Ils s’étaient arrêtés devant une petite construction.
— Est-ce la Personnelle communautaire ? demanda-t-il.
— C’est la plus proche de toutes celles qui se trouvent sur les terres de l’Institut, camarade Elijah, répondit Daneel.
— Tu l’as vite trouvée. Est-ce que ces édicules sont inclus dans le plan tracé dans ta mémoire ?
— En effet, camarade Elijah.
— Est-ce que celle-ci est occupée en ce moment ?
C’est possible, camarade Elijah, mais trois ou quatre personnes peuvent s’en servir simultanément.
— Y a-t-il de la place pour moi ?
— Très probablement, camarade Elijah.
— Eh bien, alors, laisse-moi descendre, j’irai et je verrai bien…
Les robots ne bougèrent pas.
— Monsieur, dit Giskard, nous ne pouvons pas entrer avec vous.
— Oui, je le sais, Giskard.
— Nous ne pourrons pas vous protéger comme il convient, monsieur.
Baley fronça les sourcils. Le robot rudimentaire avait naturellement le cerveau le plus rigide, et Baley entrevit brusquement le risque de ne pas être autorisé à se laisser perdre de vue, et par conséquent de ne pas avoir le droit d’aller à la Personnelle. Il se fit plus insistant en se tournant vers Daneel, dont il espérait qu’il comprendrait mieux les besoins humains.
— Je n’y peux rien, Giskard… Daneel, je n’ai vraiment pas le choix. Laisse-moi descendre !
Daneel regarda Baley, sans bouger, et pendant quelques instants horribles, il crut que le robot allait lui suggérer de se soulager là dans le champ, en plein air, comme un animal.
L’instant passa.
— Je pense, dit Daneel, que nous devons permettre au camarade Elijah de faire ce qu’il veut dans ce cas précis.
Sur quoi Giskard déclara à Baley :
— Si vous pouvez attendre encore un petit moment, monsieur, je vais d’abord examiner les lieux.
Baley fit une grimace. Lentement, Giskard se dirigea vers la petite construction et, posément, il en fit le tour. Baley aurait aisément pu prédire que dès que Giskard aurait disparu, son besoin se ferait plus pressant.
Pour n’y plus penser, il regarda le paysage. Après un examen attentif, il distingua de minces fils dans le ciel, ici et là ; comme des cheveux noirs très fins sur le fond blanc des cieux. Il ne les avait pas vus tout de suite et ne les avait remarqués qu’en voyant un objet ovale glisser devant les nuages. Il comprit que c’était un véhicule et qu’il ne volait pas mais était suspendu à un long câble horizontal. En suivant le câble des yeux, des deux côtés, il en remarqua d’autres. Il aperçut alors un autre véhicule, plus loin, et puis un autre plus éloigné encore. Le plus éloigné n’était qu’un minuscule point indistinct dont la nature ne se devinait que grâce aux deux autres.
Indiscutablement, c’était une sorte de téléphérique pour le transport interne, d’une partie de l’Institut de Robotique à une autre.
Comme c’est étendu ! pensa Baley. Comme l’Institut occupe inutilement un espace immense !
Et cependant, il n’en couvrait pas toute la surface. Les bâtiments étaient suffisamment dispersés pour que le paysage paraisse intact et que la faune et la flore continuent de vivre (supposa Baley) à l’état sauvage.
Il se rappelait Solaria qui était si vide, désert. Tous les mondes spatiens devaient être vides, sans aucun doute, puisque Aurora, le plus peuplé, était désert même là, dans la région la plus construite de la planète. D’ailleurs, même sur Terre, en dehors des Villes, tout était désert.
Mais là-bas, il y avait les Villes et Baley éprouva une brusque nostalgie qu’il s’empressa de chasser.
— Ah, l’Ami Giskard a terminé son inspection, dit Daneel.
Giskard revenait et Baley lui demanda avec agacement :
— Alors ? Vas-tu avoir l’extrême obligeance de m’autoriser…
Mais il s’interrompit. Pourquoi gaspiller des sarcasmes sur la carcasse impénétrable d’un robot ?
— Il semble tout à fait certain que la Personnelle est inoccupée, déclara Giskard.
— Bien ! Alors, laissez-moi descendre !
Baley ouvrit la portière de l’aéroglisseur et mit le pied sur le gravier de l’étroit sentier. Il marchait rapidement, suivi par Daneel.
Quand ils arrivèrent à la porte, Daneel indiqua d’un geste le contact qui l’ouvrait, mais sans y toucher lui-même. Sans doute, pensa Baley, y toucher sans instructions particulières aurait signifié une intention d’entrer, et cette simple intention était interdite.
Baley appuya sur le contact et entra, laissant les deux robots dehors.
Ce fut seulement alors que Baley se rendit compte que Giskard n’avait pas pu pénétrer dans la Personnelle pour s’assurer qu’elle était inoccupée et que le robot avait dû juger uniquement sur l’aspect extérieur… une procédure douteuse dans le meilleur des cas.
Et, avec un certain malaise, Baley s’aperçut que, pour la première fois, il était isolé et séparé de ses protecteurs et que ces protecteurs, de l’autre côté de la porte, ne pourraient entrer facilement si jamais il se trouvait soudain en difficulté. Et s’il n’était pas seul, en ce moment ? Si quelque ennemi avait été averti par Vasilia, qui savait qu’il cherchait une Personnelle, et si cet ennemi se cachait là ?
Baley s’aperçut aussi, avec inquiétude, qu’il était absolument désarmé (ce qui n’aurait jamais été le cas sur la Terre).
Certes, le bâtiment n’était pas grand. Il y avait de petits urinoirs, côte à côte, environ six ou sept, et autant de lavabos alignés. Pas de douches, pas de vestiaires ni de cabines à nettoyage automatique des vêtements, pas de quoi se raser.
Les cabines existantes, une demi-douzaine en tout, étaient séparées par des cloisons et chacune avait une porte. Quelqu’un pourrait se cacher dans l’une d’elles, l’attendant…
Les portes ne descendaient pas jusqu’au sol. Sans faire de bruit, Baley se baissa et jeta un coup d’œil sous chacune d’elles, pour voir s’il apercevait des jambes. Puis il ouvrit chaque porte avec prudence, prêt à la claquer au moindre signe de danger, avant de bondir vers la porte extérieure.
Toutes les cabines étaient vides.
Il regarda autour de lui, pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres cachettes.
Il n’en vit aucune.
En retournant vers la porte extérieure, il constata qu’il n’y avait pas de verrou. L’impossibilité de s’enfermer lui parut assez naturelle, à la réflexion. La Personnelle était évidemment destinée à être utilisée par plusieurs hommes à la fois. Donc, d’autres devaient pouvoir entrer.
Cependant, Baley ne pouvait guère partir et en essayer une autre, car le même danger existerait dans n’importe laquelle.
Pendant un moment il hésita, incapable de savoir quel urinoir employer. Pour la première fois de sa vie, il en avait plusieurs à sa disposition, sans rien qui indiquât lequel était le sien. Il pouvait choisir n’importe lequel.
Ce manque d’hygiène le révolta. Il eut la vision de plusieurs personnes arrivant à la fois, se servant indifféremment des diverses commodités, se bousculant. Il en avait la nausée et pourtant la nécessité l’obligeait à faire de même.
Il se força à faire un choix et puis, conscient d’être totalement à découvert, il fut en butte à une vessie récalcitrante. Le besoin devenait de plus en plus pressant mais il dut néanmoins attendre que l’appréhension se dissipe.
Il ne craignait plus l’arrivée d’ennemis mais simplement l’entrée intempestive de n’importe qui.
Finalement, il se dit que les robots retiendraient au moins un moment toute personne désireuse d’entrer. Cette pensée réussit à le détendre…
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