‹ Ils ne risquent rien avec nous ; nous ne leur ferons pas de mal. Tu nous connais, à présent, après toutes ces années. ›
Je sais ce que tu m’as dit.
‹ Nous ne savons pas mentir. Nous avons montré nos souvenirs, nos âmes. ›
Je sais que vous pouvez vivre en paix avec eux. Mais eux , pourront-ils vivre en paix avec vous ?
‹ Conduis-nous là-bas. Nous avons attendu tellement longtemps. ›
Ender s’approcha d’un vieux sac ouvert, posé dans un coin. Ce qu’il possédait vraiment se trouvait à l’intérieur – ses vêtements de rechange. Tout ce que contenait la pièce était constitué de cadeaux reçus dans l’exercice de son activité de Porte-Parole des Morts, afin d’honorer son action dans l’intérêt de la vérité, mais il ne se souvenait jamais des circonstances dans lesquelles il les avait reçus. Ils resteraient quand il s’en irait. Il n’avait pas assez de place dans son sac.
Il l’ouvrit, en sortit une serviette roulée, la déroula. À l’intérieur, il y avait un gros cocon filandreux de quatorze centimètres de long.
‹ Oui, regarde-nous. ›
Il avait trouvé le cocon qui l’attendait lorsqu’il gouvernait la première colonie humaine sur une planète ayant appartenu aux doryphores. Prévoyant leur destruction de la main d’Ender, sachant qu’il était un ennemi invincible, ils avaient construit un lieu qui aurait un sens à ses yeux, parce qu’il provenait de ses rêves. Le cocon, avec sa reine impuissante mais consciente, l’attendait dans une tour où, autrefois, dans ses rêves, il rencontrait un ennemi.
— Tu as attendu plus longtemps avant que je ne te découvre, dit-il à haute voix, que les quelques années qui se sont écoulées depuis que je t’ai prise, derrière le miroir.
‹ Quelques années ? Ah, oui, avec ton esprit séquentiel, tu n’es pas conscient du passage des années lorsque tu voyages à une vitesse proche de celle de la lumière. Mais nous en sommes conscientes. Nos pensées sont instantanées ; la lumière glisse comme le mercure sur du verre froid. Nous connaissons tous les instants de trois mille ans. ›
— Ai-je trouvé un endroit où tu seras en sécurité ?
‹ Nous avons dix mille œufs désireux de vivre. ›
— Lusitania est peut-être cet endroit, je ne sais pas.
‹ Permets-nous de vivre à nouveau. ›
— Je m’y efforce. Pourquoi crois-tu que j’aie erré de planète en planète, pendant toutes ces années, sinon pour trouver un endroit pour toi ?
‹ Plus vite, plus vite, plus vite. ›
Il faut que je trouve un endroit où on ne te tuera pas à nouveau dès ton apparition. Tu es encore dans de nombreux cauchemars humains. Rares sont les gens qui croient vraiment ce que je dis dans mon livre. Il est vrai qu’ils condamnent le Xénocide, mais ils recommenceraient.
‹ De toute notre vie, nous n’avons connu que toi qui ne sois pas nous. Nous n’avons jamais été obligées de nous montrer compréhensives parce que nous comprenions toujours. À présent que nous ne sommes plus que cet individu isolé, tu es les seuls yeux, bras et jambes dont nous disposions. Pardonne-nous si nous sommes impatientes. ›
Il rit. Moi, vous pardonner !
‹ Tes semblables sont stupides. Nous connaissons la vérité. Nous savons qui nous a tuées, et ce n’est pas toi. ›
C’est moi.
‹ Tu étais un outil. ›
C’est moi.
‹ Nous te pardonnons. ›
Quand vos pieds fouleront à nouveau une planète, alors le moment du pardon sera venu.
Aujourd’hui, j’ai accidentellement dit que Libo était mon fils. Seul Ecorce m’a entendu mais, une heure plus tard, tout le monde était apparemment au courant. Ils se sont rassemblés autour de moi et ont convaincu Selvagem de me demander s’il était vrai que j’étais « déjà » père. Selvagem joignit ensuite mes mains et celles de Libo ; sans réfléchir, je serrai Libo dans mes bras et ils émirent les cliquetis qui expriment la stupéfaction et, je crois, le respect. Je constatai dès cet instant que mon prestige, à leurs yeux, avait considérablement augmenté.
La conclusion est inévitable. Les piggies que nous connaissons ne constituent pas l’ensemble d’une communauté et ne sont même pas des mâles représentatifs. Il s’agit soit de jeunes, soit de vieux célibataires. Il n’y en a pas un qui ait des enfants. Ils ne se sont même jamais accouplés, à notre connaissance.
Je n’ai jamais entendu parler d’une société humaine où des groupes de célibataires tels que celui-ci ne seraient pas marginaux, sans pouvoir ni prestige. Pas étonnant qu’ils parlent des femelles avec ce mélange de respect et de mépris, n’osant pas prendre une décision sans leur accord puis, l’instant suivant, nous disant qu’elles sont tellement stupides qu’elles ne comprennent rien, que ce sont des varelse. Jusqu’ici, je prenais ces affirmations pour argent comptant, ce qui m’avait amené à imaginer que les femelles n’étaient pas intelligentes, qu’il s’agissait d’un troupeau de truies marchant à quatre pattes. J’imaginais que les mâles les consultaient comme ils consultaient les arbres, utilisant leurs grognements pour deviner leurs réponses, comme on lance des osselets ou on lit dans les entrailles d’un animal sacrifié.
À présent, toutefois, je me rends compte que les femelles sont probablement tout aussi intelligentes que les mâles, et qu’il ne s’agit en aucun cas de varelse. Les déclarations négatives des mâles proviennent de leur amertume de célibataires exclus du processus reproductif et des structures de direction de la tribu. Les piggies se sont montrés aussi prudents avec nous que nous l’avons été avec eux – ils ne nous ont pas permis de rencontrer les femelles et les mâles qui détiennent effectivement le pouvoir. Nous croyions explorer le cœur de la société des piggies. Au lieu de cela, pour prendre une image, nous sommes dans un égout génétique, parmi les mâles dont les gènes sont considérés comme inutiles à la tribu.
Toutefois, je n’y crois pas. Les piggies que j’ai connus étaient toujours intelligents, rusés, et apprenaient rapidement. Si rapidement que je leur ai appris davantage sur la société humaine, accidentellement, que je n’ai appris sur eux, après des années d’études. Si ce sont leurs déchets, dans ce cas j’espère qu’ils me jugeront un jour digne de rencontrer les « épouses » et les « pères ». En attendant, je ne puis pas transmettre cela parce que, accidentellement ou pas, j’ai enfreint le règlement. Peu importe que personne ne puisse véritablement empêcher les piggies d’apprendre des choses sur nous. Peu importe que le règlement soit stupide et antiproductif. Je l’ai enfreint et, si on s’en rend compte, on annulera tout contact avec les piggies, ce qui serait encore pire que les relations sévèrement limitées que nous entretenons actuellement. De sorte que je me vois contraint au mensonge et à l’utilisation de subterfuges ridicules, comme mettre ces notes dans les dossiers personnels et secrets de Libo, où ma chère épouse elle-même n’aura pas l’idée d’aller les chercher. Voici une information absolument vitale, à savoir que les piggies que nous avons étudiés sont tous des célibataires et, en raison du règlement, il m’est impossible de la communiquer aux xénologues framlings. Olha bem, gente, aqui esta : a ciêcia, o bicho que se dévora ai mesma ! (Regardez bien, voilà ce que c’est : la science, la petite bête horrible qui se dévore elle-même !)
João Figueira Alvarez, notes secrètes publiées par Démosthène dans : « The Integrity of Treason : The Xenologers of Lusitania »,
Reykjavik Historical Perspective, 1990 :4 :1
Le ventre de Valentine était tendu et gonflé, bien que la naissance de sa fille ne soit prévue que dans un mois. Etre aussi grosse et déséquilibrée constituait une gêne continuelle. Toujours, jusqu’ici, lorsqu’elle se préparait à emmener des étudiants en söndring, elle avait été en mesure d’effectuer elle-même l’essentiel du chargement du bateau. Désormais, elle devait compter sur les marins de son mari, et elle ne pouvait même pas aller et venir entre le quai et la cale – le capitaine dirigeait le chargement afin que le bateau reste équilibré. Il faisait cela très correctement, bien entendu – le capitaine Rave ne lui avait-il pas appris à faire cela, lorsqu’elle était arrivée ?… Mais Valentine n’aimait pas l’idée d’être réduite à un rôle passif.
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