— Je crois, dit Don en se tournant de nouveau vers sa fille, qu’elle est en train d’écrire une nouvelle page d’Histoire.
Redevenir jeune ! Tant de gens en avaient rêvé au cours des siècles, mais pour Don Halifax, le rêve était devenu réalité – et c’était extraordinaire . Il savait bien que sa force et sa vitalité avaient décliné avec les années, mais comme ce déclin avait été progressif, il ne s’était pas rendu compte de tout ce qu’il avait perdu. Mais tout était revenu au cours des six derniers mois, et le contraste était stupéfiant. Il avait l’impression d’être en permanence dopé à la caféine. Il se sentait plein de vigueur et d’entrain, avec un punch terrible – « punch », un bon mot à jouer au Scrabble… Du pep, aussi, mais moins facile à placer à cause des deux « p »… Il vérifia le mot dans son datacom : « énergie débordante », put-il lire.
C’était bien ça ! Exactement ! Son énergie paraissait sans limites, et il exultait de l’avoir retrouvée. C’était comme s’il avait gagné le gros lot, sauf qu’en fait, c’est une centaine de gros lots qu’il avait gagnés d’un coup étant donné les milliards de dollars dépensés pour son traitement. Il se sentait revivre , totalement et joyeusement. Il ne traînait plus les pieds… il faisait de grandes enjambées. En marchant, il avait l’impression d’être sur un de ces trottoirs roulants dans les aéroports, comme s’il était une créature bionique capable de se déplacer si vite que les passants n’arrivaient pas à le distinguer. Il pouvait soulever de lourdes caisses, sauter par-dessus les flaques, pratiquement monter les escaliers en volant… Ce n’était pas tout à fait comme sauter par-dessus des gratte-ciel d’un seul bond, mais c’était quand même sacrément agréable.
Et il y avait une cerise sur ce délicieux gâteau : l’arrière-plan de douleurs qui l’avait accompagné pendant si longtemps avait complètement disparu. C’était comme s’il était resté assis pendant des années à côté d’un réacteur d’avion, essayant toujours d’atténuer le rugissement, de l’ignorer, et voilà tout à coup qu’on avait coupé le moteur… Ce silence était enivrant. Comme le disait la chanson, les jeunes sont incapables d’apprécier leur jeunesse. C’était tellement vrai – parce que les jeunes ne pouvaient pas comprendre ce qu’on ressentait une fois qu’elle s’était enfuie ! Mais maintenant, lui, il l’avait retrouvée !
Le Dr Petra Jones lui confirma que son rollback était terminé. Son rythme de division cellulaire, lui dit-elle, s’était ralenti pour revenir à la normale, et ses télomères recommençaient à se raccourcir à chaque division, tandis que des anneaux de croissance se reformaient dans ses os, etc. On avait également procédé à toutes les opérations complémentaires. Il avait désormais des cristallins tout neufs, on lui avait remplacé un rein et la prostate, le tout obtenu en clonant ses propres cellules. Son nez avait été restauré aux simples proportions majestueuses de sa jeunesse, tandis que l’excédent de cartilage de ses oreilles avait été retiré. On lui avait blanchi les dents et remplacé les deux plombages qui lui restaient. Et on l’avait retaillé ici et là pour parfaire quelques détails. Sur le plan pratique, il avait désormais physiquement vingt-cinq ans, et recommençait à vieillir normalement à partir de là.
Don n’avait pas encore fini de s’habituer à ces merveilleuses améliorations. Son audition était redevenue parfaite, tout comme sa vue. Mais il avait dû renouveler entièrement sa garde-robe. Grâce aux traitements de recalcification et à la thérapie génique, il avait regagné les cinq centimètres perdus avec l’âge. Quant à ses bras et ses jambes, qui s’étaient réduits à un peu de peau sur les os, ils s’étaient agréablement remusclés. Bon, d’un autre côté, sa collection de gilets et de chemises à col boutonné aurait vraiment paru bizarre sur un gaillard de vingt-cinq ans…
Il avait également dû renoncer à porter son alliance. Une dizaine d’années plus tôt, il l’avait fait rétrécir car ses doigts étaient devenus plus fins avec l’âge. Mais à présent, elle le serrait trop. Il avait décidé d’attendre que son rollback soit terminé pour la faire remettre à la bonne taille, et c’était ce qu’il ferait dès qu’il aurait trouvé un bon joaillier. Il n’avait pas l’intention de confier ce travail à n’importe qui.
Les lois de l’Ontario imposaient un examen de renouvellement du permis de conduire tous les deux ans pour les personnes âgées de plus de quatre-vingts ans. Don l’avait raté l’année précédente. Ça ne lui avait pas du tout manqué, et puis Sarah était encore capable de conduire s’ils avaient vraiment besoin d’aller quelque part. Mais maintenant, il devrait probablement le repasser. Il n’y avait aucun doute dans son esprit que cette fois-ci, il l’aurait.
Il lui faudrait sans doute bientôt se faire refaire un passeport et de nouvelles cartes de crédit, avec son nouveau visage. En principe, il aurait encore droit aux réductions accordées aux seniors dans les restaurants et les cinémas, mais il lui serait sans doute difficile de les exiger sans devoir affronter l’incrédulité du personnel. Vraiment dommage… Contrairement à tous ceux qui avaient bénéficié jusqu’ici d’un rollback, il ne pouvait pas se permettre de cracher sur ce genre de petites économies.
Malgré tous ses aspects formidables, il y avait quand même quelques inconvénients à cette jeunesse retrouvée. Sarah et Don dépensaient le double en nourriture. Et Don dormait beaucoup plus. Ces dix dernières années, Sarah et lui s’étaient contentés de six heures de sommeil par nuit, mais il constatait qu’il avait à présent besoin de huit. C’était un bien modeste prix à payer : perdre deux heures par jour en échange de soixante années supplémentaires. De toute façon, maintenant qu’il recommençait à vieillir, ses besoins en sommeil et en nourriture diminueraient sans doute de nouveau.
Il était onze heures du soir, et Don se préparait à se coucher. D’habitude, il passait peu de temps dans la salle de bains, mais il était sorti aujourd’hui, et le temps avait été chaud et lourd. Toronto en août avait été désagréable lorsqu’il était enfant, mais la chaleur et l’humidité étaient devenues carrément insupportables au fil du temps. Il savait qu’il n’arriverait pas à bien dormir s’il ne se douchait pas d’abord. Carl leur avait installé autrefois une de ces barres en diagonale pour qu’ils puissent s’agripper. Sarah en avait encore besoin, mais Don trouvait ça maintenant plutôt gênant.
Il se fit un shampoing et trouva la sensation très agréable. Il avait maintenant une tignasse de cheveux châtain clair de cinq centimètres de long, et il adorait passer la main dedans. Les poils sur sa poitrine n’étaient plus blancs, et ses autres pilosités avaient cessé d’être grisâtres.
La douche était sensuelle, et il y prenait un grand plaisir. En procédant à sa toilette intime, il sentit son sexe se durcir. Tandis que l’eau continuait de ruisseler sur son corps, il commença à se caresser distraitement. Il pensait finir le travail lui-même – ce qui semblait être la meilleure solution – quand Sarah entra dans la salle de bains. Il l’apercevait à travers le rideau translucide de la douche. Elle était penchée au-dessus du lavabo. Il se rinça, ce qui mit fin à son érection. Il ferma le robinet, tira le rideau et sortit de la baignoire. Il avait maintenant repris l’habitude de passer une jambe après l’autre par-dessus le rebord sans aucune difficulté, et sans être obligé – comme c’était devenu le cas ces dernières années – de s’asseoir pour y arriver.
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