— Bien. Maintenant nous allons faire le point pour retourner à l’endroit précis, en ce qui concerne à la fois le temps et l’espace. Compris ?
— Oui, capitaine. » Il consulta sa montre-bracelet. « Mes vaisseaux seront parés vers 01.40.
— Bien », dit le capitaine Dixyl.
L’escadre kalganienne n’était pas pour l’instant à portée de détecteur, mais cela ne pouvait tarder. Différents recoupements l’indiquaient. En l’absence de l’escadre de Cenn, les forces de la Fondation se trouveraient en grave infériorité numérique, mais le capitaine était confiant. Très confiant.
Preem Palver regardait mélancoliquement autour de lui. Son regard tomba tout d’abord sur l’amiral, grand et osseux, puis sur les autres, tous en uniforme ; et enfin sur le dernier, grand et gros, avec son col ouvert et sans cravate – contrairement aux autres – qui déclarait vouloir lui parler.
« Je suis parfaitement conscient, disait Jole Turbor, de la gravité des circonstances, mais je vous assure que si vous me permettez de m’entretenir avec lui pendant quelques minutes, il se peut que je sois à même d’apaiser vos inquiétudes.
— Existe-t-il une raison qui s’oppose à ce que vous l’interrogiez en ma présence ? »
Turbor fit la moue et prit un air buté. « Amiral, dit-il, depuis que je suis attaché de presse auprès de votre formation, la troisième flotte a joui d’une excellente presse. Vous pouvez poster des gardes à la porte, si vous le voulez, et rentrer dans cinq minutes. Mais dans l’intervalle, accordez-moi cette petite faveur et votre prestige n’en souffrira pas. Je ne sais si je me fais bien comprendre ? »
Ce petit discours obtint l’effet attendu.
Demeuré en tête à tête avec le prisonnier, Turbor se tourna vers Palver et lui dit : « Vite, dites-moi le nom de la jeune fille que vous avez emmenée. »
Palver ne put qu’ouvrir des yeux ronds et secouer la tête.
« Ne faites pas l’idiot, dit Turbor. Si vous refusez de répondre, vous serez considéré comme un espion et en temps de guerre les espions sont exécutés sans jugement.
— Arcadia Darell, souffla Palver.
— Bravo. Elle est donc saine et sauve ? »
Palver hocha la tête.
« Vous en êtes bien sûr, je l’espère, sans quoi il pourrait vous en cuire.
— Elle est en bonne santé et parfaitement en sécurité », dit Palver un peu pâle.
L’amiral reparut. « Eh bien ?
— Cet homme n’est pas un espion. Vous pouvez croire ce qu’il vous dit. Je m’en porte garant.
— Vraiment ? » L’amiral fronça les sourcils. « Dans ce cas, il représente une coopérative agricole de Trantor qui désire souscrire un traité de commerce avec Terminus, pour la livraison de grain et de pommes de terre. Parfait, mais nous ne pouvons lui rendre la liberté pour l’instant.
— Pourquoi pas ? s’enquit vivement Palver.
— Parce que nous sommes en pleine bataille. Lorsqu’elle sera terminée – en supposant que nous soyons toujours vivants – nous vous conduirons sur Terminus. »
La flotte kalganienne déployée dans l’espace détecta les vaisseaux de la Fondation à une distance incroyable, et fut elle-même repérée. Tels de petits vers luisants dans leurs grands détecteurs respectifs, les deux groupes se rapprochaient à travers le néant.
L’amiral commandant la flotte de la Fondation fronça les sourcils et dit : « Ce doit être leur offensive principale : voyez le nombre de leurs unités. Mais ils ne tiendront pas devant nous ; du moins si l’escadre de Cenn se trouve au rendez-vous. »
Le commandant Cenn les avait quittés plusieurs heures auparavant – dès l’apparition de l’ennemi sur les écrans. Il n’était plus possible désormais de modifier le plan. La manœuvre réussirait ou ne réussirait pas, mais l’amiral était parfaitement confiant. De même que les officiers. De même que les équipages.
Il reprit l’observation des vers luisants.
Tel un ballet mortel, en formations irréprochables, ils étincelaient.
La flotte de la Fondation amorça une lente retraite. Des heures passèrent et la flotte obliqua lentement, attirant légèrement l’ennemi hors de sa trajectoire, et accentuant le mouvement.
Dans l’esprit de ceux qui avaient conçu le plan de bataille, un volume donné de l’espace devait être occupé par les astronefs kalganiens. Les bâtiments de la Fondation se faufilaient subrepticement hors de ce volume ; les Kalganiens prenaient leur place. Ceux qui débordaient du périmètre subissaient une attaque foudroyante à pleine puissance. Ceux qui demeuraient à l’intérieur n’étaient pas inquiétés.
Tout dépendait de la répugnance que manifesteraient les vaisseaux de Stettin à prendre l’initiative – ou de leur propension à demeurer dans la position où ils ne subiraient pas d’attaque.
Le capitaine Dixyl jeta un coup d’œil impassible sur sa montre-bracelet. Il était 13.10.
« Nous avons encore vingt minutes », dit-il.
Le lieutenant qui se trouvait à ses côtés hocha la tête d’un air concentré. « Tout va bien pour l’instant, capitaine. Nous avons encerclé quatre-vingt-dix pour cent de leurs unités. Si nous pouvons les maintenir dans cette position…
— Oui ! Si … »
Les bâtiments de la Fondation avaient repris leur marche en avant – à très faible vitesse. Pas assez vite pour déclencher une retraite kalganienne, mais tout juste suffisante pour décourager toute velléité d’offensive de l’ennemi. Ils préféraient attendre.
Et les minutes passaient.
A 13.25, le vibreur de l’amiral retentit dans soixante-quinze astronefs de la Fondation et, avec le maximum d’accélération, ils foncèrent vers le front d’attaque de la flotte kalganienne, forte elle-même de trois cents unités… Les boucliers kalganiens entrèrent en action et les puissants rayons énergétiques jaillirent. Les trois cents vaisseaux concentrèrent leurs feux dans la même direction, sur leurs assaillants insensés qui fonçaient tête baissée droit devant eux… et…
A 13.30, cinquante astronefs, sous le commandement de Cenn, surgirent de nulle part, en un seul bond à travers l’hyperespace, en un point déterminé, au moment déterminé – et se jetèrent avec une furie dévastatrice sur les arrières kalganiens, surpris.
Le piège fonctionna avec une précision mécanique.
Les Kalganiens avaient toujours la supériorité numérique, mais ils n’étaient pas en mesure d’en profiter. Leur premier mouvement fut de prendre la fuite, et la formation une fois rompue se trouva d’autant plus vulnérable que les vaisseaux ennemis se gênaient mutuellement en entrecroisant leurs trajectoires.
Après un moment, l’affaire prit la tournure d’une chasse aux rats.
Sur les trois cents astronefs kalganiens, le noyau et l’orgueil de la flotte, une soixantaine à peine, parmi lesquels un grand nombre endommagés au point d’être irréparables, vinrent se poser sur Kalgan. Les pertes de la Fondation se montaient à huit unités sur un total de cent vingt-cinq astronefs.
Preem Palver se posa sur Terminus au moment des festivités. Il trouva la liesse populaire quelque peu lassante, mais avant de quitter la planète, il s’était acquitté de deux missions et avait enregistré une requête.
Les deux missions étaient les suivantes : 1° la conclusion d’un traité commercial aux termes duquel la coopérative de Palver s’engageait à livrer vingt cargos de marchandises par mois au cours de l’année suivante, à des tarifs de guerre, sans encourir, grâce à la récente bataille, les risques correspondants ; 2° la communication au Dr Darell de la phrase confiée à son oreille par Arcadia.
Darell l’avait regardé avec des yeux écarquillés par la surprise, puis il avait proféré sa requête. Celle-ci consistait à transmettre sa réponse à Arcadia. Palver la trouva à son goût ; c’était une phrase simple et intelligible : Rentre maintenant, il n’y a plus de danger.
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