II se rappela alors que la foudre pouvait tomber sur les arbres et tuer des gens. Il ne se souvenait pas d’avoir lu une description de ce qui arrivait quand on était frappé par la foudre, ni même s’il existait des moyens pour s’en protéger. Il savait en tout cas que jamais personne, sur la Terre, n’avait été frappé par la foudre.
Avec ses mains glacées, mouillées, il avança à tâtons sous les arbres, tremblant de peur. Il craignait de s’égarer, de tourner en rond, de ne pas conserver la même direction.
En avant !
Les fourrés devenaient plus denses, et il devait passer au travers. Il avait l’impression que de petits doigts osseux le griffaient, le retenaient. Rageusement, il tira son bras et entendit un bruit de déchirure.
En avant !
Il claquait des dents et tremblait de plus belle. Encore un éclair. Pas trop effrayant. Pendant un bref instant, il aperçut ce qui l’entourait.
Des arbres ! Des arbres nombreux. Il était dans un bois. En cas de foudre, de nombreux arbres étaient-ils plus dangereux qu’un seul ?
Il n’en savait rien.
Serait-il plus en sécurité s’il ne touchait pas vraiment un arbre ?
Il n’en savait rien non plus. La mort par la foudre n’était pas un élément de la vie dans les Villes et les romans historiques (ou les livres d’histoire) qui en parlaient ne donnaient aucun détail.
Il leva les yeux vers le ciel noir et sentit l’humidité descendre. Il essuya ses yeux mouillés avec ses mains mouillées.
Et il repartit, en essayant de bien lever les pieds. A un moment donné, il pataugea dans un petit ruisseau étroit, glissant sur les cailloux du fond.
Comme c’était bizarre ! Cela ne le mouilla pas plus qu’il ne l’était.
Il repartit. Les robots ne le retrouveraient pas. Et Giskard ?
Baley ne savait pas où il était, ni où il allait ni à quelle distance il était de tout.
S’il voulait retourner à l’aéroglisseur, il en serait incapable.
S’il tentait de s’orienter, il ne le pourrait pas.
Et l’orage allait durer éternellement et finalement il se dissoudrait et, fondrait lui-même en un ruisselet et personne ne le retrouverait jamais.
Ses molécules dissoutes couleraient vers l’océan. Y avait-il un océan sur Aurora ?
Oui, naturellement ! Il était plus grand que ceux de la Terre mais il y avait plus de glace aux pôles aurorains.
Ah, il flotterait jusqu’aux glaces et y gèlerait, et brillerait sous le froid soleil orangé.
Ses mains touchaient de nouveau un arbre – des mains mouillées – des arbres mouillés – un grondement de tonnerre – curieux, il ne voyait pas l’éclair – or l’éclair venait d’abord – était-il touché ?
Il ne sentait rien… à part le sol.
Le sol était sous lui parce que ses doigts grattaient la boue froide, mouillée. Il tourna la tête pour mieux respirer. C’était assez confortable. Il n’avait plus besoin de marcher. Giskard le trouverait.
Il en fut soudain tout à fait sûr. Giskard le trouverait parce que…
Non, il avait oublié le « parce que ». C’était la seconde fois qu’il oubliait quelque chose. Avant de s’endormir… était-ce la même chose qu’il oubliait à chaque fois ?… La même chose ?…
Cela n’avait pas d’importance.
Il irait très bien… très…
Et il resta couché là, seul et inconscient, sous la pluie, au pied d’un arbre, tandis que l’orage continuait de se déchaîner autour de lui.
Plus tard, avec le recul, Baley estima qu’il n’était pas resté sans connaissance moins de dix minutes et pas plus de vingt.
Sur le moment, cependant, cela lui parut éternel. Puis il perçut une voix. Il n’entendait pas les mots, rien qu’une voix qui lui sembla bizarre. Dans sa perplexité, il résolut le mystère à sa satisfaction en reconnaissant une voix féminine.
Il y avait des bras autour de lui, qui le soulevaient, le portaient. Un bras – le sien – pendait. Sa tête ballottait. Il essaya faiblement de se redresser mais n’en fut pas capable. De nouveau, la voix féminine.
Avec lassitude, il ouvrit les yeux. Il avait froid, il était trempé. Soudain, il s’aperçut que l’eau ne le frappait plus et qu’il ne faisait pas noir, pas complètement. Il y avait une lumière diffuse qui lui permettait de voir une figure de robot.
Il la reconnut.
— Giskard, souffla-t-il et, aussitôt, il se rappela l’orage et sa fuite.
Giskard l’avait trouvé le premier ; il l’avait retrouvé avant les autres robots.
Baley, soulagé, pensa : J’en étais sûr.
Il referma les yeux et sentit qu’il se déplaçait rapidement avec une légère mais très perceptible irrégularité, indiquant qu’il était porté par quelqu’un qui marchait. Puis un arrêt et une lente adaptation, jusqu’à ce qu’il repose sur quelque chose de tiède et de confortable. Il comprit que c’était le siège arrière d’un véhicule, apparemment recouvert de tissu éponge.
Il y eut ensuite la sensation de mouvement dans l’air et d’un tissu doux et absorbant sur sa figure et ses mains. On ouvrit le devant de sa tunique, il sentit de l’air frais sur son torse et, de nouveau, le contact de la serviette.
Après cela, les sensations se précipitèrent.
Il était dans un établissement. Il y avait le scintillement des murs, de l’éclairage, des objets divers (des meubles) qu’il voyait de temps en temps quand il ouvrait les yeux.
Il sentit qu’on le déshabillait méthodiquement et il fit quelques tentatives inutiles pour aider ; puis de l’eau chaude, tiède, et des frictions vigoureuses. Cela dura longtemps ; il aurait voulu que ça ne s’arrête jamais.
Une pensée lui vint, à un moment donné, et il saisit le bras qui le soutenait.
— Giskard ! Giskard !
Il entendit la voix de Giskard.
— Je suis là, monsieur.
— Giskard, est-ce que Daneel est en sécurité ?
— Tout à fait, monsieur.
— Bien.
Baley referma les yeux et ne fit plus aucun effort. Il se laissa essuyer. Il fut tourné et retourné dans un flot d’air chaud et puis rhabillé d’un vêtement ressemblant à une robe de chambre douillette.
Le luxe ! Rien de semblable ne lui était arrivé depuis qu’il était bébé et il plaignit soudain les petits enfants pour qui on faisait tout cela et qui n’en avaient pas suffisamment conscience pour l’apprécier.
Mais était-ce bien vrai ? Le souvenir caché de ce luxe réservé aux bébés déterminait-il le comportement adulte ? Son propre sentiment actuel n’était-il pas l’expression du ravissement d’être redevenu un bébé ?
Et il avait entendu une voix de femme. Sa mère ?
Non, ce n’était pas possible.
Il était maintenant assis dans un fauteuil, il le sentait. Et il sentait aussi, en quelque sorte, que la brève période heureuse d’enfance retrouvée allait finir. Il devait retomber dans le triste monde de la conscience et de la responsabilité de soi-même.
Mais il y avait eu une voix féminine… Quelle femme ? Baley rouvrit les yeux.
— Gladïa ?
C’était une question, une question étonnée mais, tout au fond, il n’était pas vraiment surpris. En y réfléchissant, il se rendait compte qu’il avait reconnu la voix, naturellement.
Il regarda autour de lui. Giskard était debout dans sa niche mais il se désintéressa de lui. D’abord l’essentiel.
— Où est Daneel ? demanda-t-il.
— Il s’est nettoyé et séché dans les appartements des robots, répondit Gladïa, et il a des vêtements secs. Il est entouré par mon personnel qui a des instructions. Je peux vous assurer qu’aucun intrus ne pourra s’approcher à moins de cinquante mètres de mon établissement, de n’importe quelle direction, sans que nous le sachions tous immédiatement… Giskard s’est nettoyé et séché aussi.
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