La Reine ne répond pas.
— Alors ? demande Nialli Apuilana. Est-ce votre réponse ? Est-ce ce que vous voulez que nous Vous fassions subir ? Croyez-moi, nous le ferons, si Vous refusez de nous donner ce que nous demandons.
Le silence. Toujours le silence.
— Et que voulez-vous donc ? demande enfin la Reine.
— La fin de la guerre. La cessation des hostilités entre nos deux peuples. Une frontière inviolable tracée entre votre territoire et le nôtre.
— Ce sont vos seules conditions ?
— Oui, nos seules conditions.
— Et sinon ?
— La guerre totale. La guerre sans merci.
— Vous vous leurrez, si vous croyez que la paix pourra jamais régner entre nous, dit la Reine.
— Nous nous contenterons de l’absence de guerre.
Il y a un dernier silence qui s’éternise.
— Oui, dit enfin la Reine. Il peut y avoir une absence de guerre. Soit ! Je vous accorde ce que vous demandez. Il y aura une absence de guerre.
C’était réglé. Nialli Apuilana fit ses adieux à la Reine et quitta aussitôt le firmament, se laissant interminablement glisser jusqu’à la planète où l’aube commençait à poindre. Elle desserra son étreinte sur le Barak Dayir et se redressa. Elle était de retour dans la tente qu’elle partageait avec Thu-kimnibol.
Il commençait juste à remuer. Il ouvrit les yeux et lui sourit.
— Comme c’est étrange, dit-il. J’ai dormi comme un enfant et j’ai rêvé que la guerre était finie. Que l’arrêt des combats était conclu entre la Reine et nous.
— Ce n’était pas un rêve, dit Nialli !
C’était une belle journée ensoleillée et une brise agréable soufflait de l’occident, une brise de mer, toujours un bon présage. Taniane se leva de bonne heure et se rendit au Temple des Cinq pour exprimer sa gratitude aux dieux qui avaient permis à l’armée de revenir sans trop de pertes et implorer leur protection pour l’avenir. Puis, comme elle était le chef de toutes les tribus, elle se rendit également au Temple de Nakhaba pour rendre hommage au dieu des Beng. Ensuite, elle demanda sa voiture officielle tirée par quatre xlendis blancs et s’apprêta à se transporter à la porte Emmakis, au nord de la cité, où une grande tribune avait été dressée afin que le chef et le Praesidium puissent accueillir comme il convenait les troupes à leur retour de la guerre. Elle emportait le masque de Koshmar, le masque d’un noir luisant, qu’elle portait parfois lors des cérémonies officielles. Et ce jour-là semblait être une bonne occasion de le porter.
Depuis quatre jours, des messagers arrivaient en hâte dans la cité pour annoncer la nouvelle du retour de l’armée, au fur et à mesure de sa progression. « Ils sont à Thik-Haleret ! » s’écriait l’un, et presque aussitôt : « Ils ont atteint Banarak » annonçait un autre. « Non ! Ils approchent de Ghomino ! » déclarait un troisième. Les messagers précisaient que Thu-kimnibol chevauchait fièrement à la tête de la colonne, que Nialli Apuilana était à ses côtés et que, derrière eux, les troupes s’étiraient jusqu’à l’horizon.
Thu-kimnibol avait déjà dépêché des estafettes pour annoncer la cessation des hostilités. C’est par ces messagers que la nouvelle de la mort de Hresh avait été officiellement connue, ce qui n’avait fait que confirmer ce que Taniane savait déjà. Elle n’avait plus senti la présence de Hresh sur la planète depuis le jour où cet étrange engourdissement l’avait saisie, le jour où Puit Kjai lui avait fait part des rumeurs d’insurrection qui commençaient à courir. Mais la nouvelle lui donna quand même un grand choc. Elle apprit en même temps que le roi Salaman était mort lui aussi, mort de chagrin et de lassitude après une lourde défaite et la perte de deux de ses fils.
Taniane se demandait ce que Hresh pouvait bien être allé faire en plein territoire hjjk, si près du front. Jamais elle ne se serait attendue à ce qu’il soit là-bas. Mais, à l’évidence, Hresh était resté le même jusqu’au bout, un homme qui n’en faisait qu’à sa tête. Peut-être Nialli Apuilana lui donnerait-elle plus tard quelques explications sur les raisons de ce dernier et mystérieux voyage.
Le vieux Staip monta de son pas chancelant pour prendre place sur la tribune, à la gauche de Taniane. Simthala Honginda et Catiriil se placèrent à côté de lui. À la droite du chef se tenaient Puit Kjai et Chomrik Hamadel, tous deux coiffés d’un casque d’apparat. Un cordon de gardes municipaux sous le commandement de Chevkija Aim avait pris position au pied de la tribune. L’un après l’autre, les membres du Praesidium gravissaient les marches et Taniane les saluait à mesure qu’ils arrivaient.
— Soyez sur vos gardes, madame, dit Puit Kjai en penchant la tête vers elle. Vos ennemis pourraient profiter de l’occasion pour passer à l’action.
— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
— Rien que des rumeurs, madame.
— Des rumeurs ! soupira Taniane en haussant les épaules.
— Les rumeurs ont souvent un fond de vérité, madame.
Taniane tendit le doigt vers l’horizon où elle croyait voir un nuage de poussière grise s’élever au-dessus de la route.
— Thu-kimnibol sera là dans très peu de temps, dit-elle. Avec ma fille et une armée de guerriers fidèles. Personne n’osera créer des troubles en sachant qu’ils sont si près de la cité.
— Soyez quand même sur vos gardes.
— Je suis toujours sur mes gardes, dit Taniane en laissant nerveusement courir ses doigts sur la surface luisante du masque de Koshmar. Husathirn Mueri n’est pas là, poursuivit-elle après avoir lancé un coup d’œil circulaire. C’est lui le seul absent. Comment se fait-il qu’il ne soit pas arrivé ?
— Je ne pense pas qu’il soit transporté de joie par le retour triomphant de Thu-kimnibol.
— Il n’en est pas moins un prince du Praesidium. Sa place est ici, au milieu de nous.
Elle se retourna et fit un signe à Catiriil.
— Votre frère ! lança-t-elle sèchement. Où est-il ?
— Il m’a dit qu’il irait d’abord à sa chapelle. Mais je suis sûre qu’il arrivera à temps.
— Je l’espère pour lui, dit Taniane.
Husathirn Mueri, lui aussi, s’était levé de bon matin. Il avait eu un sommeil agité et c’est avec plaisir qu’il avait quitté son lit à l’aube. Ses rêves, pendant les brèves périodes où il avait réussi à trouver le sommeil, avaient été particulièrement oppressants. Il avait eu des visions de guerriers hjjk défilant autour de lui en psalmodiant dans les ténèbres ; de la masse écrasante de la Reine, de son monstrueux corps blafard suspendu au-dessus de sa tête et tombant lentement sur lui du haut du ciel, de tout son poids titanesque.
L’office du matin avait déjà commencé quand il arriva à la chapelle. La cérémonie était célébrée par Tikharein Tourb et Chhia Kreun se tenait à ses côtés devant l’autel. Husathirn Mueri se glissa sur le siège du dernier rang qu’il occupait le plus souvent Chevkija Aim, plongé dans ses dévotions, le salua négligemment de la tête. Les autres fidèles ne lui adressèrent pas un regard. Il n’y avait maintenant plus rien d’extraordinaire à voir un prince de la cité fréquenter les chapelles.
— C’est le jour de la révélation, déclara l’enfant-prêtre. Le jour où les sceaux seront brisés, où le livre sera ouvert, où les secrets seront révélés, où les profondeurs dévoileront leurs mystères. C’est le jour de la Reine. Et Elle est notre consolation et notre joie.
— Elle est notre consolation et notre joie, répondit machinalement l’assemblée des fidèles.
Husathirn Mueri joignit sa voix aux autres.
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