— Je suis certain que M. Basingame sera également intéressé d’apprendre que vous ne lui avez pas fait subir un test de dépistage, ajoutait Gilchrist.
Les symptômes indiquaient une maladie infectieuse : tension peu élevée, respiration difficile, forte température. Mary en avait parlé, lors du trajet. Mais il avait pensé à un staphylocoque ou à une péritonite. De quoi pouvait-il s’agir ? La polio avait disparu, de même que la variole et la typhoïde. Les bactéries ne résistaient pas aux anticorps renforcés et les antiviraux étaient si efficaces que même les rhumes appartenaient au passé.
— Pour quelqu’un qui se préoccupait tant des précautions que nous avions prises, je m’étonne que vous n’ayez pas vérifié si votre tech se droguait, soliloquait Gilchrist.
Une maladie tropicale, sans doute. Mary voulait savoir si Badri n’était pas sorti d’Europe, s’il n’avait pas eu des contacts avec des parents venus du Pakistan. Mais ce pays n’appartenait pas au tiers monde et Badri n’aurait pu quitter la C.E. sans vaccins. Il n’avait fait qu’un bref séjour en Hongrie au début du trimestre puis était resté en Angleterre.
— Allez-vous accaparer le téléphone encore longtemps ? grommela Gilchrist. Je compte moi aussi demander à Basingame de venir prendre la situation en main. Espérez-vous m’empêcher de le joindre par vos manœuvres dilatoires ?
Dunworthy tenait toujours le combiné. Il cilla, pendant que Latimer se levait et tendait les bras devant lui pour l’empêcher de bondir sur l’autre homme.
— Badri n’est pas un drogué. Il est malade.
— Comment pouvez-vous en être certain, sans test de dépistage ?
— Nous sommes en quarantaine. C’est une maladie infectieuse.
— Un virus que nous n’avons pas encore identifié, précisa Mary depuis le seuil de la pièce.
Elle vint poser sur une table un plateau où s’entassaient du matériel et des sachets en papier.
— Probablement un myxovirus, d’après les symptômes. Forte fièvre, désorientation, migraine. Nous nous félicitons que ce ne soit pas un rétrovirus ou un picornavirus, mais nous devrons attendre pour en savoir plus.
Elle tira deux sièges et s’assit.
— Nous avons envoyé des échantillons au Centre Mondial de la Grippe, le C.M.G. de Londres. Nous resterons en quarantaine tant que nous n’aurons pas obtenu une identification formelle, conformément aux directives du ministère de la Santé concernant les risques d’épidémie.
Elle enfila une paire de gants chirurgicaux.
— Une épidémie ! répéta Gilchrist.
Il foudroya Dunworthy du regard, sans doute pour l’accuser d’avoir organisé tout cela afin de jeter le discrédit sur le Médiéval.
— Des risques d’épidémie, le reprit-elle en déchirant un des sachets. On n’a pas signalé un seul autre cas dans toute la Communauté. C’est plutôt rassurant.
— Comment Badri a-t-il pu attraper un virus ? demanda Gilchrist. Je suppose que M. Dunworthy ne s’est pas non plus intéressé à ses antécédents.
— Badri est employé par l’Université, dit Mary. Il a dû être examiné et vacciné en début de trimestre.
— Vous n’en êtes pas certaine ?
— Les services du personnel sont fermés pour Noël et je ne peux consulter son fichier sans son numéro de S.S.
— J’ai envoyé mon secrétaire demander à l’économe s’il n’a pas un double de ces dossiers, intervint Dunworthy. Nous devrions au moins obtenir son matricule.
— Parfait. Nous progresserons dès que nous saurons quels antiviraux lui ont été injectés récemment. Peut-être a-t-il eu des réactions anormales, ou sauté un rappel. Savez-vous quelle est sa religion ? Néo-Hindouisme, peut-être ?
Il secoua la tête.
— Anglicanisme.
Pour les Néo-Hindouistes toute vie était sacrée, même la vie d’un virus. Ils refusaient les vaccins et l’Université leur accordait des dispenses pour raisons religieuses.
— Il n’aurait pas été autorisé à s’occuper du transmetteur.
Mary dut arriver à la même conclusion car elle hocha la tête.
Gilchrist allait parler quand la porte s’ouvrit sur l’infirmière de faction, affublée d’une blouse en papier et d’un masque. Elle tenait dans ses mains gantées des stylos et une liasse de feuilles.
— Nous allons examiner tous ceux qui ont eu des contacts avec le patient. Température et prise de sang. Nous vous demanderons en outre de dresser la liste de tous les gens que vous avez rencontrés, vous et M. Chaudhuri.
Elle remit à Dunworthy de quoi écrire ainsi qu’un formulaire d’admission à l’hôpital et deux tableaux divisés en trois colonnes : « Nom, lieu, moment » — baptisés respectivement « Directs » et « Indirects ».
— Badri est le seul cas connu, rappela Mary. Nous ignorons quel est le mode de transmission, alors citez tous les individus qu’il a approchés.
Badri s’était penché sur Kivrin pour déplacer son bras.
— Nous inclus ? s’enquit la paramed.
— Oui, confirma-t-elle.
— Et Kivrin, déclara Dunworthy.
Elle parut se demander de qui il lui parlait.
— On lui a injecté un assortiment complet d’antiviraux et son système immunitaire a été renforcé, dit Gilchrist. Elle ne courait aucun risque, n’est-ce pas ?
Le docteur Ahrens n’hésita qu’une seconde.
— Non. Elle n’a pas rencontré Badri avant ce matin, j’espère ?
— M. Dunworthy m’a parlé de son tech il y a seulement deux jours. J’ai cru qu’il avait pris les précautions d’usage. Je ne manquerai pas d’informer Basingame de votre négligence, monsieur Dunworthy.
— En ce cas, elle était totalement protégée, affirma Mary. Monsieur Gilchrist, si vous voulez bien.
Elle lui désigna l’autre chaise et il s’assit.
Mary leur montra le tableau intitulé « Directs ».
— Vous inscrirez ici les noms de tous les gens qui ont eu un contact avec Badri, vous inclus, en précisant le lieu et l’heure. Vous noterez sur l’autre feuille qui vous avez côtoyé. Reconstituez votre emploi du temps dans un ordre chronologique inversé.
Elle fit avaler une thermosonde à Gilchrist et pela le sachet d’un moniteur jetable autoadhésif qu’elle appliqua sur son poignet. L’infirmière remit les formulaires à Latimer et à la paramed. Dunworthy s’assit pour remplir les siens.
On lui demandait son nom, son numéro de S.S. et ses antécédents médicaux. Maladies. Interventions chirurgicales. Vaccins. Si Mary ne connaissait pas le matricule de Badri, on pouvait en déduire qu’il était toujours inconscient.
Dunworthy ne savait plus à quelle période il avait reçu son dernier rappel d’antiviraux. Il dessina un point d’interrogation, prit la feuille « Directs » et écrivit son nom et son adresse sur la première ligne. Venaient ensuite Latimer, Gilchrist et les deux parameds. Il ne connaissait pas leurs noms et la femme s’était rendormie, bras croisés sur la poitrine. Il se demanda s’il devait également citer les médecins et infirmiers qui avaient examiné le patient lors de son admission. Il inscrivit : « Personnel des Urgences » suivi d’un autre point d’interrogation. Montoya.
Et Kivrin qui, à en croire Mary, était alors immunisée. « Ce n’est pas normal », avait dit le tech. Se référait-il à son état de santé ? Avait-il eu un malaise pendant qu’il tentait d’obtenir le relèvement et était-il venu au pub leur annoncer qu’il craignait d’avoir contaminé Kivrin ?
Le pub. Pas de clients, seulement le barman. Et Finch, qui était reparti avant l’arrivée de Badri. Dunworthy prit la feuille « Indirects » et écrivit le nom de son secrétaire. Puis il reprit la première liste et nota « serveur du Lamb and Cross ». Le pub avait été désert, mais pas les rues. Badri s’était frayé un chemin dans la foule. Il avait bousculé la femme au parapluie à fleurs lavande, frôlé un vieillard et un petit garçon qui promenait un fox-terrier. « Tous les gens qui ont eu un contact avec Badri », venait de préciser Mary.
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