— Je crois que tu as raison et c’est pourquoi je ne peux pas me permettre de leur laisser ce qu’offre la planète de cristal. Dieu seul sait ce qu’il y a dans cette bibliothèque. Je n’en ai eu qu’un aperçu et même avec dix millions d’années-lumière pour les comprendre, il y a certains sujets qui m’étaient totalement hermétiques. Cela ne veut pas dire qu’avec du temps et des capacités que je ne possède pas et dont je n’ai même jamais entendu parler, l’homme n’y arriverait pas. Je crois qu’il le pourrait et que les Roulants le peuvent déjà. C’est peut-être ce savoir qui nous sépare d’eux. Si un jour les Humains et les Roulants doivent s’opposer, le trésor de la planète de cristal pourrait bien être ce qui ferait notre victoire ou notre défaite. Et peut-être que les Roulants, sachant ce que nous posséderions, essaieraient d’éviter le heurt. C’est peut-être de cela que dépendent la guerre et la paix.
Il se tenait recroquevillé sur son siège et dans la chaleur de l’après-midi, il percevait un courant d’air étranger au paysage tendre et au ciel de soie.
— Tu as parlé au Banshee juste avant sa mort. T’a-t-il laissé entendre ce que pourrait être l’Artifact ?
— Non. Fantôme, il ne m’a rien dit. Mais, après coup, il m’est venu une idée, ou plutôt une impression sans aucun fondement solide. Je crois que l’Artifact provient de l’univers dont s’est détachée la planète de cristal. Peut-être s’agit-il de quelque chose de précieux, sauvegardé au travers des millénaires. Et je crois aussi que le Banshee et tous les autres qui, d’après Oop, peuplaient l’ancien univers ont un rapport avec les habitants de la planète de cristal. Toutes ces créatures étaient nées et s’étaient développées dans l’univers disparu puis elles sont venues sur la Terre et sur d’autres planètes pour les coloniser. Mais tous leurs essais ont échoué. Sur la Terre, c’est à cause de l’évolution de l’Homme ; sans doute y eut-il d’autres motifs sur les autres planètes. Je crois connaître celui de certains échecs. Il est possible qu’un jour les races doivent s’éteindre tout naturellement, pour laisser la place à quelque chose de nouveau, selon une mystérieuse loi de la nature. Peut-être que toute race a un temps de vie limité ? Peut-être que certaines créatures très anciennes portent avec elles leur ordre d’exécution ? Nous n’y avons jamais pensé parce que l’Homme est encore tout neuf. Ce serait un procédé naturel pour laisser la voie libre à l’évolution, pour qu’aucune race ne puisse l’entraver…
— Je trouve que c’est assez sensé. Je parle des colonies qui disparaissent. S’il existait quelque part dans l’Univers une colonie victorieuse, la planète de cristal lui transmettrait son héritage, plutôt que de l’offrir à nous ou aux Roulants, alors que nous n’avons ni les uns ni les autres, aucun rapport avec elle.
— Il y a un point qui me tracasse. Pourquoi les habitants de la planète de cristal, alors qu’ils ne sont plus que des ombres, désirent-ils l’Artifact ? Qu’est-il pour eux ? Que peuvent-ils en faire ?
— Peut-être que si nous savions ce qu’il est exactement… Tu n’as vraiment aucune idée ? Tu n’as rien vu, rien entendu ?
— Non, je ne vois vraiment pas.
Harlow Sharp avait l’air harassé :
— Excuse-moi de t’avoir fait attendre. C’est un mauvais jour.
— De toute façon, je suis content de pouvoir te parler, répondit Maxwell. Ton cerbère ne voulait pas me laisser entrer.
— Je t’attendais. Je savais que tu viendrais, tôt ou tard. J’ai entendu de drôles d’histoires.
— La plupart sont vraies, mais je ne suis pas ici pour cela, je suis ici pour affaires. Je n’en ai pas pour longtemps.
— Que puis-je faire pour toi ?
— Tu vends l’Artifact.
Sharp acquiesça :
— Je suis navré, Pete. Je sais que toi et quelques autres vous y intéressez mais il y a longtemps qu’il est dans le musée et il n’a jamais servi qu’à satisfaire la curiosité des visiteurs. Le Temps a besoin d’argent, tu le sais sûrement. L’Université tient les cordons de la bourse bien serrés et les autres collèges nous font des aumônes, pour des projets bien précis et…
— Je sais tout cela. Si tu veux le vendre, je pense que cela te regarde. Je me souviens que l’Université ne voulait pas s’en mêler. Je me rappelle que c’était à vous de payer le transport et que…
Sharp l’interrompit :
— Nous avons dû racler les fonds de tiroirs, mendier, emprunter. Nous avons élaboré projet après projet, des projets bien solides, qui auraient fait date dans la science. Nous les avons proposés et personne ne nous les a achetés. Tu te rends compte ! Tout le passé à explorer et personne pour s’y intéresser ! Peut-être ont-ils peur que nous ne bousculions certaines de leurs théories favorites. Mais il nous faut de l’argent pour continuer. Crois-tu que je sois toujours satisfait de ce que nous sommes obligés de faire pour en trouver ? Comme cette histoire de Shakespeare et bien d’autres. Je te garantis que cela ne nous fait pas une bonne presse, cela diminue notre prestige et l’importance de nos problèmes. Tu peux t’imaginer les tracas que nous avons. Regarde par exemple cette affaire de Shakespeare. Il est en train de se promener quelque part par-là comme un simple touriste et moi, je suis ici, à me ronger les ongles, à imaginer tout ce qui pourrait lui arriver. Te rends-tu compte du scandale qui éclaterait s’il ne voulait pas retourner dans son époque, un homme qui…
Maxwell le coupa :
— Je ne suis pas venu pour…
— Et puis, continua Sharp, tout à coup s’est présentée l’occasion de vendre l’Artifact, pour une somme supérieure à ce que nous pouvons espérer tirer de cette Université en plus de cent ans. Tu dois comprendre ce que cela signifie pour nous. Enfin nous allons pouvoir réaliser nos projets. Bien entendu, je connais les Roulants. Quand Churchill est venu faire le joli cœur, je savais qu’il travaillait pour le compte de quelqu’un et je n’étais pas d’accord. J’ai voulu savoir à qui j’avais à faire. Quand il me l’a dit, j’ai hésité, mais je me suis repris car je savais que c’était le seul système pour obtenir une somme convenable. J’aurais traité avec le diable pour avoir cet argent.
— Harlow, tout ce que je veux te demander est de reculer l’échéance de cette affaire, pour me laisser un peu de temps.
— Du temps ? Pour quoi faire ?
— J’ai besoin de l’Artifact !
— Pourquoi ?
— Il doit me servir de monnaie d’échange avec une planète remplie de science. Des connaissances amassées non pas par un univers mais deux. Cela représente peut-être cinquante billions d’années de savoir.
Sharp se pencha en avant puis se renfonça dans son fauteuil :
— Tu dis la vérité ? Tu ne te moques pas de moi ? J’ai entendu de drôles d’histoires, on m’a parlé de deux Pete Maxwell dont l’un aurait été tué. On m’a dit que tu avais roulé les journalistes, peut-être aussi les flics, que tu avais eu une prise de bec avec l’Administration.
— Harlow, je pourrais tout te raconter mais cela ne servirait à rien, tu ne me croirais pas. Mais je te dis la vérité, je peux acheter une planète.
— Toi ? Pour toi ?
— Non, pas pour moi, pour l’Université. C’est pourquoi il me faut du temps pour pouvoir rencontrer Arnold.
— Et lui passer l’affaire ? Pete, tu n’as aucune chance. Tu t’es disputé avec Longfellow et c’est lui qui décide. Même si ton offre était valable…
— Elle l’est, je te le garantis ! J’ai parlé avec les habitants de la planète en question. J’ai vu quelques-uns de leurs documents.
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