Nul n’en savait exactement rien.
Néanmoins, la date à laquelle le Hober Mallow rencontra la flotte kalganienne dirigée par le Sans Peur et, sur son refus de laisser pénétrer à bord une équipe d’inspection, fut réduit à l’état d’épave démantelée, était précisée comme suit : 185-11 692 E.G. C’est-à-dire le 185 ejour de la 11 692 eannée de l’Ère Galactique qui avait débuté avec l’accession au trône du premier empereur de la traditionnelle dynastie Kamble. Ou bien 185-419 A.S., en partant de la naissance de Seldon, ou encore 185-377 E.F., en prenant pour point de départ l’établissement de la Fondation. Sur Kalgan, c’était 185-56 P.C., avec pour point de départ l’établissement de la dignité de Premier Citoyen par le Mulet. Dans chacun de ces cas, on avait pris soin, pour des raisons de commodité, de donner à l’année la même numérotation annuelle sans se soucier du jour où l’ère considérée avait effectivement débuté.
De plus, les millions de mondes composant la Galaxie possédaient leur temps local individuel, basé sur les mouvements de leurs voisins célestes particuliers.
Mais, quelle que fût l’ère choisie : 11 692… 419… 377… 56… ou toute autre, c’est à ce 185 ejour que les historiens firent plus tard allusion lorsqu’ils parlaient du début de la guerre de Stettin.
Cependant, du point de vue du docteur Darell, aucune de ces dates ne convenait. C’était simplement et précisément le 32 ejour succédant au départ d’Arcadia de la planète Terminus.
Ce qu’il en coûtait à Darell de maintenir son impassibilité de surface, au cours de ces journées, nul ne pouvait le deviner.
Mais Elvett Semic se sentait capable de l’imaginer. C’était un vieil homme et il aimait répéter que sa cuirasse neuronique était à ce point calcifiée, que le processus de sa pensée souffrait d’une raideur d’articulation hautement préjudiciable à son agilité. Il encourageait la tendance générale à surestimer sa décrépitude intellectuelle, en prenant le parti d’en rire le premier. Mais, pour être ternis, ses yeux n’en étaient pas moins perçants ; et s’il avait perdu quelque peu de son agilité, son esprit n’en restait pas moins sage et expérimenté.
Il contracta simplement ses lèvres minces et dit : « Pourquoi ne tentez-vous pas quelque chose ? »
Le son de sa voix heurta douloureusement l’oreille de Darell et lui causa une crispation. « Où en étions-nous ? » demanda-t-il d’un ton rogue.
Semic le considéra avec un air grave. « Vous devriez faire quelque chose au sujet de la fillette. » Ses dents rares et jaunes apparurent dans sa bouche qu’il avait ouverte pour interroger le docteur.
« La question qui se pose est la suivante, répondit Darell froidement : Pouvez-vous vous procurer un résonateur Symes-Molff de la portée requise ?
— Je vous ai déjà répondu par l’affirmative, mais vous n’écoutiez pas…
— Excusez-moi, Elvett. Voici mon opinion. Ce que nous faisons en ce moment peut être plus important pour chacun des habitants de la Galaxie que la question de savoir si Arcadia est saine et sauve, sauf pour Arcadia et moi-même, et je suis disposé à suivre les vœux de la majorité. Quelle serait la taille du résonateur ?
— Je ne sais pas, dit Semic d’un air de doute. Vous pourrez trouver ces indications dans les catalogues.
— Approximativement ! Une tonne ? Une livre ? La longueur d’un pâté de maisons ?
— Oh ! je pensais que vous vouliez un renseignement précis. C’est un petit instrument… » Il indiquait la première phalange de son pouce. « Environ de cette longueur.
— Pourriez-vous me construire un appareil de ce genre ? » Darell jetait de rapides coups de crayon sur un bloc qu’il tenait sur ses genoux, puis il le remit au vieux physicien. L’autre y jeta un coup d’œil réticent, puis gloussa.
« Vous savez, lorsqu’on arrive à mon âge, le cerveau se calcifie bigrement. Que tentez-vous de faire ? »
Darell hésitait. Il regrettait avec désespoir de ne pas posséder les connaissances physiques qui meublaient le cerveau de son interlocuteur, ce qui lui aurait évité de traduire ses idées en mots. Mais les regrets étaient inutiles et il passa aux explications.
Semic secouait la tête. « Il vous faudrait des hyper-relais. Les seuls appareils qui puissent travailler assez vite. Et en quantité !
— Mais la chose est réalisable ?
— Certainement !
— Pourriez-vous vous procurer toutes les pièces… du moins sans attirer l’attention ? Dans le cadre de votre travail ordinaire ? »
Semic souleva sa lèvre supérieure. « Cinquante hyper-relais ? Impossible ! C’est plus que je n’en pourrais utiliser pendant toute mon existence.
— Nous travaillons à un projet concernant la Défense. Ne pouvez-vous imaginer un dispositif anodin qui puisse justifier de leur emploi ? Ce n’est pas l’argent qui nous manque.
— Hum. Ce n’est pas impossible après tout.
— Quelle taille pouvez-vous donner à l’ensemble ?
— Les hyper-relais peuvent être microminiaturisés… le câblage… les lampes… Par l’Espace, quelques centaines de circuits sont nécessaires.
— Je sais. Quelles dimensions ? »
D’un geste de ses mains, Semic indiqua une approximation.
« Trop important, dit Darell. Je dois pouvoir l’accrocher à ma ceinture. »
Lentement, il froissait son croquis en une boulette serrée, qu’il fit choir dans le cendrier où il s’évanouit dans la minuscule lueur blanche de la décomposition moléculaire.
« Qui est à votre porte ? » s’enquit-il.
Semic se pencha au-dessus de la table, vers l’écran laiteux qui surmontait le signal de la porte.
« Le jeune Anthor. Quelqu’un l’accompagne. »
Darell recula son siège.
« Pas un mot de tout ceci aux autres, du moins pour le moment. C’est un secret qui comporte des risques mortels, s’ils venaient à l’apprendre, et deux existences en péril suffisent bien. »
Pelleas constituait un véritable tourbillon générateur d’activité dans le bureau de Semic, qui semblait en quelque sorte participer de l’âge canonique de son occupant. Dans l’atmosphère stagnante de la paisible pièce, les larges manches estivales de la tunique d’Anthor semblaient vibrer au rythme de la brise extérieure.
« Docteur Darell, docteur Semic, je vous présente Orum Dirige », dit-il.
Le nouveau venu était grand. Un long nez droit donnait à son visage une apparence taciturne. Le docteur Darell tendit la main.
Anthor souligna, avec un léger sourire : « Lieutenant de police Dirige, de Kalgan. »
Et Darell se retourna pour planter ses yeux avec force dans ceux du jeune homme.
« Lieutenant de police Dirige, de Kalgan, répéta-t-il distinctement. Et pour quelles raisons l’amenez-vous ici ?
— Parce qu’il a été le dernier à voir votre fille sur Kalgan. Hé là… »
La lueur de triomphe qui brillait dans les yeux d’Anthor se changea en inquiétude et il fut soudain entre les deux hommes, luttant de toutes ses forces contre Darell. Lentement, mais sans douceur, il contraignit le docteur à s’asseoir sur sa chaise.
« Qu’est-ce qui vous prend ? » Anthor repoussa une mèche de cheveux bruns qui lui tombait sur le front, souleva légèrement la hanche au-dessus du bureau et y posa la jambe. « Je croyais vous apporter une bonne nouvelle », dit-il le front pensif.
Darell s’adressa directement au policier.
« Vous êtes le dernier qui ait vu ma fille sur Kalgan. Qu’entendait-il par-là ? Serait-elle morte ? Répondez-moi sans ambages. » Il avait le visage livide d’appréhension.
« En effet, le dernier sur Kalgan, répondit le lieutenant Dirige d’une voix monocorde. Elle a quitté Kalgan à présent. Je n’en sais pas plus long.
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