Il se retrouva devant l’octaèdre et sortit de son sac un appareil électronique de forme hexagonale. Il le posa par terre et consacra deux minutes à vérifier son fonctionnement. Sitôt après avoir terminé, il s’éloigna de ce secteur en direction de la mer Cylindrique.
Il venait d’atteindre la deuxième avenue concentrique lorsqu’il entendit un claquement derrière lui. Il s’arrêta et fit volte-face. Quelques secondes plus tard il se produisit un son différent, identique à celui qui l’avait tant intrigué la fois précédente : un bruissement métallique auquel se mêlaient des pépiements suraigus. Il braqua sa torche vers l’esplanade. Le silence revint. Il coupa sa lampe et resta au milieu de l’avenue, sans faire de bruit.
Les murmures reprirent quelques minutes plus tard. Takagishi s’avança furtivement et contourna l’octaèdre en direction du point d’origine des sons. À proximité de la place, les bips sonores qui s’élevèrent de son sac le firent sursauter. Le temps d’arrêter l’alarme chargée de signaler que l’appareil laissé sur l’esplanade avait cessé de fonctionner, un silence absolu régnait dans New York. Il attendit encore, mais plus rien ne troublait la nuit.
Il inspira à pleins poumons pour se détendre et fit appel à tout son courage. Sa curiosité était plus puissante que sa peur et il fit le tour de l’octaèdre afin d’aller constater ce qui était arrivé à son matériel. Il fut en premier lieu surpris de ne pas voir l’appareil hexagonal. Où était-il ? Qui ou quoi avait bien pu l’emporter ?
Il se savait sur le point de faire une découverte importante mais était terrifié. Il domina un violent désir de fuir et balaya les lieux avec le faisceau de sa torche dans l’espoir de trouver une explication à la disparition de sa station scientifique. Le rayon fut réfléchi par du métal, à une trentaine ou une quarantaine de mètres, en direction du centre de la place. Takagishi sut d’instinct que c’était son appareil et courut vers lui.
Il s’agenouilla afin d’examiner les circuits électroniques et ne découvrit aucun dommage apparent. Il venait de prendre l’émetteur-récepteur qui lui permettrait de tester chaque fonction quand il remarqua une sorte de gros tuyau d’environ quinze centimètres de diamètre à la bordure du cercle de clarté de sa lampe. Il ramassa sa torche et s’en approcha. C’était une sorte de câble strié de bandes noires et or qui s’éloignait sur une douzaine de mètres puis disparaissait dans un cube de métal d’environ trois mètres de hauteur. Il tendit la main. Cette chose était souple et floconneuse au toucher. Il voulut la retourner pour tâter sa partie inférieure, mais elle tressauta. Takagishi la lâcha aussitôt et la regarda se rétracter lentement vers la cabane cubique en ondulant tel un serpent. Le mouvement de reptation s’accompagnait de bruissements métalliques.
Le scientifique japonais entendit son cœur s’emballer et dut lutter une fois de plus contre un impérieux désir de fuir. Il se rappela ses longues méditations solitaires dans le jardin de son maître de zen, pendant l’adolescence. Il ne se laisserait pas effrayer. Il ordonna à ses pieds de le conduire vers la cabane.
Le câble noir et or se rétracta dans le cube. Le silence était revenu et Takagishi se rapprocha en éclairant le sol, là où cette chose avait été visible. Il contourna l’angle de la construction et dirigea le faisceau de sa torche vers l’intérieur. Il ne put en croire ses yeux quand il vit grouiller une masse de tentacules noir et or.
Un gémissement suraigu explosa soudain dans ses oreilles. Il regarda par-dessus son épaule gauche et resta paralysé par la stupeur. Ses yeux s’écarquillèrent. Son hurlement fut couvert par la plainte qui s’intensifiait à l’instant où trois tentacules s’étiraient vers lui. Ses ventricules cédèrent et il s’abandonna, privé de vie, à l’étreinte du monstre.
— Amiral Heilmann ?
— Général O’Toole ?
— Êtes-vous seul ?
— Oui. Je me suis réveillé il y a seulement quelques minutes. Je ne dois rencontrer le Dr Brown que dans une heure. Pourquoi m’appelez-vous à une heure aussi matinale ?
— Pendant que vous dormiez, j’ai reçu une communication codée du Q.G militaire du C.D.G, un message top secret se rapportant au statut du projet Trinité.
— Qu’entendez-vous par là, général ?
— Cette ligne est-elle sûre, amiral ? Avez-vous coupé l’enregistreur automatique ?
— C’est à présent chose faite.
— Ils ont posé deux questions. Borzov est-il mort sans faire de confidences ? Quelqu’un d’autre que nous est-il au courant, pour Trinité ?
— Vous le savez aussi bien que moi.
— Je voulais simplement m’assurer que vous n’aviez rien dit au Dr Brown. Ils ont insisté pour que je vous en parle avant d’encoder ma réponse. Quelle peut être la raison de tout ceci, d’après vous ?
— Je l’ignore, Michael. Les hauts responsables doivent être nerveux, là-bas sur la Terre. Ils ont été effrayés par la mort de Wilson.
— Je l’ai été moi aussi, mais pas au point d’envisager une chose pareille. Je les soupçonne de disposer de plus d’informations que nous.
— Eh bien, nous serons fixés sous peu. Tous les pontes de l’A.S.I. veulent nous voir évacuer Rama au plus tôt. Ils ont même protesté contre notre décision d’accorder au préalable quelques heures de repos à notre équipe. Cette fois, je doute qu’ils reviennent sur leur décision.
— Vous souvenez-vous de cette discussion que nous avons eue avec le général Borzov, pendant la traversée ? Quand nous nous demandions dans quelles circonstances la Terre pourrait avoir recours à Trinité.
— Vaguement, pourquoi ?
— Êtes-vous toujours en désaccord avec son désir d’être informé des raisons pour lesquelles il faudrait peut-être en arriver là ? Vous disiez que si nos chefs jugeaient un danger imminent, cela vous suffirait.
— Je crains de ne pas vous suivre, général. Où voulez-vous en venir ?
— J’aimerais que vous m’autorisiez à demander au C.D.G. pourquoi ils se sont renseignés sur le statut de Trinité. Si nous sommes en péril, j’estime que nous avons le droit d’en être informés.
— Vous pouvez réclamer un complément d’informations, Michael, mais je suis prêt à parier que c’est une demande de pure routine.
* * *
Quand Janos Tabori s’éveilla, Rama était toujours plongé dans les ténèbres. Tout en enfilant sa combinaison, il dressa mentalement une liste de ce qu’il faudrait faire pour transférer le biote à bord de Newton. Si l’ordre d’évacuation était confirmé, ils partiraient peu après l’aube. Il utilisa son ordinateur de poche pour s’informer des procédures officielles qu’il mit à jour en ajoutant tout ce qui serait nécessaire au transport du crabe.
Il regarda sa montre. L’aube se lèverait dans un quart d’heure, si le cycle diurne de Rama n’avait pas varié. Il rit. Ce monde leur avait déjà réservé tant de surprises qu’il risquait fort de ne pas se rallumer à l’heure prévue, mais s’il le faisait il tenait à assister au « lever des soleils » raméens. Il irait prendre son petit déjeuner ensuite.
À cent mètres de sa hutte le biote encagé restait immobile. Il ne semblait pas avoir bougé depuis la veille. Janos dirigea le faisceau de sa lampe vers la paroi transparente de la cage pour en obtenir confirmation. Après avoir pu constater qu’il était toujours dans la même position, Janos quitta le camp Bêta et alla se poster au sommet de la falaise.
Il attendait l’explosion de lumière et pensait à la fin de sa conversation avec Nicole, la veille au soir. Quelque chose l’intriguait dans ses révélations sur la cause possible des douleurs du général Borzov. L’appendice était parfaitement sain et il en découlait qu’ils avaient fait une erreur de diagnostic, mais pourquoi avait-elle tant attendu pour lui parler de l’autre possibilité signalée par le diagnosticien, celle de l’absorption d’une drogue ? D’autant plus qu’elle avait mené une enquête sur le sujet…
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