Il faisait nuit noire, à la fin du repas. Francesca le raccompagna jusqu’à la limousine garée devant le Duomo. Dans une étroite ruelle, elle se pencha et mordilla son oreille. Il l’attira contre lui et eut droit à un baiser explosif. Ce qu’il éprouva le laissa pantelant.
Francesca en fut aussi émoustillée et n’hésita pas une seconde lorsqu’il lui proposa une promenade en voiture. Le temps d’atteindre les faubourgs d’Orvieto, elle le chevauchait sur la banquette arrière. Une demi-heure plus tard, lorsqu’ils eurent fait l’amour pour la deuxième fois, Carlo ne pouvait supporter la pensée de se séparer de cette fille extraordinaire. Il lui demanda si elle aimerait l’accompagner à Rome.
— Andiamo, lui répondit-elle en souriant.
Et nous sommes allés à Rome, puis à Capri, se rappela-t-elle. Ensuite, nous avons passé une semaine à Paris. À Milan, tu m’as installée chez Monica et Luigi pour sauver les apparences. Les hommes font toujours bien trop de cas des convenances.
Sa longue rêverie fut interrompue par un bruit. Elle croyait avoir entendu des pas dans le lointain. Elle se leva et tendit l’oreille, mais il n’y avait plus que les sifflements de son haleine. Puis elle remarqua à nouveau ce son, loin sur sa gauche. Elle en localisa le point d’origine, sur l’étendue de glace. La peur matérialisa dans son esprit des images de monstres qui venaient par la mer attaquer leur camp. Elle se concentra, mais ne remarqua plus rien.
Elle repartit vers le groupe de huttes. Je t’ai aimé, Carlo, pensa-t-elle. Si un homme m’a un jour inspiré de l’amour, c’est bien toi. Même après que tu as commencé à me partager avec tes amis. D’autres souffrances enfouies depuis longtemps au fond de son être revinrent l’assaillir et elle les repoussa en alimentant sa colère. Jusqu’à ce que tu deviennes violent. Tu as tout gâché. Tu m’as apporté la preuve que tu n’étais qu’un salaud.
Elle chassa ces souvenirs pénibles de son esprit. Où en étions-nous, déjà ? se demanda-t-elle en approchant de son abri. Ah, oui ! Nicole Desjardins. Que sait-elle vraiment ? Et que pouvons-nous faire pour éliminer la menace qu’elle représente ?
La sonnerie de sa montre-bracelet tira le Dr Takagishi d’un profond sommeil. Il resta un instant déconcerté, incapable de se rappeler où il était, puis il s’assit sur son lit et se frotta les yeux. Finalement, il se souvint qu’il se trouvait dans Rama et avait réglé l’alarme pour être réveillé après cinq heures de repos.
Il se vêtit dans les ténèbres et alla prendre un grand sac dans lequel il fouilla pour s’assurer qu’il ne lui manquerait rien. Il le suspendit à son épaule, se dirigea vers la porte de sa hutte et regarda au-dehors. Le professeur japonais ne vit aucune lumière. Il prit une inspiration et sortit à pas de loup.
Le meilleur expert mondial de Rama quitta le camp Bêta en direction de la mer Cylindrique. Il arriva au sommet de la falaise puis descendit prudemment l’escalier de cinquante mètres taillé dans la roche. Il s’assit sur la dernière marche et, dissimulé contre la paroi, il sortit de son sac des crampons qu’il fixa à ses semelles. Avant de s’aventurer sur la glace, il prit soin de régler son compas pour ne pas dévier de sa route une fois loin de la berge.
Il devait être à deux cents mètres de la falaise quand il décida de sortir le poste météorologique de sa poche. L’appareil glissa de ses doigts engourdis par le froid et tomba avec un bruit sec qui résonna dans la nuit paisible. Takagishi le ramassa. Il constata que la température avait atteint moins deux degrés et qu’une brise de huit kilomètre-heure s’était levée.
Le scientifique japonais inhala profondément et fut surpris par une senteur à la fois singulière et familière. Déconcerté, il huma l’air à nouveau, en concentrant son esprit sur cette odeur. Le doute n’était pas permis – il s’agissait d’une cigarette ! Il éteignit sa torche et s’immobilisa. Son esprit s’emballa, en quête d’une explication. De tous les cosmonautes, seule Francesca Sabatini fumait. L’avait-elle pris en filature à son départ du camp ? Avait-elle vu le faisceau de sa lampe, lorsqu’il s’en était servi pour regarder le moniteur ?
Il tendit l’oreille mais n’entendit rien. Il attendit encore. L’odeur de tabac se dissipa. Quelques minutes plus tard le Dr Takagishi reprit sa traversée de l’étendue de glace en s’arrêtant tous les quatre ou cinq pas pour s’assurer qu’on ne le suivait pas. Il finit par s’en convaincre mais s’abstint par prudence de rallumer sa torche. Il attendit d’avoir parcouru un kilomètre avant de vérifier qu’il ne s’était pas écarté de son chemin. Trois quarts d’heure lui furent nécessaires pour atteindre l’île de New York. À cent mètres du rivage, il sortit de son sac une lampe plus puissante. Il l’alluma et son faisceau fit jaillir des ténèbres les silhouettes spectrales des gratte-ciel. Cette vision fut à l’origine d’un frisson qui descendit sa colonne vertébrale. Il arrivait à destination, enfin ! Il pourrait chercher des réponses aux questions qu’il s’était posées toute sa vie sans devoir respecter un emploi du temps arbitraire.
Le Dr Takagishi s’était fixé un but, à l’intérieur de New York. Chacune des trois sections circulaires de la cité raméenne se subdivisait en trois portions angulaires semblables aux parts d’une tarte. En leur centre se trouvait une esplanade d’où rayonnaient les bâtiments et les rues. Enfant, après avoir lu tous les ouvrages écrits sur l’exploration du premier Rama, il s’était souvent demandé ce que devait éprouver un homme qui se dressait au milieu d’une de ces places étrangères, les yeux levés sur des immeubles construits par des bâtisseurs originaires d’un autre système. Il était non seulement convaincu qu’une étude attentive de New York permettrait de comprendre tous les secrets de ce mystérieux vaisseau interstellaire mais aussi de trouver des indices sur sa finalité.
Il gardait le plan de la ville établi par ses premiers visiteurs humains gravé dans son esprit, aussi familier que celui de Kyoto où il avait vu le jour et grandi. Mais les membres de la première expédition n’avaient pu consacrer qu’un temps limité à cette tâche et ils s’étaient contentés d’explorer un seul des neuf secteurs. En se basant sur des observations limitées, ils supposaient que les autres devaient être identiques.
Il avançait d’un pas décidé dans le silence intimidant de la section centrale et commençait à relever des différences subtiles entre cette partie de Rama et celle, correspondante, étudiée par le groupe de Norton. Les artères principales étaient disposées de la même façon mais au fur et à mesure qu’il approchait de l’esplanade il découvrait que l’orientation des petites rues différait de celle indiquée par ses prédécesseurs. Son esprit scientifique l’incitait à faire des pauses fréquentes, le temps de prendre des notes sur son ordinateur de poche.
Il atteignit la zone qui cernait la place. Ici, les rues dessinaient des cercles concentriques. Il traversa trois avenues et se retrouva en face d’un octaèdre d’environ cent mètres de hauteur. Ses facettes étaient des miroirs et lorsqu’il leva vers elles le faisceau de sa puissante torche la lumière fut réfléchie d’un immeuble à l’autre. Le Dr Takagishi fit lentement le tour de la construction mais ne trouva aucune entrée.
Il vit un espace circulaire dégagé du côté opposé, au centre de l’esplanade. Il suivit son périmètre en regardant les bâtiments environnants mais n’obtint aucune indication sur leur utilité. Quand il se tournait vers la grande place il n’y remarquait rien d’étrange. Il prit malgré tout soin de relever l’emplacement des nombreux cubes métalliques visibles sur le sol.
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