Et pour la première fois de la nuit, elle se mit à pleurer, à pleurer comme un bébé, sans fausse honte ; se cramponnant au corsage démodé qu’elle trempait de ses larmes, cependant que des bras tendres se refermaient sur elle et qu’une main douce caressait ses cheveux.
« Papa », au comble de l’embarras, regardait la scène en jouant futilement avec un mouchoir, qui, sitôt apparu, lui fut arraché des mains. D’un regard, « Maman » lui enjoignit de se tenir tranquille. Autour du petit groupe, la foule affluait et refluait avec cette indifférence totale qui caractérise les foules hétérogènes, où qu’elles se trouvent. Ils étaient véritablement seuls.
Le ruisseau de larmes finit par se tarir et Arcadia esquissa un faible sourire tout en tamponnant ses yeux rougis avec le mouchoir d’emprunt.
« Je suis désolée, murmura-t-elle. Je…
— Chhhhhut, chhhhhut, ne parlez pas, dit Maman avec embarras. Reposez-vous simplement pendant un moment. Reprenez votre souffle. Ensuite, vous nous direz ce qui ne va pas et, vous verrez, nous nous en occuperons, et après, tout ira bien. »
Arcadia rassembla ce qui pouvait rester de ses esprits. Elle ne pouvait pas avouer la vérité… A qui que ce soit. Et pourtant, elle était trop épuisée pour inventer un mensonge plausible.
« Je me sens mieux maintenant, dit-elle à mi-voix.
— Bien, dit Maman, maintenant dites-moi ce qui ne va pas. Vous n’avez rien fait de mal ? Bien entendu, nous vous viendrons en aide quelle que soit votre faute ; mais dites-nous la vérité.
— Nous ferions n’importe quoi pour un ami de Trantor, ajouta Papa dans un accès d’enthousiasme, n’est-ce pas, Maman ?
— Ferme ton bec, Papa », fut la réponse dépourvue d’acrimonie.
Arcadia fouillait dans sa bourse. Cet objet, du moins, lui appartenait en dépit du rapide changement de vêtements qui lui avait été imposé dans les appartements de Dame Callia. Elle trouva ce qu’elle cherchait et le tendit à Maman.
« Ce sont mes papiers », dit-elle timidement. C’était un parchemin synthétique et luisant, qui lui avait été fourni par l’ambassadeur de la Fondation le jour de son arrivée et qui avait été contresigné par le fonctionnaire kalganien approprié. Il était vaste, décoratif et impressionnant. Maman y jeta un regard perplexe et le repassa à Papa qui en absorba le contenu avec une moue significative.
« Vous appartenez à la Fondation ?
— Oui, mais je suis née sur Trantor. Voyez, c’est indiqué…
— Ah ! Il me semble en règle. Vous vous appelez Arcadia. C’est un vrai nom trantorien. Mais où se trouve votre oncle ? Je vois que vous êtes venue en compagnie de Homir Munn, oncle .
— Il a été arrêté, dit Arcadia lugubrement.
— Arrêté ! s’écrièrent avec ensemble les deux braves gens.
— Pour quelle raison ? s’enquit Maman. Aurait-il commis un délit ? »
Arcadia secoua la tête.
« Je ne sais pas. Nous étions seulement en visite. Oncle Homir avait une affaire à traiter avec le Seigneur Stettin, mais… »
Le frisson qui la parcourut n’était pas joué. C’était de l’authentique.
Papa était impressionné.
« Avec le Seigneur Stettin ? Votre oncle doit être un homme bien influent.
— Je ne sais pas de quoi il était question, mais le Seigneur Stettin insistait pour que je reste… » Elle évoquait les derniers mots de Dame Callia. Puisque Callia était experte en la matière, l’histoire pouvait servir une seconde fois.
« Et pourquoi vous ? demanda Maman intéressée, après une pause.
— Je ne connais pas la raison exacte. Il… voulait m’inviter à dîner en tête à tête, mais je n’ai pas voulu, car j’exigeais que l’oncle Homir assistât au repas. Il me regardait d’une drôle de façon et n’arrêtait pas de me tenir l’épaule. »
Papa avait la bouche entrouverte, mais Maman fut soudain toute rouge et furieuse. « Quel âge avez-vous, Arcadia ?
— Bientôt quatorze ans et demi. »
Maman eut une brusque aspiration. « Je ne comprends pas qu’on laisse vivre de pareilles gens ! Les chiens de rue valent mieux qu’eux ! C’est lui que vous fuyez, n’est-ce pas ? »
Arcadia hocha la tête.
« Papa, rends-toi aux Renseignements et informe-toi du moment exact où l’astronef pour Trantor se posera dans son berceau. Dépêche-toi. »
Mais Papa fit un pas et s’arrêta. Un fracas de paroles métalliques retentissait au-dessus de leurs têtes et cinq mille paires d’yeux se tournèrent, intriguées, vers le ciel.
« Mesdames, messieurs, disait la voix avec une force contenue, des recherches sont effectuées dans l’aéroport pour trouver un dangereux fugitif et il est actuellement cerné. Nul ne peut y entrer ni en sortir. Cependant les opérations sont menées avec une extrême diligence, et aucun astronef ne se posera ni ne quittera le sol pendant cet intervalle, de telle sorte que nul ne doit craindre de manquer son astronef. Je répète, nul ne manquera son astronef. Le gril va descendre. Nul ne devra quitter son carré avant que le gril soit remonté, sinon nous serions contraints d’avoir recours à nos fouets neuroniques. »
Pendant la minute où la voix retentit sous le vaste dôme de la salle d’attente du spatioport, Arcadia eût été bien incapable de bouger, même si tout le mal de la Galaxie s’était concentré en une boule et que celle-ci se fût ruée dans sa direction.
Il ne pouvait s’agir que d’elle. Il était à peine besoin de le dire. Mais pourquoi…
Callia avait manigancé son évasion. Et Callia appartenait à la Seconde Fondation. Alors, pourquoi cette fouille à présent ? Callia aurait-elle échoué ? Callia pouvait-elle échouer ? Ou bien cette nouvelle manœuvre faisait-elle partie d’un plan dont les subtilités lui échappaient ?
Pendant un moment vertigineux, elle fut tentée de bondir et de crier qu’elle capitulait, qu’elle les suivait, que… que…
Mais la main de Maman était sur son poignet.
« Vite ! Vite ! Allons aux toilettes pour dames avant qu’ils commencent. »
Arcadia ne comprit pas. Elle se contenta de suivre en aveugle. Elles se faufilèrent à travers la foule, toujours rassemblée par petits groupes, tandis que la voix tonitruante prononçait ses ultimes paroles.
Le gril avait commencé sa descente et Papa, bouche bée, le suivait des yeux. Il en avait entendu parler, il en avait lu des descriptions, mais il ne l’avait jamais vu fonctionner à ses dépens. Il était constitué par un quadrillage serré de radiations linéaires qui illuminaient l’atmosphère d’un réseau inoffensif de raies éclatantes.
Il était toujours disposé de façon à pouvoir descendre lentement pour donner l’image d’un filet qui vous enserre de ses mailles, avec toutes les implications psychologiques que comporte cette sensation d’être pris dans un piège.
Il se trouvait maintenant au niveau des ceintures, les mailles étant larges de trois mètres dans chaque direction. Papa se trouva seul dans son carré de neuf mètres carrés, cependant que les mailles voisines étaient combles. Il se sentait ainsi spectaculairement isolé, mais il savait qu’en franchissant l’une de ces lignes brillantes pour se fondre dans l’anonymat du groupe, il aurait déclenché un relais et l’intervention du fouet neuronique.
Il attendit donc.
Il distinguait, par-dessus les têtes bizarrement immobiles, le mouvement lointain d’une rangée de policiers couvrant toute la largeur de la salle et inspectant carré lumineux par carré lumineux.
Un long moment s’écoula avant qu’un uniforme pénétrât dans son carré. Le policier nota soigneusement ses coordonnées dans un calepin officiel.
« Vos papiers ! »
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