L’aéroglisseur s’éleva légèrement et, aussitôt, il fut déporté sur le côté et pencha si fort que Baley fut collé contre Giskard.
— Redresse ce véhicule, Giskard ! cria-t-il ou, plutôt, gémit-il.
Daneel le prit par les épaules et l’attira contre lui. De l’autre bras, il se retenait à une poignée fixée au châssis de l’aéroglisseur.
— Ce n’est pas possible, camarade Elijah. Le vent est assez violent.
Baley sentit ses cheveux se dresser.
— Tu veux dire… Tu veux dire que le vent va nous emporter ?
— Non, bien sûr que non, répondit Daneel. Si la voiture était anti-grav – une forme de technologie qui, bien entendu, n’existe pas – et si sa masse et son inertie étaient éliminées, alors elle serait emportée comme une plume dans les airs. Cependant, nous conservons toute notre masse, même quand nos jets nous soulèvent sur le coussin d’air, alors notre inertie résiste au vent. Néanmoins, le vent nous fait osciller, même si Giskard garde le contrôle absolu du véhicule.
— Ça n’en a pas l’air, marmonna Baley.
Il perçut un vague sifflement aigu, qu’il pensa être le vent glissant sur l’aéroglisseur alors que le véhicule fendait l’atmosphère turbulente. Puis l’aéroglisseur fit une embardée et Baley ne put absolument pas se retenir de saisir Daneel par le cou et de le serrer désespérément.
Daneel attendit un moment. Quand Baley eut repris haleine, quand son étreinte fut moins crispée, il s’en dégagea sans peine, tout en resserrant son bras autour des épaules de Baley.
— Afin de garder le cap, camarade Elijah, Giskard doit compenser la poussée du vent par une distribution asymétrique des jets d’air. Ils soufflent d’un côté pour que l’aéroglisseur se penche à contre-vent, et la force ainsi que la direction de ces jets doivent être réglées à mesure que le vent change d’intensité et de direction. Pour cela, il n’y a pas plus habile que Giskard, mais, malgré tout, il y a d’inévitables secousses et cahots. Il faudra donc excuser Giskard s’il ne participe pas à notre conversation. Il doit s’occuper uniquement de la conduite.
— Est-ce que c’est… sans danger ?
L’estomac de Baley se contractait à la pensée de jouer avec le vent de cette façon. Il était très heureux de ne pas avoir mangé depuis plusieurs heures. Il ne pouvait pas… il n’oserait pas être malade dans l’espace confiné de l’aéroglisseur. Cette idée même aggrava sa nausée et il tenta de se concentrer sur autre chose.
Il s’imagina en train de courir sur les bretelles mouvantes, sur la Terre, d’en descendre une pour sauter sur la voisine, plus rapide, et puis sur une autre encore plus rapide, de passer sur une plus lente, en se penchant contre le vent dans une direction ou l’autre selon que l’on rapidait (un curieux mot de jargon uniquement employé par les coureurs de bretelles mouvantes) ou que l’on ralentissait. Dans sa jeunesse, Baley faisait cela presque automatiquement, sans la moindre faute ni la moindre hésitation.
Daneel s’y était adapté sans peine et la seule fois où ils avaient fait la course tous les deux, Daneel s’en était tiré à la perfection. Eh bien, se dit Baley, c’était exactement la même chose ! L’aéroglisseur courait sur les bretelles. Absolument ! C’était pareil !
Pas tout à fait, bien sûr. Dans la Ville, la vitesse de la bretelle était fixe. Le vent soufflait d’une manière absolument prévisible, puisqu’il ne résultait que du mouvement du trottoir roulant. Mais là, sous l’orage, le vent avait une volonté à lui ou, plutôt, il dépendait d’une telle quantité de variables (Baley faisait exprès de rechercher le rationnel) qu’il paraissait n’obéir qu’à son caprice et Giskard devait en tenir compte et compenser cela. C’était tout. Autrement, c’était la même chose que si l’on courait simplement le long des bretelles, avec une petite complication en plus.
— Et si nous sommes jetés contre un arbre ? marmonna-t-il.
— Très improbable, camarade Elijah. Giskard est bien trop habile pour ça. Et nous ne sommes que très légèrement au-dessus du sol, si bien que les jets sont particulièrement puissants.
— Alors nous allons heurter une grosse pierre. Elle nous emboutira par en dessous.
— Nous ne heurterons pas de pierre, camarade Elijah.
— Pourquoi ? Comment diable Giskard peut-il voir où il va, d’abord ? grogna Baley en cherchant à regarder dans l’obscurité devant eux.
— Le soleil se couche à peine, dit Daneel, et un peu de jour filtre entre les nuages. Cela nous suffit pour voir avec l’aide de nos phares. Et s’il fait plus sombre, Giskard intensifiera leur lumière.
— Quels phares ? demanda Baley d’un air agressif.
— Vous ne les voyez pas bien parce qu’ils ont une forte teneur en infrarouge, à laquelle les yeux de Giskard sont sensibles mais pas les vôtres. De plus, l’infrarouge est plus pénétrant que la lumière sur ondes plus courtes, et pour cette raison, c’est plus efficace sous la pluie ou dans le brouillard.
Malgré sa peur et son malaise, Baley éprouva de la curiosité.
— Et tes yeux à toi, Daneel ?
— Mes yeux, camarade Elijah, sont conçus pour être aussi voisins que possible de ceux des êtres humains. C’est regrettable, peut-être, en ce moment.
L’aéroglisseur frémit et Baley retint de nouveau sa respiration.
— Les yeux des Spatiens sont encore adaptés au soleil de la Terre, même si ceux des robots ne le sont pas, murmura-t-il. C’est une bonne chose, sans doute, si ça peut leur rappeler qu’ils descendent des Terriens…
Sa voix s’étouffa. Il faisait de plus en plus sombre, au-dehors. Il ne voyait plus rien maintenant, et les éclairs intermittents n’éclairaient rien non plus. Ils étaient totalement aveuglants. Baley ferma les yeux mais en vain. Il avait encore plus conscience du tonnerre furieux, menaçant.
Ne devraient-ils pas s’arrêter ? Attendre que le plus gros de l’orage soit passé ?
Giskard annonça soudain :
— Ce véhicule ne réagit pas normalement.
Baley sentit que le véhicule était fortement secoué, comme s’il était sur roues et passait sur une surface irrégulière.
— Est-ce que l’orage a pu faire des dégâts, Ami Giskard ? demanda Daneel.
— Ce n’est pas l’impression que ça donne, Ami Daneel. Pas plus qu’il ne paraît probable que cet engin puisse souffrir de ce genre de dégâts dans cet orage, ou dans n’importe quel orage.
Baley écoutait sans très bien comprendre.
— Des dégâts ? Quel genre de dégâts ?
— Il me semble qu’il y a une fuite dans le compresseur, monsieur, mais très lente. Ce n’est pas le résultat d’une crevaison ordinaire.
— Comment est-ce arrivé, alors ? demanda Baley.
— Un sabotage, peut-être, pendant que le véhicule était dehors, près du bâtiment administratif. Je me suis aperçu, depuis quelque temps déjà, que nous sommes suivis et que l’on prend soin de ne pas nous dépasser.
— Pourquoi, Giskard ?
— Sans doute, monsieur, parce que l’on attend que nous tombions complètement en panne.
Les mouvements de l’aéroglisseur étaient de plus en plus saccadés.
— Pourrons-nous arriver jusque chez Fastolfe ?
— J’en doute, monsieur.
Baley essaya de fouetter son esprit affolé pour le forcer à réfléchir.
— Dans ce cas, je me suis radicalement trompé sur les raisons qu’avait Amadiro de nous retarder. Il nous gardait simplement là pendant qu’un de ses robots sabotait l’aéroglisseur de telle manière que nous tombions en panne au beau milieu de cette désolation.
— Mais pourquoi ferait-il cela ? s’exclama Daneel, choqué. Pour se saisir de vous ? Mais il vous avait déjà.
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