Fastolfe ouvrit la portière arrière.
— Montez, je vous en prie.
Baley monta dans la voiture. Daneel le suivit rapidement, tandis que Giskard, presque simultanément et comme si leurs mouvements étaient chorégraphiés, montait par l’autre côté. Baley se trouva coincé entre eux, mais pas d’une manière oppressante. Au contraire, il était heureux de sentir, entre lui et l’Extérieur, la masse solide des deux corps robotiques.
Mais il n’y avait pas d’Extérieur. Fastolfe s’assit à l’avant et, quand la portière se referma sur lui, les vitres devinrent opaques et une douce lumière artificielle baigna l’intérieur de la voiture.
— En général, je ne roule pas de cette façon, monsieur Baley, dit Fastolfe, mais cela ne me gêne pas beaucoup et vous vous sentirez peut-être plus à l’aise. La voiture est complètement informatisée, elle sait où elle va et peut faire face à tous les obstacles et à toutes les contingences. Nous n’avons à intervenir en aucune façon.
Il y eut une imperceptible sensation d’accélération suivie d’un vague sentiment de mouvement qui se remarquait à peine. Fastolfe reprit :
— C’est une route sûre. Je me suis donné énormément de mal pour assurer que le moins de personnes possible sachent que vous êtes dans cette voiture et on ne pourra absolument pas vous y voir. Le trajet en voiture – incidemment, elle se déplace sur un coussin d’air et c’est donc une sorte d’hydroglisseur – ne sera pas long mais, si vous le désirez, vous pouvez en profiter pour vous reposer. Maintenant, vous ne risquez absolument rien.
— Vous parlez comme si vous pensiez que je suis en danger. A bord du vaisseau, j’ai été protégé au point d’être prisonnier, et encore à présent.
Baley contempla le petit intérieur clos du véhicule, dans lequel il était entouré par la carrosserie de métal et les vitres opaques, sans parler de la charpente métallique des deux robots.
Fastolfe rit légèrement.
— J’exagère, je le sais, mais les esprits sont échauffés, à Aurora. Vous arrivez dans un moment de crise et je préfère vous paraître stupide par mon excès de précautions, plutôt que de courir le risque terrible de sous-estimer le danger.
— Vous devez comprendre, je pense, que mon échec ici serait un rude coup pour la Terre, docteur Fastolfe.
— Je le conçois très bien. Je suis tout aussi résolu que vous à éviter cet échec, croyez-moi.
— Certes. Mais il se trouve que mon échec ici, quelles qu’en soient les raisons, aboutira aussi à ma perte personnelle et professionnelle sur la Terre.
Fastolfe se retourna sur son siège et regarda Baley d’un air choqué.
— Vraiment ? Rien ne le justifierait !
— Je suis bien d’accord, mais c’est ainsi. Je deviendrai la cible évidente pour un gouvernement terrestre désespéré.
— Cette idée ne m’est pas du tout venue quand je vous ai demandé, monsieur Baley. Vous pouvez être certain que je ferai tout ce que je pourrai, en toute franchise, affirma Fastolfe et il détourna les yeux. Ce sera assez peu, si nous perdons.
— Je le sais, répliqua sombrement Baley.
Il s’appuya contre le dossier confortable et ferma les yeux. Le mouvement de la voiture se limitait à un léger balancement berceur mais il ne dormit pas. Il réfléchit intensément… pour ce que cela valait.
A la fin du trajet, Baley n’eut aucun contact non plus avec l’Extérieur. Quand il sortit du véhicule à coussin d’air, il se trouva dans un garage souterrain et un petit ascenseur le transporta au rez-de-chaussée.
On le fit entrer dans une pièce ensoleillée et, en passant sous les rayons directs du soleil (oui, légèrement orangés) il eut un petit mouvement de recul.
Fastolfe le remarqua.
— Les fenêtres ne sont pas opacifiables, expliqua-t-il, bien qu’elles puissent être assombries. Je le ferai, si vous voulez. J’aurais d’ailleurs dû y penser…
— C’est inutile, grommela Baley. Je leur tournerai simplement le dos. Je dois m’acclimater.
— Si vous voulez, mais prévenez-moi si jamais vous vous sentez mal à l’aise… monsieur Baley, c’est la fin de la matinée, dans cette partie d’Aurora. Je ne sais pas quelle était votre heure personnelle à bord. Si vous êtes debout depuis de nombreuses heures et si vous éprouvez le besoin de dormir, cela peut s’arranger. Si vous êtes bien réveillé et si vous n’avez pas faim, vous n’êtes pas obligé de manger. Toutefois, si vous pensez en être capable, je me ferai un plaisir de vous inviter à déjeuner avec moi dans un petit moment.
— Merci. Cela concorderait parfaitement avec mon heure personnelle.
— A merveille ! Je vous rappellerai que notre journée est d’environ sept pour cent plus courte que sur la Terre. Cela ne devrait pas vous causer trop de difficultés biorythmiques, mais si c’est le cas, nous essaierons de nous adapter à vos besoins.
— Merci.
— Finalement… J’aimerais avoir une idée précise de vos goûts culinaires.
— Je m’arrange pour manger de tout ce que l’on veut bien me servir.
— Néanmoins, je ne me sentirais pas offensé si un plat n’était pas à votre goût.
— Merci.
— Et cela ne vous gênera pas que Daneel et Giskard se joignent à nous ?
Baley sourit un peu.
— Vont-ils manger, eux aussi ?
Fastolfe ne lui rendit pas son sourire et répondit très sérieusement.
— Non, mais je veux qu’ils restent auprès de vous à tout instant.
— Toujours du danger ? Même ici ?
— Je ne fais entièrement confiance à rien. Même ici. Un robot entra.
— Monsieur, le déjeuner est servi.
Fastolfe hocha la tête.
— Merci, Faber. Nous serons à table dans quelques instants.
— Combien de robots avez-vous ? demanda Baley.
— Pas mal. Nous ne sommes pas au niveau solarien de mille robots par être humain, mais je possède plus que la moyenne. J’en ai cinquante-sept. La maison est grande et me sert aussi de bureau et d’atelier. Et puis ma femme, quand j’en ai une, doit avoir assez de place pour être isolée de mes travaux, dans une aile séparée, et être servie indépendamment.
— Ma foi, avec cinquante-sept robots, j’imagine que vous pouvez vous passer de deux. J’ai moins de remords de vous avoir obligé à envoyer Giskard et Daneel pour m’escorter jusqu’à Aurora.
— Je n’ai pas choisi ces deux-là par hasard, je vous le garantis, monsieur Baley. Giskard est mon majordome et mon bras droit. Il a été auprès de moi pendant toute ma vie d’adulte.
— Et pourtant vous l’avez envoyé me chercher. Je suis sensible à cet honneur.
— C’est un garant de votre importance, monsieur Baley. Giskard est celui de mes robots en qui j’ai le plus confiance, il est fort et solide.
Baley jeta un coup d’œil à Daneel et Fastolfe ajouta :
— Je ne compte pas mon ami Daneel dans ces calculs. Il n’est pas mon domestique mais une réussite dont j’ai la faiblesse d’être extrêmement fier. Il est le premier de son espèce et si le Dr Roj Nemmenuh Sarton était son dessinateur et son modèle… l’homme qui…
Il s’interrompit, par délicatesse, mais Baley hocha brusquement la tête et murmura :
— Je comprends.
Il n’avait pas besoin que la phrase soit complétée par une allusion directe au meurtre de Sarton sur la Terre.
— Si c’est Sarton qui a veillé à la construction en soi, reprit Fastolfe, c’est grâce à mes calculs théoriques que Daneel a été possible.
Fastolfe sourit à Daneel qui s’inclina un peu.
— Il y avait Jander, aussi, dit Baley.
La figure de Fastolfe s’assombrit.
— Oui… J’aurais peut-être dû le garder avec moi, comme Daneel. Mais il était mon second humaniforme, et ça changeait tout. Daneel est mon premier-né, pour ainsi dire, une création spéciale.
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