Isaac Asimov - Les cavernes d'acier

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Les cavernes d’acier sont les villes souterraines du futur. Là, bien que privés d’air et de lumière naturels, des millions d’hommes vivent à un rythme étourdissant.
Malgré une civilisation superscientifique et l’apparition de robots intelligents, les passions humaines n’ont pas cessé pour autant et le meurtre n’a pas disparu.
Mais le problème de Lije Baley West pas seulement de retrouver un meurtrier, il est aussi d’y parvenir avant son collègue R. Daneel. R. = Robot, car R. Daneel est un androïde au cerveau électronique ultraperfectionné, créé certes par l’homme, mais qui n’attend peut-être que l’occasion de prendre sa place.

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— Vous ne me paraissez pas vouloir interroger Clousarr maintenant, Elijah ? dit R. Daneel.

— Il peut attendre ! répliqua Baley nerveusement. Je veux d’abord voir ce qu’est l’affaire R. Sammy. A mon avis, murmura-t-il, comme se parlant à lui-même plutôt qu’au robot, les deux affaires sont liées.

— C’est dommage ! reprit Daneel, suivant son idée. A cause des réactions cérébrales de Clousarr…

— Ah ? Qu’est-ce qu’elles ont eu de particulier ?

— Elles ont beaucoup changé ! Qu’est-ce qui s’est donc passé entre vous dans la salle des balances, pendant mon absence ?

— Oh, fit Baley, d’un air détaché, je me suis borné à le sermonner ! Je lui ai prêché l’évangile selon saint Fastolfe !

— Je ne vous comprends pas, Elijah…

Baley soupira, et entreprit de s’expliquer :

— Eh bien, voilà ! dit-il. J’ai tenté de lui expliquer comment les Terriens pourraient sans danger se servir de robots, et envoyer leur excédent de population sur d’autres planètes. J’ai essayé de le débarrasser de quelques-uns de ses préjugés médiévalistes, et Dieu seul sait pourquoi je l’ai fait ! Je ne me suis jamais fait l’effet d’un missionnaire, pourtant ! Quoi qu’il en soit, il ne s’est rien passé d’autre.

— Je vois ce que c’est ! Dans ce cas, le changement de réaction de Clousarr peut s’expliquer, répliqua R. Daneel. Que lui avez-vous dit en particulier sur les robots, Elijah ?

— Ca vous intéresse ? Eh bien, je lui ai montré que les robots n’étaient que des machines, ni plus ni moins. Ca, c’était l’évangile selon saint Gerrigel ! J’ai l’impression qu’il doit y avoir ainsi des évangiles de toutes espèces.

— Lui avez-vous dit, par hasard, qu’on peut frapper un robot sans craindre qu’il riposte, comme c’est le cas pour n’importe quelle machine ?

— A l’exception du « punching-ball » ! Oui, Daneel. Mais qu’est-ce qui vous a fait deviner cela ? demanda Baley, en regardant avec curiosité son associé.

— Cela explique l’évolution de ses réactions cérébrales, et surtout le coup qu’il m’a porté en sortant de l’usine. Il a dû réfléchir à ce que vous lui aviez dit, et il a voulu en vérifier l’exactitude. En même temps, cela lui a donné, d’une part, l’occasion d’extérioriser ses sentiments agressifs à mon égard, d’autre part le plaisir de me mettre dans ce qui, à ses yeux, fut un état d’infériorité. Du moment qu’il a été poussé à agir ainsi, et en tenant compte de ses variations delta…

Il réfléchit un instant, puis reprit :

— Oui, c’est très intéressant, et je crois que maintenant je peux former un tout cohérent avec l’ensemble des données que je possède.

Comme ils approchaient des bureaux, Baley demanda :

— Quelle heure est-il ?

Mais aussitôt il se morigéna, car il aurait eu plus vite le renseignement en consultant sa montre. Au fond, ce qui le poussait à demander ainsi l’heure au robot, c’était un peu le même désir qu’avait eu Clousarr en giflant R. Daneel : donner un ordre banal que le robot ne pouvait pas ne pas exécuter, lui démontrant ainsi qu’il n’était qu’une machine, et que lui, Baley, était un homme.

« Nous sommes bien tous les mêmes ! se dit-il. Tous frères ! Que ce soit intérieurement ou extérieurement, nous sommes tous pareils ! »

— 20 h 10 ! répondit Daneel.

Ils quittèrent la motospirale, et, comme d’habitude, il fallut quelques secondes à Baley pour se réhabituer à marcher sur un terrain stable, après un long parcours sur le tapis roulant.

— Avec tout ça, grommela-t-il, moi non plus, je n’ai pas dîné ! Quel fichu métier !…

Par la porte grand ouverte de son bureau, on pouvait voir et entendre le commissaire Enderby. La salle des inspecteurs était vide et fraichement nettoyée, et la voix d’Enderby y résonnait curieusement. Baley eut l’impression qu’elle était plus basse que de coutume, et il trouva à son chef un visage défait ; sans ses lunettes, qu’il tenait à la main, la tête ronde du commissaire principal semblait nue, et il manifestait un véritable épuisement, s’épongeant le front avec une serviette en papier toute fripée.

Dès qu’il aperçut Baley sur le seuil de son bureau, Enderby s’écria d’une voix soudain perçante :

— Ah, vous voilà tout de même, vous ! Où diable étiez-vous donc ?

Baley, haussant les épaules, négligea l’apostrophe et répliqua :

— Qu’est-ce qui se passe ? Où est l’équipe de nuit ?

A ce moment, seulement, il aperçut dans un coin de la pièce une seconde personne.

— Tiens ? fit-il froidement. Vous êtes donc ici, docteur Gerrigel ?

Le savant grisonnant répondit à cette remarque par une brève inclinaison de la tête.

— Enchanté de vous revoir, monsieur Baley, fit-il.

Enderby rajusta ses lunettes et dévisagea Baley.

— On procède actuellement, en bas, à l’interrogatoire de tout le personnel. Je me suis cassé la tête à vous chercher. Votre absence a paru bizarre.

— Bizarre ? s’écria Baley. En voilà une idée !

— Toute absence est suspecte. C’est quelqu’un de la maison qui a fait le coup, et ça va coûter cher ! Quelle sale, quelle écœurante, quelle abominable histoire !…

Il leva les mains, comme pour prendre le Ciel à témoin de son infortune, et, à ce moment, il se rendit compte de la présence de R. Daneel.

« Hum ! se dit Baley. C’est la première fois que vous regardez Daneel les yeux dans les yeux, mon pauvre Julius ! Je vous conseille de faire attention ! »

— Lui aussi, reprit Enderby d’une voix plus calme, il va falloir qu’il signe une déposition. J’ai bien dû en signer une, moi ! Oui, même moi !

— Dites-moi donc, monsieur le commissaire, dit Baley, qu’est-ce qui vous donne la certitude que R. Sammy n’a pas pu lui-même détériorer un de ses organes ? Qu’est-ce qui vous incite à penser qu’on l’a volontairement détruit ?

— Demandez-le-lui ! répliqua Enderby en s’asseyant lourdement, et en désignant d’un geste le Dr Gerrigel.

Celui-ci se racla la gorge et déclara :

— Je ne sais pas trop par quel bout prendre cette affaire, monsieur Baley. Votre attitude me fait croire que ma présence ici vous surprend.

— Un peu, oui, admit Baley.

— Eh bien, rien ne me pressait de rentrer à Washington, et comme mes visites à New York sont assez rares, j’ai un peu flâné. Chose plus importante, j’ai eu de plus en plus la conviction que je commettais une très grande faute, en quittant la Cité sans avoir tenté au moins un nouvel effort, pour obtenir l’autorisation d’examiner votre sensationnel robot. Je vois d’ailleurs, ajouta-t-il sans dissimuler sa vive satisfaction, qu’il vous accompagne toujours.

— Je regrette, répliqua Baley, très nerveusement, mais c’est absolument impossible.

— Vraiment ? fit le savant, déçu. Pas tout de suite, bien sûr ! Mais peut-être plus tard ?…

Baley continua à montrer un visage de bois.

— J’ai essayé de vous atteindre au téléphone, mais vous étiez absent, reprit Gerrigel, et nul ne savait où l’on pouvait vous joindre. Alors, j’ai demandé le commissaire principal, qui m’a fait venir ici, afin de vous y attendre.

— J’ai pensé que cela pourrait vous être utile, dit Enderby à son collaborateur. Je savais que vous désiriez voir le docteur.

— Merci, fit Baley sèchement.

— Malheureusement, continua l’expert, mon indicateur ne fonctionnait pas bien, à moins que ce soit moi qui n’aie pas bien su m’en servir. Toujours est-il que je me suis trompé de chemin, et que j’ai abouti à une petite pièce.

— C’était une des chambres noires photographiques, Lije, dit Enderby.

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