Papa obéit et ils furent feuilletés d’un doigt expert.
« Vous vous appelez Preem Palver, de Trantor, séjournant sur Kalgan pour une durée d’un mois, rentrant à Trantor. Répondez par oui ou par non.
— Oui, oui.
— Quelles sont les raisons de votre présence sur Kalgan ?
— Je suis le représentant commercial de notre coopérative agricole. Je suis venu négocier des accords avec le Département de l’Agriculture de Kalgan.
— Hum… votre femme vous accompagne ? Où est-elle ? Son nom figure sur vos papiers.
— Excusez-moi, ma femme se trouve aux… » Il fit un geste.
« Hanto ! » cria le policier. Un second uniforme le rejoignit. « Une autre femme aux toilettes, dit le premier sèchement. Par la Galaxie, l’endroit doit être plein à craquer. Inscrivez son nom. » Il lui indiqua l’orthographe du nom dans les papiers. « Quelqu’un d’autre vous accompagne ?
— Ma nièce.
— Son nom ne figure pas dans les documents.
— Elle est venue séparément.
— Où est-elle ? Peu importe ! Je le sais. Inscrivez également le nom de la nièce, Hanto. Quel est son prénom ?
— Arcadia.
— Inscrivez Arcadia Palver. Nous nous occuperons des femmes avant de partir. »
Papa attendit interminablement. Puis, après un long délai, apparut Maman, marchant vers lui et tenant Arcadia par la main, les policiers sur ses talons.
Ils pénétrèrent dans le carré occupé par Papa.
« Cette femme criailleuse est-elle votre épouse ?
— Oui, monsieur, répondit Papa avec un air de s’excuser.
— Alors prévenez-la qu’elle pourrait s’attirer de gros ennuis si elle persiste à parler de cette façon à la police du Premier Citoyen. » Il redressa les épaules avec arrogance. « C’est là votre nièce ?
— Oui, monsieur.
— Montrez-moi ses papiers. »
Regardant son mari droit dans les yeux, Maman secoua légèrement mais fermement la tête.
Une courte pause, puis Papa répondit avec un faible sourire : « Je crains que ce ne soit pas possible.
— Comment ? Qu’entendez-vous par-là ? » Le policier tendit une main dure. « Donnez !
— Immunité diplomatique, dit Papa doucement.
— Qu’est-ce à dire ?
— Je vous ai déjà déclaré que j’étais le représentant de ma coopérative agricole. Je suis accrédité auprès du gouvernement de Kalgan en qualité de représentant étranger et mes papiers sont là pour le prouver. Je vous les ai montrés, et maintenant je ne veux plus qu’on m’ennuie davantage. »
Un instant, le policier demeura pris de court. « Il faut que je voie vos papiers. Ce sont les ordres !
— Allez-vous-en, interrompit Maman, soudain. Lorsque nous aurons besoin de vos services, nous vous appellerons, espèce de gros plein de soupe. »
Le policier serra les lèvres. « Ne les quittez pas de l’œil, Hanto. Je vais chercher le lieutenant.
— Puissiez-vous vous casser une jambe ! » lui lança Maman. Quelqu’un éclata d’un rire vite étouffé.
La fouille tirait à sa fin. La foule devenait dangereusement nerveuse. Quarante-cinq minutes s’étaient écoulées depuis la descente du gril et c’est un trop long délai pour un résultat optimal. C’est pourquoi le lieutenant Dirige marchait en toute hâte vers l’endroit où la foule était la plus dense.
« Est-ce là la fillette en question ? » interrogea-t-il d’une voix lasse. Il l’examina et trouva qu’elle correspondait au signalement. Tout ce bruit pour une enfant !
« Ses papiers, je vous prie, dit-il.
— J’ai déjà expliqué… commença Papa.
— Je sais, dit le lieutenant, mais je regrette, j’ai des ordres et je n’y puis rien. Plus tard, vous pourrez formuler une protestation si vous le désirez. En attendant, je dois faire usage de la force si c’est nécessaire. »
Il y eut une pause et le lieutenant attendit patiemment.
Alors Papa dit d’une voix rauque : « Donne-moi tes papiers, Arcadia. »
Prise de panique, l’enfant secoua la tête, mais Papa insista : « N’aie pas peur, donne-les-moi. »
En désespoir de cause, elle obéit et les documents changèrent de mains. Papa les feuilleta, les examina soigneusement et les tendit à l’officier. Le lieutenant les scruta à son tour avec le plus grand soin. Pendant un long moment. Puis il leva les yeux sur Arcadia et ferma le livret d’un coup sec.
« Tout est en règle, dit-il. En route ! »
Il s’en fut et, deux minutes plus tard, le gril avait disparu cependant que la voix du haut-parleur annonçait le retour à la normale. Le bruit de la foule, soudain libérée, reprit avec une vigueur nouvelle.
« Comment… comment ?… dit Arcadia.
— Chut ! dit Papa. Pas un mot de plus. Approchons-nous plutôt de l’astronef. Il ne tardera pas à prendre place dans son berceau. »
Ils se trouvaient à bord de l’appareil. Ils disposaient d’une cabine privée et d’une table particulière dans la salle à manger. Deux années-lumière les séparaient déjà de Kalgan, et Arcadia osa enfin aborder de nouveau le sujet.
« Mais c’est moi qu’ils poursuivaient, monsieur Palver, dit-elle, et je suis persuadée qu’ils possédaient mon signalement détaillé. Pourquoi m’ont-ils laissée partir ? »
Papa eut un large sourire par-dessus son rosbif. « C’est tout simple, Arcadia, mon enfant. Lorsqu’on a eu affaire à des agents, des acheteurs et des coopératives concurrentes, on apprend quelques petits trucs. J’ai disposé de vingt ans ou plus pour les apprendre. Vois-tu, ma petite, lorsque le lieutenant a ouvert ton livret, il a trouvé, à l’intérieur, un billet de cinq cents crédits, étroitement plié. C’est tout simple, non ?
— Je vous rembourserai… je vous assure, j’ai des tas d’argent.
— Bah… » Le large visage de Papa se fendit d’un sourire embarrassé. « Pour une « payse »…
— Mais s’il avait pris l’argent tout en me mettant la main au collet et en m’accusant de tentative de corruption ? insista Arcadia.
— Et renoncé au billet de cinq cents ? Je connais mieux ces gens que toi, ma fille. »
Mais Arcadia savait parfaitement qu’il ne connaissait pas ces gens mieux qu’elle. Pas ceux-là. Dans son lit, cette nuit-là, elle réfléchit profondément, et elle sut qu’aucun pot-de-vin n’aurait pu empêcher le lieutenant de l’arrêter, si la chose n’avait pas été convenue d’avance. Ils n’avaient nulle envie de l’arrêter, bien qu’ils se soient livrés à un simulacre entièrement convaincant.
Alors, pourquoi ce déploiement de forces ? Pour s’assurer qu’elle était bien partie ? Et en direction de Trantor ? Le couple obtus au cœur tendre qui l’accompagnait n’était-il qu’un instrument entre les mains de la Seconde Fondation, aussi inoffensif qu’elle-même ?
Probablement !
A moins que…
Mais pourquoi se poser d’inutiles questions ? Comment pouvait-elle lutter ? Quoi qu’elle fasse, elle ne pourrait se dispenser d’exécuter les volontés de ces êtres terribles et omnipotents.
C’est par la ruse qu’il fallait les vaincre. Il le fallait ! Il le fallait !
Pour une raison ou pour des raisons inconnues des membres de la Galaxie à cette époque de l’ère considérée, le temps standard intergalactique définit son unité fondamentale comme étant la seconde, c’est-à-dire l’intervalle de temps nécessaire à la lumière pour parcourir 299 776 kilomètres. 86 400 secondes définissent arbitrairement le jour standard intergalactique ; et 365 de ces jours forment une année standard intergalactique.
Pourquoi ces chiffres : 299 776… 86 400… et 365 ?
Tradition, disait l’historien répondant à la question. A cause de certaines relations numériques variées et mystérieuses, prétendaient les mystiques, les cultistes, les numérologistes, les métaphysiciens. Par suite d’une coutume remontant à l’époque où l’humanité n’avait pas encore quitté la planète qui lui avait servi de berceau, laquelle possédait certaines constantes de rotation et de révolution sur lesquelles étaient basées ces relations numériques, disait le plus petit nombre.
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