— Et vous avez aussi parlé de moi au Roulant, dit-il. C’est pour cela que Churchill m’attendait à la gare. Il m’a dit qu’il rentrait de voyage, mais c’était faux.
Il se releva, furieux :
— Et l’autre moi, celui qui est mort ?
Il se tourna vers l’arbre mais celui-ci était vide, le nuage avait disparu. Les branches se tendaient nettes et nues vers le ciel.
Le Banshee n’était pas mort, il s’était évanoui. La substance d’une créature élémentaire était retournée aux éléments. Les liens invisibles qui lui avaient permis de vivre s’étaient finalement relâchés et le Banshee avait coulé dans l’air comme une pincée de poudre.
Vivant, le Banshee n’avait pas été facile à côtoyer, sa mort n’avait rien changé. Pendant un instant, Maxwell avait éprouvé de la pitié à son égard, comme on en ressent devant ce qui meurt, mais c’était de la pitié mal placée car le Banshee était mort en se moquant de la race humaine.
Maxwell n’avait plus qu’une chance. Persuader le Temps de faire traîner la vente de l’Artifact. Il pourrait alors rencontrer Arnold, lui raconter son histoire et le persuader d’une façon ou d’une autre de la véracité de ses dires. Son histoire était encore plus incroyable maintenant.
Il rebroussa chemin et descendit le ravin. Avant d’atteindre les bois, il se retourna. L’arbre se découpait sur le ciel, massif et vigoureux, solidement enraciné dans le sol.
En passant devant la pelouse aux Fées, il vit un groupe de Trolls qui travaillaient d’un air morose. Ils ratissaient et aplanissaient le sol, ils plantaient un nouveau gazon pour remplacer celui qu’ils avaient abîmé avec la pierre. De la pierre elle-même, pas de trace.
Maxwell avait parcouru la moitié du chemin qui le séparait du campus quand Fantôme se matérialisa et prit place à côté de lui.
— J’ai un message de la part de Oop, dit-il sans aucune autre forme de préambule. Tu ne dois pas retourner à la cabane. Il semble que les journalistes aient retrouvé ta piste, ils sont venus aux renseignements et Oop les a fait déguerpir mais ils rôdent toujours dans les parages.
— Merci de m’avoir prévenu. Quoique, à mon avis, cela n’ait plus beaucoup d’importance.
— Pourquoi ? Ça ne va pas ?
— Pas du tout. Je pense que Oop t’a raconté ?
— Oop et moi ne faisons qu’un. Bien sûr qu’il m’a raconté, d’ailleurs il pensait que tu t’en douterais. Mais tu peux être tranquille…
— Je ne te le demandais pas pour cela mais pour savoir s’il me faudrait tout raconter depuis le début. Donc tu sais que je suis allé à la réserve pour vérifier l’histoire du tableau de Lambert.
— Oui, celui de Nancy Clayton.
— J’en ai peut-être découvert davantage que je n’espérais. En tout cas, j’ai trouvé quelque chose qui n’est pas fait pour m’aider : c’est le Banshee qui a dit au Roulant le prix que demande la planète de cristal, alors que c’était à moi qu’il aurait dû le dire. Il a dit qu’il ne connaissait pas encore mon rôle dans cette affaire mais je n’y crois guère. Il était mourant quand il m’a parlé mais cela n’est pas une raison pour m’avoir dit la vérité, il a toujours été plutôt sournois.
— Le Banshee ? mourant ?
— À l’heure qu’il est, il est même mort. Je suis resté auprès de lui jusqu’à sa mort. Je ne lui ai pas fait voir la photo, je n’ai pas eu le cœur de l’ennuyer.
— Mais il t’a parlé du Roulant ?
— Simplement pour me dire qu’il avait détesté la race humaine dès le début de son évolution et qu’enfin il était quitte. Il aurait bien voulu me dire que les Lutins et tous les autres Petits Hommes nous détestaient aussi mais il n’a pas osé, il savait que je ne le croirais pas. Cependant, une phrase de M. O’Toole m’a fait réaliser qu’il existait sans doute une certaine rancœur, mais il ne s’agit pas vraiment de haine de leur part. Le Banshee m’a confirmé que l’Artifact était bien le prix demandé sur la planète de cristal ; c’est ce que je pensais depuis le début et ce que m’a dit le Roulant hier soir n’avait fait que me confirmer dans cette idée. En fait, le Roulant lui-même n’avait pas l’air d’être très sûr de la situation, sinon pourquoi m’aurait-il fait venir pour me proposer du travail ? On aurait dit qu’il voulait m’éliminer comme s’il avait peur que je puisse faire échouer son affaire.
— Il semble que ce soit sans espoir et j’en suis désolé. Peut-être que je peux t’aider ? Oop aussi et même la fille avec laquelle vous avez bu si grossièrement, celle qui a le chat.
— C’est bien mal parti mais il y a encore deux choses à faire. D’abord, aller trouver Harlow Sharp au Temps et tenter de le convaincre de laisser l’affaire en suspens puis, forcer une ou deux portes à l’Administration et coincer Arnold dans son bureau. Si j’arrive à le décider à faire la même offre que le Roulant pour l’Artifact, je suis certain qu’Harlow refusera la proposition du Roulant.
— Tu auras fourni un bel effort mais je ne suis pas très sûr du résultat. Pas en ce qui concerne Harlow Sharp qui est un de tes amis mais plutôt en ce qui concerne le Président Arnold qui, lui n’est l’ami de personne. En plus, il n’appréciera guère les portes enfoncées.
— Tu sais ce que je pense ? Que tu as raison mais on ne peut rien affirmer avant d’avoir essayé. Peut-être qu’Arnold aura une faiblesse et que pour une fois il laissera ses préjugés et sa froideur de côté.
— Je dois te prévenir qu’Harlow Sharp aura peut-être peu de temps à t’accorder, ce serait d’ailleurs la même chose pour n’importe qui. Il a des soucis, Shakespeare est arrivé ce matin.
— Shakespeare ! Bon sang, j’avais oublié qu’il venait ! Maintenant je me le rappelle. Il doit parler demain soir. Il ne manquait plus que cela.
— Shakespeare n’a pas l’air d’être quelqu’un de facile. Il a tout de suite voulu sortir pour voir cette nouvelle époque dont il a tant entendu parler. Le Temps a eu du mal à le persuader de changer ses vêtements élisabéthains pour des vêtements contemporains mais ils l’ont empêché de sortir avant qu’il ne l’ait fait. Et maintenant, le Temps se fait un sang d’encre en pensant à tout ce qui peut lui arriver. Il faut le surveiller mais pas l’énerver. Toute la salle est louée, jusqu’au dernier petit centimètre carré et on ne peut pas courir le risque que quelque chose lui arrive.
— Comment sais-tu tout cela ? On dirait que tu es toujours le premier averti des potins du campus.
Fantôme répondit modestement :
— Je me déplace beaucoup.
— Eh bien, je dois tout de même essayer. Le temps passe. Si Harlow reçoit quelqu’un, ce sera moi.
— Cela paraît incroyable qu’il y ait un tel concours de circonstances pour t’empêcher d’agir. C’est impensable que par pure stupidité, l’Université et la Terre passent à côté de deux univers de savoir.
— C’est à cause du Roulant. Sa proposition fait pression et limite le temps ; si j’en avais davantage, je trouverais bien une solution. Je réussirais bien à rencontrer Harlow. Je pourrais lui proposer un marché, que ce soit le Temps plutôt que la Planète qui achète la bibliothèque de la planète de cristal. Mais le temps me manque. Que sais-tu des Roulants ? Sais-tu quelque chose de plus que nous tous ?
— Je ne le crois pas. Je sais seulement que c’est peut-être cet ennemi que nous avons toujours pensé rencontrer un jour dans l’espace. Leurs actes montrent en tout cas qu’ils pourraient bien l’être. Leurs motivations, leur éthique, leur conception de la vie sont sûrement très différentes des nôtres. Nous avons certainement beaucoup moins de choses en commun avec eux qu’avec une araignée ou une guêpe. Et ils sont intelligents, c’est cela le pire. Ils ont assimilé assez de nos pensées et de nos habitudes pour pouvoir se mêler à nous. D’ailleurs, ils l’ont prouvé dans l’affaire de l’Artifact. Mon ami, vois-tu, c’est surtout leur intelligence et leur maniabilité que je redoute. Je ne crois pas que si les rôles étaient inversés, l’homme se débrouillerait aussi bien.
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