— Galaxie ! s’exclama soudain Arvardan avec force. J’arrive à bouger un peu. Je remue les pieds… Ouille ! (Chaque mouvement se traduisait par une douleur déchirante.) Pouvez-vous faire très mal à quelqu’un, Schwartz ? Plus mal que vous ne m’avez fait tout à l’heure ?
— J’ai tué un homme.
— Vraiment ? comment vous y êtes-vous pris ?
— Je ne sais pas. Ça se produit comme ça, voilà tout. C’est… c’est…
Son impuissance à exprimer l’inexprimable avec des mots était presque comique.
— Pouvez-vous vous attaquer à plus d’un adversaire à la fois ?
— Je n’ai jamais essayé, mais je ne crois pas. Je ne peux pas lire dans deux esprits en même temps.
Pola les interrompit :
— Ne lui demandez pas de tuer le secrétaire, Bel. Cela ne servirait à rien.
— Pourquoi ?
Comment sortirions-nous d’ici ? Même si on le trouvait seul et qu’on le tuait, ils seraient encore des centaines à nous attendre dehors, ne comprenez-vous pas ? Mais Schwartz lança d’une voix rauque :
— Je le tiens !
— Qui ? demandèrent-ils en chœur.
Même Shekt le regardait avec affolement.
— Le secrétaire. Je crois reconnaître son attouchement d’esprit.
— Ne le lâchez pas !
Arvardan avait mis tant de véhémence dans son exhortation qu’il roula sur lui-même et tomba lourdement sur le sol où il resta affalé, s’efforçant vainement de prendre appui sur sa jambe à demi paralysée pour se remettre debout.
— Vous vous êtes blessé ! cria Pola.
Quand elle se dressa sur un coude, elle s’aperçut que ses articulations jouaient.
— Non, ce n’est rien. Pompez-le à fond, Schwartz. Arrachez-lui toutes les informations que vous pourrez.
Schwartz sondait si intensément que sa tête bourdon, – nait douloureusement. Il projetait au loin ses tentacules mentaux avec furie – aveuglément, maladroitement comme un petit enfant tendant les doigts qui ne lui obéissent pas tout à fait vers un objet qu’il ne peut pas atteindre tout à fait. Jusqu’ici, il s’était borné à glaner ce qu’il pouvait trouver. Maintenant, il cherchait… cherchait…
Laborieusement. Des bouffées de pensées lui parvinrent.
— Le triomphe ! Il est sûr du résultat… Quelque chose à propos de projectiles spatiaux. Il les a lancés… Non, il ne les a pas lancés. C’est autre chose… Il va les lancer.
— Ce sont des missiles à guidage automatique contenant le virus, Arvardan, gémit Shekt. Ils sont pointés sur différentes planètes.
— Mais où sont-ils basés, Schwartz ? insista l’archéologue. Cherchez !
— Il y a un bâtiment. Je… vois… mal… Cinq points… Une étoile… Un nom. Sloo, peut-être…
C’est cela ! s’exclama à nouveau Shekt. Par tous les astres de la galaxie, c’est cela ! Le temple de Senloo. Il est ceinturé de toute part par des poches radio-actives. Personne ne s’y risquerait jamais, hormis les. Anciens. Est-il situé au confluent de deux grands fleuves, Schwartz ?
— Je ne… Oui ! Oui !
— Quand ? Quand les missiles seront-ils mis à feu ?
— Je ne distingue pas le jour, mais ce sera bientôt… bientôt. Cette pensée éclate dans son esprit… C’est pour très bientôt.
Il avait l’impression, si intenses étaient ses efforts, que c’était sa propre tête qui s’apprêtait à éclater.
Arvardan, la bouche sèche, parvint enfin à se mettre à quatre pattes, bien que ses bras et ses jambes flageolants se dérobassent sous lui.
— Il vient ?
— Oui, il est derrière la porte.
Schwartz se tut tandis que celle-ci s’ouvrait.
— Docteur Arvardan, ne vaudrait-il pas mieux que vous repreniez votre place ?
La voix glacialement ironique de Balkis vibrait triomphalement. Arvardan, conscient de l’indignité de sa position, le regarda mais demeura muet. Il n’y avait rien à répondre. Ses muscles douloureux cédèrent et il s’affaissa lentement. Alors, il attendit, la respiration rauque. Si ses forces pouvaient lui revenir, s’il pouvait faire un dernier bond, s’emparer des armes de l’autre…
Ce n’était pas une matraque neuronique qui se balançait à la ceinture de flexiplast retenant la robe du secrétaire, mais un éclatron de belle taille, capable de réduire un homme en ses atomes constitutifs en un clin d’œil.
Le secrétaire considéra les prisonniers avec une satisfaction sauvage. La fille ne comptait guère, mais les trois autres étaient de bonne prise : le Terrien traître, l’agent de l’empire et le mystérieux personnage que l’on surveillait depuis deux mois. Etait-ce tout ?
Certes, il y avait encore Ennius et l’empire. Leurs bras, en la personne de ces espions et renégats, étaient ligotés mais le cerveau était quelque part, actif et, peut-être, prêt à faire donner d’autres bras.
Le secrétaire, très à l’aise, les mains derrière le dos comme si la nécessité de dégainer rapidement n’était même pas une possibilité à envisager, laissa tomber d’une voix sereine et douce :
— Il est indispensable, à présent, que tout soit parfaitement clair. Il y a état de guerre entre la Terre et la galaxie – une guerre qui n’est pas encore déclarée mais une guerre néanmoins. Vous êtes nos prisonniers et vous serez traités comme l’exigeront les circonstances. Il va de soi que le châtiment des espions et des traîtres est la mort…
— Seulement en cas de guerre légale et déclarée, dit farouchement Arvardan.
— Guerre légale ? répéta Balkis avec un évident mépris. Qu’est-ce qu’une guerre légale ? La Terre a toujours été en guerre contre la galaxie, que nous ayons ou non poliment mentionné ce fait.
— Ne prenez pas la peine de discuter avec lui, Bel, murmura Pola. Qu’il dise ce qu’il a à dire et qu’on en finisse.
Arvardan lui sourit – un sourire caricatural et convulsif car, au prix d’un immense effort, il se remit debout en vacillant.
Balkis, secoué d’un rire muet, s’approcha de lui sans hâte, posa sans se presser la main sur la poitrine de l’archéologue et le poussa.
Arvardan, dont les muscles douloureux et engourdis ne réagissaient qu’avec une lenteur d’escargot, s’écroula. Pola émit une exclamation étranglée. Bien que sa chair et ses os se rebellassent, elle réussit à glisser du banc où elle gisait, avec une lenteur infinie.
Balkis la laissa se traîner vers Arvardan.
— Le bel amant que voilà ! Le bel amant et vigoureux Etranger ! Cours le rejoindre, fillette ! Pourquoi attends-tu ? Serre ton héros dans tes bras et oublie dans son étreinte l’odeur de la sueur et du sang des millions de Terriens martyrs qui l’imprègne. Regarde-le, ton fier et vaillant héros. Il a suffi de la chiquenaude d’un Terrien pour lui faire mordre la poussière.
Pola, à genoux devant Arvardan, lui palpait le cuir chevelu, redoutant de sentir sous ses doigts l’humidité du sang ou la mortelle flaccidité du crâne broyé. Les yeux du Sirien s’ouvrirent lentement et ses lèvres formèrent une phrase silencieuse :
— Ce n’est rien.
— Celui qui s’attaque à un homme paralysé et se vante de sa victoire est un lâche. Peu de Terriens sont de cette trempe, croyez-moi, mon bien-aimé.
— Je sais. Sinon, vous ne seriez pas une Terrienne. Balkis se raidit.
— Comme je vous le disais, vos vies sont perdues. Cependant, vous pouvez les racheter. Vous intéresserait-il de savoir à quel prix ?
— Si vous étiez à notre place, vous ne demanderiez pas mieux, rétorqua fièrement Pola. Je n’en doute pas.
— Chut, Pola, dit Arvardan qui n’avait pas encore entièrement recouvré sa respiration. Quelle est votre proposition ?
— Tiens ! Vous êtes prêt à vous vendre ? Comme je me vendrais, par exemple, moi, le vil Terrien que je suis ?
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