Elle scruta le ciel, dans l’espoir d’y apercevoir un hélicoptère. Comme prévu, il y avait à présent des nuages dans l’atmosphère. La débâcle venait de modifier les conditions climatiques de façon radicale. La température augmentait. Nicole regarda le thermomètre et en obtint la confirmation : quatre degrés au-dessus de zéro.
Il est probable qu’ils reviendront sous peu, se dit-elle en songeant à la disparition de tous ses collègues. Je dois rester à proximité de cette muraille, pour qu’ils puissent me voir plus facilement. Elle ne perdit pas de temps à envisager d’autres possibilités. Elle refusait d’admettre que ses compagnons aient pu être victimes d’un grave accident et se trouvent dans l’incapacité de venir la chercher. Mais ce n’est pas une raison pour modifier mes projets. Ils arriveront tôt ou tard.
Afin de se changer les idées elle alla prélever et analyser un échantillon d’eau de mer. Elle n’y trouva qu’une quantité insignifiante des poisons organiques découverts par les membres de la première expédition raméenne. Ils ont pu se développer et disparaître pendant que je moisissais au fond de ce trou, se dit-elle. L’important, c’est qu’il n’y en a presque pas. Elle estima qu’en cas d’urgence un bon nageur pourrait traverser la mer sans embarcation, avant de se rappeler les photos des requins biotes et des autres créatures aquatiques dont Norton et son équipe avaient signalé la présence et de biffer cette possibilité.
Elle suivit le sommet de la muraille pendant plusieurs heures. Assise pour manger un déjeuner de pastèque-manne et chercher des moyens de récupérer le reste de ce fruit si les secours tardaient à arriver, elle entendit un cri s’élever de New York et pensa aussitôt au Dr Takagishi.
Elle essaya à nouveau sa radio. Toujours rien. Elle scruta une fois de plus le ciel. Elle se demandait s’il était sage d’abandonner ce point d’observation sur la muraille quand un autre hurlement attira son attention. Cette fois, elle put déterminer d’où il provenait. Elle descendit l’escalier le plus proche puis s’éloigna vers le sud et le centre de New York.
Elle n’avait pas encore mis à jour la carte de la ville stockée dans les mémoires de son ordinateur. Après avoir laissé derrière elle les avenues circulaires du pourtour de l’esplanade, elle s’arrêta à côté de l’octaèdre pour enregistrer la description de toutes ses découvertes, y compris celle du hangar qui abritait les puits et les petites sphères. Un peu plus tard, alors qu’elle admirait une étrange construction à huit faces, elle entendit un troisième cri, très aigu. Si Takagishi en était bien l’auteur, sa voix avait singulièrement mué.
Elle traversa l’esplanade à petites foulées, en direction du point d’origine de ces appels. Il y en eut un autre, alors qu’elle approchait des bâtiments dressés du côté opposé de la place. Cette fois, elle entendit une réponse et reconnut son timbre : celui des aviens venus lui rendre visite pendant sa captivité. Un minimum de prudence semblait s’imposer et elle ralentit le pas. Les sons provenaient du secteur où Francesca Sabatini avait été fascinée par l’étrange filet.
Moins de deux minutes plus tard Nicole arriva devant les deux gratte-ciel vertigineux reliés par un treillis de mailles épaisses haut d’une cinquantaine de mètres. À un peu plus du tiers de sa hauteur se débattait une des créatures ailées. Les cordes élastiques immobilisaient les serres et les ailes de l’avien, qui hurla en l’apercevant. Son compagnon, le plus gros des deux, cessa de tourner en rond près du sommet de l’immeuble pour plonger vers Nicole.
Elle se colla contre la façade d’un des bâtiments. Le monstre se rapprocha en jacassant, comme pour la réprimander, mais elle n’en fut pas impressionnée outre mesure. La créature veloutée cria encore et après un bref échange de tels sons celle en linoléum remonta se jucher sur une corniche située à bonne distance.
Après s’être calmée (et en surveillant du coin de l’œil l’avien juché sur son perchoir), Nicole s’avança vers le filet afin de l’étudier. Elle et Francesca n’avaient pas eu de temps à lui consacrer, car elles devaient alors chercher Takagishi, et c’était pour elle la première opportunité de l’examiner en détail. Le treillis se composait de câbles élastiques d’environ quatre centimètres de diamètre. Il devait y avoir des milliers de points de jonction, et ces nœuds étaient gluants mais pas assez pour en conclure qu’il s’agissait d’une sorte de toile d’araignée géante.
Pendant qu’elle accordait son attention à la partie inférieure de l’étrange filet, le compagnon du captif monta rejoindre ce dernier. En veillant à ne pas se laisser lui aussi prendre au piège, il utilisa ses griffes pour tirer sur des mailles. Il réussit à distendre et tordre les cordes avant de s’avancer avec circonspection vers son congénère et d’essayer maladroitement de trancher ou dénouer les nœuds qui entravaient sa liberté de mouvement. Il eut tôt fait de renoncer et de reculer, pour baisser les yeux sur Nicole.
Que veut-il ? se demanda-t-elle. Je suis certaine qu’il essaie de me faire comprendre quelque chose… En constatant qu’elle ne réagissait pas, l’extraterrestre reprit sa démonstration laborieuse. Cette fois, elle crut assimiler le fond de sa pensée. Il semblait vouloir l’informer qu’il ne pouvait libérer son ami. Nicole sourit et agita la main avant de réunir par un nœud deux câbles qui pendaient librement au bas du filet. Lorsqu’elle les dénoua, les deux aviens piaillèrent leur approbation. Elle recommença puis désigna sa poitrine et l’être velouté captif dans les hauteurs.
Ils échangèrent des propos dans leur langue assourdissante et parfois musicale, puis le plus gros regagna sa corniche. Nicole leva les yeux sur le prisonnier. Les cordes l’immobilisaient en trois points. Il s’était débattu, ce qui avait eu pour effet de l’entraver un peu plus. Elle supposa qu’il avait dû être emporté par l’ouragan et projeté dans ce filet au cours de la nuit précédente. Distendues par l’impact, les mailles s’étaient ensuite rétractées en le prenant au piège.
L’ascension fut aisée. L’ensemble était solidement ancré aux gratte-ciel latéraux et son poids important limitait les balancements de la femme qui le gravissait. Mais vingt mètres représentaient une hauteur considérable, plus qu’un immeuble de six étages, et elle se reprocha de s’être portée volontaire sans s’accorder un temps de réflexion lorsqu’elle arriva enfin au niveau du captif.
L’effort la faisait haleter. Elle se pencha avec méfiance vers la créature, afin de s’assurer qu’elle n’avait pas mal interprété le sens de sa pantomime. Les grands yeux bleus de l’oiseau suivaient tous ses déplacements.
Une de ses ailes était immobilisée très près de sa tête. Nicole entreprit de la dégager après avoir attaché ses chevilles au filet par mesure de prudence. Le processus était très lent. Elle respira une bouffée de l’haleine de la créature. Je connais cette odeur, se dit-elle. Il ne lui fallut qu’un instant pour établir un rapport avec la pastèque-manne. Cette bestiole suit donc le même régime que moi. Mais d’où proviennent ces fruits ? Elle regretta de ne pouvoir communiquer que par gestes avec ces êtres étranges et merveilleux.
Le premier nœud était très serré et elle craignait d’endommager l’aile si elle tirait de toutes ses forces. Elle plongea la main dans sa trousse médicale et en sortit le scalpel électrique.
L’autre avien fondit aussitôt sur elle. Il jacassait et criait, pour la terroriser. Il refusa de repartir et de la laisser mener à bien ce qu’elle avait entrepris. Nicole s’éloigna de son compagnon et lui montra comment un tel instrument pouvait trancher une corde.
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