— Non, Elijah, vous n’allez pas me persuader que j’avais honte. Si, même sur Aurora, c’est inhabituel d’avoir un robot pour mari, c’est parce que les robots comme Jander sont inhabituels. Les robots que nous avons sur Solaria, que vous avez sur la Terre – ou même à Aurora à l’exception de Daneel et Jander – ne sont pas conçus pour apporter des satisfactions sexuelles, à part les plaisirs plus rudimentaires. Ils peuvent être utilisés comme appareils de masturbation, peut-être, de la même manière qu’un vibrateur mécanique, mais rien de plus. Quand le nouveau robot humaniforme se répandra, de même la sexualité entre robot et être humain deviendra courante.
— Au fait, comment en êtes-vous venue à posséder Jander, Gladïa ? Il n’en existait que deux, tous deux chez le Dr Fastolfe. Alors vous en a-t-il simplement donné un, la moitié du total ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Par générosité, sans doute. J’étais seule, désillusionnée, misérable, étrangère dans un pays que je ne comprenais pas. Il m’a donné Jander pour me tenir compagnie et jamais je ne pourrai assez l’en remercier. Cela n’a duré que six mois, mais ces six mois valent sans doute amplement tout le reste de ma vie.
— Le Dr Fastolfe savait-il que Jander était votre mari ?
— Il n’y a jamais fait allusion. Alors je n’en sais rien.
— Et vous, y avez-vous fait allusion ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Je n’en voyais pas la nécessité… ce n’est pas du tout parce que j’avais honte.
— Comment est-ce arrivé ?
— Que je n’en aie pas vu la nécessité ?
— Non. Comment Jander est-il devenu votre mari ? Gladïa sursauta, pâlit et riposta d’une voix pleine d’animosité :
— Pourquoi devrais-je vous expliquer ça ?
— Ecoutez, Gladïa, il se fait tard. Ne me contrez pas à tout instant ! Etes-vous désespérée que Jander soit… parti ?
— Avez-vous besoin de le demander ?
— Vous voulez savoir ce qui est arrivé ?
— Encore une fois, avez-vous besoin de le demander ?
— Alors aidez-moi ! J’ai besoin de tous les renseignements possibles, pour commencer – et seulement commencer – à progresser vers la solution d’un problème apparemment insoluble. Comment Jander est-il devenu votre mari ?
Gladïa s’adossa et brusquement ses yeux se remplirent de larmes. Elle repoussa le plat de pâtisserie où il ne restait que des miettes et dit d’une voix étranglée :
— Les robots ordinaires ne portent pas de vêtements, mais ils sont conçus de sorte à donner l’impression d’être habillés. Je connais bien les robots, puisque j’ai vécu à Solaria, et j’ai un certain talent artistique…
— Je me rappelle vos sculptures de lumière, murmura Baley.
Gladïa remercia d’un signe de tête.
— J’ai fait quelques dessins de nouveaux modèles qui posséderaient, à mon avis, plus de style et seraient plus intéressants que ceux que l’on employait à Aurora. Certaines de mes toiles, inspirées de ces dessins, sont ici sur les murs. J’en ai d’autres dans d’autres pièces.
Baley se tourna vers les tableaux. Il les avait déjà remarqués. Ils représentaient indiscutablement des robots. Ce n’était pas de la peinture absolument figurative, les silhouettes étaient allongées, étirées et anormalement arrondies. Il comprit que ces distorsions étaient destinées à souligner, très habilement, des parties du corps qui, maintenant qu’il les regardait d’un nouvel œil, suggéraient des vêtements. Cela donnait en quelque sorte une impression de livrées de domestique qu’il avait vues dans un livre consacré à l’Angleterre victorienne. Gladïa connaissait-elle ces anciennes modes, ou bien était-ce un simple hasard, une coïncidence ? Cela n’avait probablement aucune importance mais Baley se dit qu’il valait mieux (peut-être) garder le fait en mémoire.
Quand il avait remarqué les tableaux au premier abord, il avait pensé que c’était la façon qu’avait choisie Gladïa de s’entourer de robots à l’imitation de la vie sur Solaria. Elle disait avoir détesté cette vie, mais ce n’était là que le produit de ses réflexions. Solaria avait été la seule patrie qu’elle avait jamais connue et ce n’est pas un souvenir dont on se débarrasse facilement, peut-être même est-ce impossible. Il se pouvait que cet élément demeurât dans sa peinture, même si ses nouvelles occupations lui donnaient des mobiles plus intéressants.
Cependant, elle parlait toujours :
« J’ai eu du succès. Certaines des grandes industries, des constructeurs de robots, m’ont fort bien payé mes dessins et dans bien des cas ont modifié les robots déjà existants suivant mes indications. C’était pour moi une satisfaction, qui compensait dans une certaine mesure le vide émotionnel de ma vie. Quand Jander m’a été donné par le Dr Fastolfe, j’ai eu un robot qui, naturellement, portait des tenues ordinaires. Le cher docteur a même eu la gentillesse de me donner aussi quelques vêtements de rechange pour Jander.
« Tout cela manquait par trop d’imagination et je me suis amusée à acheter ce que je considérais comme des tenues plus élégantes. Pour cela, il me fallait mesurer Jander, avec une grande précision, puisque j’avais l’intention de lui faire faire des costumes d’après mes croquis et à ses mesures. Et pour cela, il a dû se déshabiller petit à petit, entièrement.
« C’est seulement quand je l’ai vu complètement nu que j’ai compris à quel point il était semblable à un homme. Il ne lui manquait absolument rien et ces parties du corps qui doivent être érectiles l’étaient effectivement. Et elles étaient soumises à ce que l’on appellerait, chez un être humain, un contrôle conscient. Jander pouvait entrer en érection et au repos sur commande. C’est ce qu’il m’a dit quand je lui ai demandé si son pénis était fonctionnel à cet égard. Comme j’étais curieuse, il m’en a fait la démonstration.
« Vous devez bien comprendre que s’il ressemblait tout à fait à un homme, je savais que c’était un robot. J’hésitais toujours à toucher les hommes, comprenez-vous, et je suis sûre que cela a joué un certain rôle dans mon incapacité d’avoir des rapports sexuels satisfaisants avec les Aurorains. Mais ce n’était pas un homme que j’avais là, et j’avais été entourée de robots toute ma vie. Je pouvais donc librement toucher Jander.
« Il ne m’a pas fallu longtemps pour m’apercevoir que j’aimais le toucher, et Jander n’a pas été long à comprendre que j’aimais cela. C’était un robot extrêmement perfectionné, qui obéissait attentivement aux Trois Lois. S’il ne m’avait pas apporté de la joie, il m’aurait sans doute déçue, et la déception pouvait être considérée comme un mal. Et il ne pouvait pas faire de mal à un être humain. Alors il prenait un soin infini à m’apporter de la joie et comme je voyais en lui le désir de me donner de la joie, ce que je n’avais jamais constaté chez les hommes d’Aurora, j’étais bien entendu joyeuse. Et finalement, j’ai découvert, pleinement je crois, ce qu’est un orgasme.
— Vous étiez donc totalement heureuse ?
— Avec Jander ? Naturellement ! Totalement.
— Vous ne vous disputiez jamais ?
— Avec Jander ? Comment était-ce possible ? Son seul but, sa seule raison d’être était de me faire plaisir.
— Et cela ne vous troublait pas ? Il ne vous faisait plaisir que parce qu’il le devait.
— Quel autre mobile pourrait avoir n’importe qui de faire quelque chose sinon que, pour une raison ou une autre, il le doit ?
— Et vous n’avez jamais eu envie d’essayer avec de véritables… d’essayer avec des Aurorains, après avoir appris à atteindre l’orgasme ?
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