Papa haussa de nouveau les épaules. « C’est promis, c’est promis.
— Très bien », dit-elle d’un ton lugubre et, tandis qu’il empruntait l’allée conduisant à l’aérotaxi qui devait le mener au spatioport, elle se demandait si elle ne venait pas de signer l’arrêt de mort du brave homme, si elle le reverrait jamais.
C’est à peine si elle osait rentrer à la maison et se trouver de nouveau face à face avec la bonne et affectueuse Maman. Peut-être, lorsque tout serait fini, serait-il préférable qu’elle se tuât pour expier le mal qu’elle leur avait fait.
QUORISTON (BATAILLE DE) : … Livrée le 17-9 377 E.F. entre les forces de la Fondation et celles du Seigneur Stettin de Kalgan. Ce fut la dernière grande bataille de l’Interrègne…
ENCYCLOPEDIA GALACTICA
Jole Turbor, dans son nouveau rôle de correspondant de guerre, trouva son corps massif sanglé dans un uniforme militaire, ce qui ne fut pas du tout pour lui déplaire. Il savourait la joie d’avoir retrouvé les chemins du ciel, et il perdit quelque peu la sensation de farouche impuissance qui caractérisait la lutte contre la Seconde Fondation, au profit d’un sentiment plus exaltant, avec la perspective de se mesurer à des astronefs faits d’une matière substantielle et des hommes en chair et en os.
Assurément, le combat mené par la Fondation n’avait guère été fertile en victoires, mais il était toujours possible de considérer la situation avec une certaine philosophie. Après six mois d’hostilités, le dur noyau de la Fondation demeurait intact, de même que le dur noyau de la flotte n’avait pas été entamé. Avec les nouvelles unités mises en service depuis le commencement de la guerre, elle était presque aussi forte, du point de vue numérique, et techniquement plus puissante qu’après la défaite d’Ifni.
Dans l’intervalle, les défenses planétaires avaient été renforcées ; les forces armées mieux entraînées, l’administration, expurgée des éléments superflus, était devenue plus efficace et une grande partie de la flotte conquérante kalganienne était immobilisée par la nécessité d’occuper les territoires conquis.
Pour le moment, Turbor se trouvait avec la troisième flotte, dans les limites périphériques du secteur anacréonien. Conformément à sa politique consistant à montrer la guerre du point de vue de l’« homme moyen », il interviewait Fennel Leemor, mécanicien volontaire de troisième classe.
« Parlez-nous un peu de vous, matelot, dit Turbor.
— Il n’y a pas grand-chose à dire. » Leemor remuait les pieds avec embarras et laissa un faible sourire timide venir éclairer son visage, comme s’il avait pu voir les millions de gens qui l’observaient probablement sur leur écran, à ce moment précis. « Je suis un Locrien. J’ai travaillé dans une usine de voitures aériennes : chef d’équipe, bonne paye. Je suis marié, j’ai deux enfants, deux filles. Je pourrais peut-être leur dire un petit bonjour, pour le cas où elles seraient à l’écoute.
— Allez-y, matelot. La T.V. est à votre disposition.
— Oh ! merci, bafouilla-t-il. Bonjour, Milla, je vais bien. Comment se porte Sunni ? Et Tomma ? Je pense à vous tout le temps, et peut-être que j’irai en permission lorsque nous rentrerons au port. J’ai reçu ton paquet de provisions, mais je te le renvoie. Nous sommes nourris normalement, mais on dit que les civils sont un peu rationnés. Je crois que c’est tout.
— J’irai la voir à mon prochain voyage à Locris, matelot, et je veillerai à ce qu’elle ne manque de rien. Ça vous va ? »
Le jeune homme eut un large sourire et hocha énergiquement la tête. « Merci, monsieur Turbor. Vous êtes bien aimable.
— Ce n’est rien. Puis-je vous poser quelques questions ?… Vous êtes volontaire, n’est-ce pas ?
— Et comment ! Lorsqu’on vient nous chercher noise, il n’est pas nécessaire de m’embrigader de force. Je me suis engagé le jour même où j’ai appris la perte du Hober Mallow .
— Voilà ce qui s’appelle parler ! Avez-vous participé à beaucoup d’actions ? Je remarque que vous portez deux étoiles de combat.
— Peuh, dit dédaigneusement le matelot, on ne peut pas appeler cela des actions ; des poursuites, au plus. Les Kalganiens n’acceptent pas le combat si ce n’est à cinq contre un. Et, même dans ce cas, ils manœuvrent pour nous isoler les uns des autres et nous détruire séparément. Un cousin à moi se trouvait à Ifni, à bord d’un astronef qui a échappé au désastre, le vieil Ebling Mis . Il m’a raconté qu’ils avaient employé la même tactique. Ils opposaient une flotte entière à une simple escadre des nôtres. Alors qu’il ne nous restait plus que cinq astronefs, ils préféraient encore manœuvrer en catimini plutôt que de se battre. Nous leur avons infligé des pertes doubles des nôtres dans cette bataille.
— Vous pensez donc que nous allons gagner la guerre ?
— Ça ne fait pas le moindre doute ; surtout que nous avons cessé de battre en retraite. Même si les choses tournaient au pire, nous pourrions compter sur l’intervention de la Seconde Fondation. Nous disposons toujours du Plan Seldon et ils le savent. »
Turbor fit un peu la grimace. « Alors vous comptez sur la Seconde Fondation ? »
Le matelot manifesta une honnête surprise. « Ben, comme tout le monde, je suppose. »
Le cadet-officier Tipellum entra dans la cabine de Turbor après l’émission. Il tendit une cigarette au correspondant de guerre et repoussa sa casquette sur l’occiput dans une position d’équilibre instable. « Nous avons fait un prisonnier, dit-il.
— Vraiment ?
— Oui, un petit bonhomme un peu fou. Il se prétend neutre – immunité diplomatique, rien de moins. Je crois qu’on ne sait trop que faire de lui. Il s’appelle Palvro, Palver, quelque chose comme ça, et il dit qu’il est de Trantor. Je me demande ce qu’il fabrique dans une zone de guerre. »
Mais Turbor s’était redressé sur sa couchette, ayant complètement oublié le petit somme qu’il s’apprêtait à faire. Il se souvenait parfaitement de sa dernière entrevue avec Darell, le lendemain de la déclaration de guerre, alors qu’il se préparait à partir.
« Preem Palver », dit-il songeur.
Tipellum dressa l’oreille et laissa la fumée de sa cigarette s’échapper par les coins de sa bouche. « Ouais, dit-il, comment diable savez-vous son nom ?
— Peu importe. Puis-je le voir ?
— Par l’Espace, je ne peux pas vous le dire. Le Vieux l’a emmené dans sa cabine pour l’interroger. Tout le monde le prend pour un espion.
— Allez dire au commandant que je le connais, et qu’il est bien ce qu’il prétend. J’en prends la responsabilité. »
Sur le vaisseau amiral de la troisième flotte, le capitaine Dixyl observait sans relâche le grand détecteur. Tout navire était obligatoirement une source de radiations subatomiques – même à supposer qu’il fût réduit à l’état de masse inerte – et chaque point focal d’une telle radiation apparaissait comme une petite étincelle dans le champ tridimensionnel.
On avait procédé à l’appel de tous les vaisseaux de la Fondation sans omettre une seule étincelle, après que le petit espion qui se prétendait neutre avait été fait prisonnier. Pendant quelque temps, cet astronef avait provoqué une certaine agitation dans l’entourage du capitaine. Peut-être serait-il nécessaire de procéder à un changement de tactique dans un court délai.
« Etes-vous certain de vos coordonnées ? » s’informa-t-il.
Le commandant Cenn hocha la tête. « J’emmènerai mon escadre dans l’hyperespace : rayon 10,00 parsecs ; thêta 268,52 degrés ; phi 84,15 degrés. Retour au point d’origine à 13.30. Durée totale de l’absence 11.83 heures.
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