Anthor serrait les mâchoires. « Eh bien, docteur, vous avez entendu. Kalgan vient d’attaquer ; et Kalgan est sous l’emprise de la Seconde Fondation. Suivrez-vous l’exemple de votre fille ? Vous rendrez-vous sur Trantor ?
— Non, je prendrai mes risques. Ici.
— Docteur Darell, vous n’êtes pas aussi intelligent que votre fille. Je me demande jusqu’à quel point on peut vous faire confiance. »
Il tint Darell sous son regard pendant un moment, puis sans un mot, il quitta la pièce.
Et Darell demeura seul, dans l’incertitude et presque le désespoir.
Il n’entendait pas le poste d’où sortait une cacophonie de paroles surexcitées relatant les détails de la première heure de guerre entre Kalgan et la Fondation.
Le Maire de la Fondation passa une main distraite sur la couronne de cheveux en baguettes de tambour qui lui entourait le crâne.
« Les années que nous avons perdues ! soupira-t-il. Les occasions dont nous n’avons pas su profiter ! Je ne récrimine pas, docteur Darell, mais la défaite serait bien méritée.
— Je ne vois aucune raison de désespérer des événements, monsieur, dit Darell.
— Désespérer ! Désespérer ! Par la Galaxie ! Comment justifieriez-vous toute autre attitude ? Venez… »
Il emmena Darell presque de force vers l’ovoïde limpide gracieusement posé sur son minuscule champ de force. D’une pression de main, le Maire l’illumina intérieurement et l’on vit paraître un modèle réduit à trois dimensions de la double spirale galactique.
« La région de l’espace dominée par la Fondation apparaît en jaune, dit le Maire surexcité, et en rouge pour Kalgan. »
Darell aperçut une sphère écarlate dans l’intérieur d’un poing jaune qui l’entourait de toutes parts, sauf dans la région centrale de la Galaxie.
« La galactographie, dit le Maire, est notre plus grande ennemie. Nos amiraux ne font pas mystère de notre désastreuse position stratégique. Voyez, les lignes de communication de l’ennemi sont internes, concentrées ; il peut nous faire face de tous côtés avec une aisance égale. Il peut se défendre avec un minimum de forces.
« Quant à nous, au contraire, nous sommes étendus en surface. La distance moyenne séparant les systèmes habités est, à peu de chose près, trois fois plus grande dans la Fondation que dans l’oligarchie de Kalgan.
— Je comprends tout cela, dit Darell.
— Ce que vous ne comprenez pas, c’est que cet état de choses signifie pour nous la défaite.
— Dans la guerre, il n’y a pas que les distances qui comptent. Nous ne pouvons pas perdre. C’est tout à fait impossible.
— Et pourquoi dites-vous cela ?
— A cause de mon interprétation personnelle du Plan Seldon.
— Oh ! dit le Maire en faisant la grimace, tandis que derrière son dos, ses mains claquaient nerveusement l’une contre l’autre. Alors, vous aussi vous avez foi en l’aide mystique de la Seconde Fondation ?
— Non, j’ai foi en ce qui est inévitable, mais je crois également aux vertus du courage et de la persévérance. »
Pourtant, derrière cette confiance de façade, le doute s’insinuait en lui.
Et si…
Et si… Anthor avait raison, si Kalgan n’était qu’un instrument direct entre les mains de ces sorciers de l’esprit ? Et si leur propos était de vaincre et de détruire la Fondation ? Non, cela n’avait pas de sens.
Et pourtant…
Il eut un sourire amer. Toujours la même antienne. Toujours les yeux braqués sur ce granit opaque qui pour l’ennemi était si transparent !
Les réalités de la situation galactique n’échappaient pas davantage à Stettin.
Le Seigneur de Kalgan se tenait devant une réplique de la maquette galactique examinée par le Maire et Darell. Avec cette différence pourtant que ce qui faisait froncer les sourcils du Maire, amenait un sourire sur les lèvres de Stettin.
Son étincelant uniforme d’amiral était mis en valeur par sa massive prestance. L’écharpe écarlate de l’Ordre du Mulet, dont le précédent Premier Citoyen l’avait décoré six mois à peine avant de lui céder la place à son corps défendant, barrait diagonalement sa poitrine de l’épaule à la ceinture. L’Etoile d’Argent, avec la Comète Double et les Epées, étincelait sur son épaule gauche.
Il s’adressait aux six membres de son état-major général, dont les uniformes étaient à peine moins tapageurs que le sien, en même temps qu’à son Premier Ministre, mince et gris, telle une poussiéreuse toile d’araignée sur un brillant décor.
« Je pense, dit-il, que notre voie est toute tracée. Nous pouvons nous permettre d’attendre et de voir venir. Pour nos adversaires, chaque jour qui s’écoule est un nouveau coup porté à leur moral. S’ils tentent de défendre l’ensemble de leurs territoires, ils allongeront démesurément leurs lignes de défense et nous pourrons leur porter simultanément deux coups de boutoir, ici et là. » Il indiquait du geste la maquette de la Galaxie où deux flèches blanches, partant de la sphère rouge, traversaient la tenaille jaune qui l’enserrait, isolant Terminus de part et d’autre, selon un arc de faible rayon. « Ainsi, nous sectionnerons leur flotte en trois tronçons, que nous pourrons anéantir séparément. S’ils se concentrent, ils devront abandonner volontairement les deux tiers de leurs dominions, en risquant probablement des soulèvements. »
Seule la voix du Premier Ministre rompit le silence qui suivit. « Dans six mois, dit-il, la Fondation sera plus forte de six mois. Ses ressources sont plus grandes, comme nous le savons tous : leur flotte est numériquement supérieure ; leurs réserves humaines sont virtuellement inépuisables. Peut-être une offensive éclair serait-elle préférable. »
De toutes, c’était la voix du Premier Ministre qui avait le moins d’influence dans la pièce. Le Seigneur Stettin sourit, balaya l’espace du plat de la main. « Ces six mois – qui pourront devenir une année, en cas de nécessité – ne nous coûteront rien. Les gens de la Fondation ne peuvent se préparer ; ils en sont idéologiquement incapables. Ils comptent sur la Seconde Fondation pour les sauver : c’est l’essence même de leur philosophie. Mais pas cette fois, n’est-ce pas ? »
Les assistants s’agitèrent d’un air contraint.
« Je constate que vous manquez de confiance, dit Stettin d’un ton glacial. Est-il nécessaire de vous répéter une fois encore les rapports de nos agents qui nous sont parvenus du territoire de la Fondation ou de vous citer les découvertes de monsieur Homir Munn, cet agent de la Fondation, qui s’est maintenant engagé à notre… euh… service ? Messieurs, je propose que nous levions la séance. »
Stettin rentra dans ses appartements avec sur le visage le même sourire figé. Il s’interrogeait parfois sur le compte de cet Homir Munn. Curieux bonhomme à l’échine souple qui n’avait guère justifié les premiers espoirs mis en lui. Et pourtant, il grouillait de renseignements qui emportaient la conviction – surtout lorsque Callia était présente.
Son sourire s’élargit. Cette grosse sotte avait ses bons côtés, après tout. Du moins parvenait-elle, par ses cajoleries, à tirer les vers du nez à Munn avec plus de succès que lui-même et à moins de frais. Pourquoi ne pas en faire cadeau à Munn ? Il fronça les sourcils. Callia. Elle et sa jalousie stupide ! Par l’Espace ! Si seulement il tenait toujours la petite Darell ! Pourquoi ne lui avait-il pas mis la tête en bouillie pour la punir de ce tour pendable ?
Il n’arrivait pas à trouver la raison de sa mansuétude.
Parce qu’elle s’entendait avec Munn ? Et qu’il avait besoin de Munn ? C’était Munn, par exemple, qui avait démontré que, selon l’opinion du Mulet, la Seconde Fondation n’existait pas. Ses amiraux avaient grand besoin de cette assurance.
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