Et puis merde, si ça ne lui permet pas de reconquérir Naomi, il a déjà l’œil sur deux ou trois de ses copines. Apparemment, le dégagement subit de méthane dans l’atmosphère a déclenché l’apparition de quantité d’organisations proposant diverses solutions au problème (hormis celle consistant à encourager la poursuite du dégagement). Dès que la NOAA ou l’UNESCO publieront un rapport officiel, celles d’entre elles dont le point de vue sera plus ou moins confirmé vont faire boule de neige.
S’il décide dès à présent d’adhérer à la bonne…
Il se morigène pendant quelques instants. Et s’efforce de ne pas remarquer qu’il imite Naomi en faisant son autocritique. En fait, il est incapable de poursuivre dans cette voie ; jamais il n’est parvenu à se mépriser comme le fait Naomi. S’il doit adhérer à une quelconque organisation, c’est parce qu’il croira en son but et souhaitera participer à sa réalisation, poussé par un amour altruiste de…
Et puis merde, autant bosser pour une organisation qui est sur la bonne voie, jamais il ne pourrait s’associer à des illuminés, et comme il est plutôt doué pour l’analyse des situations, autant en tirer profit tout de suite. Peut-être que Di sera en mesure de l’aider.
Il attrape un miroir dans son portefeuille, le déroule, le colle au mur et, à coups de peigne et de serviette, se rend plus ou moins présentable avant d’appeler Di ; celui-ci a gardé des réflexes de grand frère et, s’il s’aperçoit que Jesse est troublé, il ne lui dira jamais ce qu’il souhaite savoir avant de lui avoir arraché une confession. Il décroche son téléphone à sa ceinture, branche la fiche vidéo à la prise murale et compose le numéro de Di.
Son appel est suffisamment prioritaire pour atteindre Di à son bureau, pas assez pour être transmis s’il a bloqué les communications non urgentes. Peut-être l’interrompra-t-il dans son travail, mais pas s’il est en pleine réunion ; cet appel sera transmis par les lignes et les services les moins onéreux du labyrinthe du réseau informatique, si bien que le signal va se trouver dispersé en tranches de quelques millisecondes chacune. Jesse ne se soucie aucunement de cette procédure, mais c’est néanmoins celle-ci qui entre en vigueur.
Randy Householder ne se fie même pas aux gens qu’il admire. Il sait qu’il a fallu une personne haut placée pour empêcher tout progrès dans l’enquête sur la mort de Kimbie Dee. La loi Diem prévoit des peines si graves pour les crimes de ce type que la pègre refuse en général de distribuer les bandes clandestines – il paraît même que les truands contactent les flics quand ils en trouvent une. Le responsable est par conséquent un gros bonnet.
Si jamais il est capturé un jour, de l’avis de Randy, ce sera parce qu’un type encore plus haut placé que lui – un type incorruptible – l’aura traqué sans merci, et son enquête aura été menée de façon strictement confidentielle, en dehors des canaux habituels. Cependant, Randy se demande parfois s’il n’est pas le seul à poursuivre encore cette traque.
Mais s’il y a bel et bien une autre enquête en cours, elle est du fait d’un personnage puissant, incorruptible et fermement décidé à éradiquer le XV-porno – et ce personnage ne peut être que Harris Diem soi-même.
Si bien que les datarats de Randy sont constamment en quête de toute information relative à Diem. L’un d’eux sait que Di Callare est un contact occasionnel de Diem et – comme il n’a rien de mieux à faire – il décide de s’accrocher à l’un des signaux de Jesse. Cela a pour effet de retarder de trois millisecondes la transmission de ce signal, mais aussi de faire apparaître un nœud de communication jusqu’ici insoupçonné entre la Maison-Blanche et les agences scientifiques, un nœud grouillant de codes assez anciens relatifs à Harris Diem. Le tout n’est guère prometteur, mais Randy s’attend à trouver des informations dans les lieux les plus improbables.
Le datarat jette un coup d’œil à sa trouvaille, la juge intéressante et transmet un signal aux autres datarats de Randy pour leur demander de lui dépêcher des copies. Randy ne s’en soucie pas pour l’instant. Peut-être que ça apportera quelque chose d’intéressant.
Di Callare est assis dans son bureau de la NOAA, les pieds sur la table et les yeux fixés sur un graphe qui devient de plus en plus complexe à mesure qu’il dialogue avec son ordinateur. Il s’efforce de répartir les tâches entre les membres de son équipe.
Peter est un brave type et son intuition est infaillible en matière de climat, mais il est tout sauf brillant et redoute de formuler même la plus évidente de ses conclusions. Talley a un esprit vif, une imagination débordante et des idées originales, mais elle a tendance à se laisser emporter par ses spéculations et n’a aucun sens politique. En outre, Lori est un peu jalouse de son intelligence exceptionnelle, et si Di travaille trop étroitement avec elle, glisse trop souvent son nom dans la conversation, l’ambiance familiale risque de se détériorer dans les semaines à venir.
D’un autre côté, Talley a tendance à porter sur les nerfs de quiconque fait équipe avec elle. Seul Di est capable de la contredire ; peut-être est-ce à cause de sa beauté, mais il ne voit pas pourquoi elle aurait raison tout le temps.
Mohammed et Wo sont avant tout des mathématiciens et ils aiment travailler ensemble. En temps normal, cela ferait d’eux un duo idéal, mais le fait de conjuguer leurs talents les pousse à écarter de leurs rapports leurs idées les plus délirantes… et c’est précisément ce genre d’idées dont il a besoin en ce moment. Peut-être qu’il pourrait leur associer Gretch, la stagiaire qui les a rejoints. Elle n’est pas très douée en maths, ce qui risque de leur déplaire, mais son intuition est presque à la hauteur de celle de Peter et elle n’a pas assez d’expérience pour considérer une idée comme « trop délirante ».
C’est vraiment une bonne équipe. Il a passé un long moment à en rassembler les éléments. Il regrette un peu de leur confier une tâche si complexe, mais ni lui ni Henry Pauliss n’avaient vraiment le choix. Bon Dieu, Harris Diem et le président Hardshaw n’avaient pas le choix, eux non plus.
Le signal dirigé vers son téléphone – « Contactez Di Callare sauf s’il a bloqué sa ligne aux appels non urgents » – atterrit à Washington en quatre fragments provenant de deux satellites et de quatre liaisons terrestres en fibrop, se voit reconstitué dans un commutateur situé à six rues de son bureau, profite d’une brèche dans la liaison avec la Maison-Blanche – c’est là qu’il perd trois millisecondes pendant qu’un datarat en émerge pour explorer les connexions – et pénètre dans le registre mémoriel de son appareil, qui est caché sous une sortie d’imprimante donnant un résumé statistique de plusieurs milliards de modélisations.
Le téléphone sonne, Di tend la main, et téléphone et résumé tombent dans la corbeille. Il attrape celle-ci pour y pêcher le combiné et dit :
— Mettez le projet actuel en veilleuse, s’il vous plaît. Prenez cet appel et dirigez-le sur mon écran et mes haut-parleurs.
L’écran affiche aussitôt le visage de son petit frère.
— Jesse ! Qu’est-ce qui t’amène ?
— Oh, des trucs divers et variés. Euh… tu as dix minutes à me consacrer ? Ce n’est pas super-important.
— Tu tombes bien, j’avais envie de faire une pause.
Jesse le gratifie du petit sourire qu’il a hérité de leur mère, puis se lance :
— Je ne te demande pas de me confier des secrets, ni même de me faire une déclaration officieuse, mais j’ai quelques copains qui se demandent si cette histoire de méthane est grave ou pas, et je leur ai plus ou moins promis de t’en toucher un mot, au cas où tu saurais plus de choses qu’on n’en a dit aux infos…
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