Grâce à cet outil, l’être de velours recouvra rapidement sa liberté et prit son essor. Ses cris musicaux se réverbérèrent dans tout le secteur. Son congénère se joignit à sa manifestation de joie bruyante et ils voletèrent en jouant au-dessus du filet, presque comme des perruches. Ils disparurent un instant plus tard et Nicole redescendit lentement jusqu’au sol.
Elle éprouvait une vive satisfaction, à présent qu’elle pouvait regagner la muraille d’enceinte pour y attendre les secours qui, elle en était certaine, ne tarderaient guère à arriver. Ce fut en fredonnant une vieille chanson du Val de Loire qu’elle repartit vers le nord.
Quelques minutes plus tard elle avait à nouveau de la compagnie, ou plus exactement un guide. Chaque fois qu’elle déviait du chemin qu’il voulait lui faire prendre, l’oiseau de velours qui restait à l’aplomb de sa tête l’assourdissait par ses cris. Il ne se taisait que lorsqu’elle acceptait d’aller dans la bonne direction. Où m’emmène-t-il ? s’interrogea-t-elle.
Ils arrivèrent à une quarantaine de mètres de l’octaèdre et l’être ailé se posa sur une des dalles métalliques du sol de l’esplanade. Il lui donna plusieurs coups de serres puis voleta au-dessus. C’était une sorte de trappe, qui glissa de côté. Il disparut dans l’ouverture ainsi révélée, remonta et adressa quelques cris à Nicole avant de redescendre.
Elle assimila la teneur du message. Il m’invite chez lui pour me présenter à ses parents, se dit-elle. J’espère seulement que ce n’est pas en tant que plat de résistance.
Nicole ignorait les intentions de ces créatures mais ce fut sans hésiter qu’elle s’avança pour regarder à l’intérieur de la cavité. Sa curiosité était plus forte que sa peur. Elle s’inquiétait que les secours puissent arriver pendant son séjour dans le sous-sol mais elle finit par se convaincre que ses compagnons reviendraient la chercher.
La trappe rectangulaire mesurait environ dix mètres de long sur six de large. Quand l’avien constata que Nicole le suivait, il s’enfonça dans ce puits pour aller l’attendre sur la troisième corniche. La femme s’accroupit au bord de l’ouverture et baissa les yeux vers des lumières proches et d’autres qui vacillaient dans le lointain. Elle ne put estimer la profondeur de ce passage vertical mais tout laissait supposer qu’elle dépassait vingt ou trente mètres.
La descente n’était pas aisée pour quelqu’un dépourvu d’ailes. De larges corniches saillaient des parois. Toutes avaient les mêmes dimensions, environ cinq mètres de long sur un de large, et elles étaient éloignées l’une de l’autre par une hauteur de deux mètres. La prudence s’imposait.
La faible clarté qui régnait dans ce tunnel provenait de la trappe de l’esplanade et des lanternes accrochées aux murs à quatre paliers d’intervalle. Ces sources de lumière étaient enveloppées d’un matériau transparent très fin semblable à du papier. Chacune contenait une substance liquide sur laquelle flottait une petite flamme, sans doute le combustible.
Son ami au corps de velours la surveillait et descendait l’attendre trois corniches plus bas, sans doute pour pouvoir la rattraper au vol en cas de chute. Mais elle ne tenait pas à tester cette hypothèse. Son esprit s’emballait. Elle était arrivée à la conclusion qu’il ne pouvait s’agir de biotes, et donc qu’elle était en présence d’extraterrestres. Mais pas des Raméens, raisonna-t-elle. Leur niveau de développement technologique ne correspond pas à celui du reste de ce vaisseau.
Elle se rappela ses leçons d’histoire et les Mayas ignorants et pauvres découverts au Mexique par les conquistadores. Les Espagnols avaient refusé de croire que les ancêtres de ce peuple avaient pu bâtir de pareils temples. La même chose a-t-elle pu se produire ici ? Ces drôles d’oiseaux sont-ils les descendants des êtres supérieurs à qui l’on doit ce véhicule spatial ?
À une vingtaine de mètres sous terre Nicole entendit les gargouillis d’une source. Ces sons s’amplifièrent lorsqu’elle atteignit une corniche qui prolongeait un passage horizontal s’ouvrant derrière elle. De l’autre côté du puits elle vit un boyau identique s’éloigner dans la direction opposée, lui aussi parallèle à la surface.
Son guide l’attendait trois niveaux plus bas. Elle désigna le tunnel. L’avien s’envola pour voleter à l’aplomb de la saillie située juste au-dessous, sans doute pour lui indiquer qu’il désirait la voir poursuivre sa descente.
Nicole n’était pas disposée à céder. Elle prit sa gourde et la leva à sa bouche, pour mimer qu’elle buvait, avant de tendre à nouveau le doigt vers le passage obscur. L’être ailé voletait devant elle, indécis. Finalement, il passa au-dessus de sa tête et s’engouffra dans les ténèbres. Quarante secondes plus tard Nicole vit une lumière vaciller dans le lointain. La flamme grandit. Son ami revenait, avec une torche dans une de ses serres.
Il repartit et Nicole le suivit sur une quinzaine de mètres. Ils atteignirent une salle où trônait une grande citerne alimentée en eau fraîche par un tuyau qui saillait de la paroi. Nicole prit son spectromètre de masse et testa le liquide. C’était virtuellement du H 2O à l’état pur, sans élément chimique présent à plus de un pour un million. Soucieuse de respecter les bonnes manières, elle plaça ses mains en coupe et but l’eau qui tombait. Elle la trouva délicieuse.
Puis elle reprit l’exploration de ce tunnel et son guide devint frénétique. Il sautilla sur place en jacassant tant qu’elle n’eut pas fait demi-tour en direction du puits. Lorsqu’elle reprit sa descente, elle remarqua que la clarté ambiante avait considérablement décru. Elle leva les yeux et découvrit que la trappe de l’esplanade s’était refermée. Il ne me reste qu’à espérer qu’il n’a pas l’intention de me garder ici jusqu’à la fin des temps.
Vingt mètres plus bas, deux autres tunnels traversaient le passage vertical. À ce niveau, l’être de velours la précéda dans un de ces boyaux horizontaux vers une vaste pièce circulaire au plafond élevé. Il se servit de sa torche pour allumer des lanternes murales puis disparut. Il était absent depuis près d’une heure et Nicole attendait toujours son retour en puisant dans ses réserves de patience et en parcourant du regard cette salle nue qui ressemblait à une grotte. Finalement, elle chercha par quel moyen elle pourrait informer ses hôtes de son intention de prendre congé.
Quand son ami velouté revint, il était accompagné par quatre de ses congénères. Elle les entendit jacasser et battre des ailes dans le passage avant de les voir. Son compagnon (elle supposait qu’ils formaient un couple dont la nature exacte restait à déterminer) et deux autres aviens de type linoléum entrèrent les premiers. Ils se posèrent puis approchèrent d’elle d’une démarche disgracieuse pour la regarder de plus près. Lorsqu’ils se furent assis du côté opposé de la pièce, une autre créature au corps de velours, celle-ci brune et non noire, arriva en tenant une pastèque-manne dans ses serres.
Elle déposa le fruit devant Nicole. Tous la fixèrent, dans l’expectative. Elle utilisa son scalpel pour en découper une tranche puis le leva à sa bouche afin de boire un peu du liquide verdâtre qu’il contenait. Ensuite, elle porta ce qui restait à ses hôtes.
Ils poussèrent de petits cris d’admiration en découvrant la netteté de l’entaille, alors qu’ils se passaient la pastèque.
Nicole les regarda manger. Ils partagèrent le fruit en parts égales. Les deux créatures veloutées se servaient de leurs griffes avec habileté et se nourrissaient proprement, sans faire de gaspillage. Leurs congénères de taille plus importante étaient maladroits et leur façon de s’alimenter était presque animale. Comme Nicole, ils laissèrent de côté la partie la plus coriace.
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