murmurer une voix rocailleuse.
– Je crois que oui, répondit une autre voix.
– Alors, donne-m’en un peu.
Bruits d’une thermos qu’on débouche, de liquide qu’on verse. Des grincements, des cognements. Un marmonnement : « Merci. » Ce qui voulait dire que l’autre type était assis au bureau.
Sirotement. Soupir. Grattement d’une allumette. Silence.
Puis :
– Ce serait drôle s’il s’était fait tuer.
Reniflement méprisant.
– Ouais, mais ça n’est guère probable, malgré tout.
– Comment peux-tu dire ça ?
– Il pue la chance, ce type. Et puis, il est tellement bizarre.
– Ça, je suis d’accord. Je voudrais bien qu’il se dépêche de rentrer.
– Tu n’es pas le seul à le penser.
Le type assis dans le fauteuil se leva et s’approcha de la fenêtre. Au bout d’un moment, il soupira :
– Encore combien de temps, Dieu du ciel ?
– Le résultat vaut le coup d’attendre.
– Je suis bien d’accord. Mais plus vite nous mettrons la main sur lui et mieux ce sera.
– Bien sûr. Je bois à cet événement.
– Voyez-vous ça ! Qu’est-ce tu as là ?
– Un peu de brandy.
– Et pendant tout ce temps tu m’as abreuvé de cette boue noirâtre !
– Tu demandais toujours du café. De plus, je viens de le trouver.
– Passe donc ça par ici.
– Il y a un autre verre. Vas-y doucement. C’est du bon.
– Verse toujours !
J’entendis qu’on débouchait ma bouteille de Noël. Quelques cliquetis suivirent, puis des bruits de pas.
– Tiens, voilà !
– Ça sent bon.
– N’est-ce pas ?
– A la Reine !
Un bruit de pieds. Un seul tintement.
– Que Dieu la garde !
Ils se rassirent et retombèrent dans le silence. Je restai sans bouger pendant peut-être un quart d’heure, mais plus aucune parole ne fut prononcée.
Je me faufilai alors jusqu’à l’étagère, y trouvai l’argent que j’avais laissé dans la botte, le pris, l’empochai, et me retirai sur le rebord en saillie.
Je refermai la fenêtre aussi soigneusement que je l’avais ouverte, me réfugiai sur le toit, rencontrai un chat noir qui bomba le dos et siffla – vieille superstition, mais je ne l’en blâme pas – et poursuivis mon chemin.
Après avoir examiné le building de Hal pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’autres rôdeurs en dehors de moi-même, je l’appelai de la cabine téléphonique, au coin de la rue. Je fus quelque peu surpris qu’on réponde à mon appel à la seconde.
– Ouais ?
– Hal ?
– Ouais. Qui c’est ?
– Ton vieux copain qui grimpe sur les trucs.
– Oh ! là ! Dans quelle galère t’es-tu fourré ?
– Si je le savais, je serais récompensé de toutes mes peines. Peux-tu me donner quelques indications là-dessus ?
– Probablement rien d’important. Mais il y a quelques petits trucs qui pourraient…
– Ecoute, est-ce que je peux venir ?
– Sûr, pourquoi pas ?
– Je veux dire maintenant. Je ne voudrais pas être indiscret mais…
– Pas de problème. Viens.
– Et toi, ça va ?
– Eh bien, non. Mary et moi avons eu des mots et elle est allée passer le week-end chez sa mère. Je suis à moitié rond, ce qui me laisse à moitié sobre. C’est suffisant. Tu me raconteras tes ennuis et je te raconterai les miens.
– D’accord. J’arrive dans une minute.
– Formidable. Je t’attends, alors.
Je reposai le combiné, marchai jusque chez lui, sonnai en bas et fus admis. Quelques instants plus tard, je frappai à sa porte.
– C’est du rapide, dit-il, en ouvrant largement la porte et en me laissant passer. Entre, toi et toutes tes bénédictions.
– Dans quel ordre ?
– Oh ! tes bénédictions d’abord. Ça ne ferait pas de mal à cette maison.
– Je bénis, alors, dis-je en entrant. Désolé d’apprendre que tu as des ennuis.
– Ça passera. Tout a commencé avec un dîner brûlé et un retard éventuel à un spectacle, c’est tout. Stupide. Je croyais que c’était elle quand le téléphone a sonné. Je suppose qu’il faudra que je présente mes excuses demain matin. La gueule de bois devrait me rendre exceptionnellement repentant. Qu’est-ce que tu veux boire ?
– En fait… Oh ! allez merde ! N’importe quoi. Ce que tu as.
– Une goutte de soda dans une mer de scotch.
– Fais-moi le truc dans le sens contraire, dis-je en entrant dans le living-room et m’installant dans un grand fauteuil moelleux à l’inclinaison idéale.
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