— Ce sera facile, déclara-t-il en souriant. Le tout est de trouver à quelle adresse les instructions ont été stockées. Ce sera un peu long, vu l’importance de la mémoire, mais les blocs sont certainement répartis selon un ordre logique. Je dois cependant avouer que je ne comprends pas pourquoi vous jouez les détectives. Ne serait-il pas plus simple de demander à Janos et aux autres s’ils sont intervenus ?
— Voilà bien le problème, fit-elle. Nul ne se rappelle avoir fourni des directives à RoChir après le chargement et la vérification du programme de l’intervention. Mais quand Tabori a reçu un coup sur la tête, lors de la manœuvre de Rama, il m’a semblé voir ses doigts toucher le boîtier de commande. Il ne s’en souvient pas et je n’ai aucune certitude.
Richard se renfrogna.
— Il n’a pu pousser involontairement l’interrupteur du système de sécurité. Si une telle chose était possible, cela signifierait que les concepteurs ont bâclé leur travail.
Il réfléchit un instant.
— Enfin, il est vain de se livrer à des spéculations à ce stade, déclara-t-il. Vous avez éveillé ma curiosité. Je me pencherai sur le problème dès que j’aurai…
— Appel général. Appel général.
Ils sursautèrent en entendant la voix d’Otto Heilmann qui s’adressait à eux par le com.
— Réunion immédiate de tous les membres de l’équipe dans le centre de contrôle du vaisseau scientifique. Il vient de se produire un fait nouveau. L’intérieur de Rama s’est rallumé.
Richard ouvrit la porte et suivit Nicole dans la coursive.
— Merci d’avance, lui dit-elle. Je vous suis infiniment reconnaissante.
Il lui sourit pour répondre :
— Attendez de voir les résultats, avant de me remercier. J’ai la triste réputation de faire des promesses qu’il m’arrive d’oublier. Au fait, quelle signification pourraient avoir tous ces jeux de lumière, selon vous ?
Francesca avait divisé une grande feuille de papier étalée sur la table du centre de contrôle en colonnes horaires dans lesquelles elle inscrivait les instructions que David Brown lui dictait.
— Le logiciel de planification manque de souplesse et ne peut être employé dans une telle situation, disait ce dernier à Janos Tabori et Richard Wakefield. Il ne simplifie le travail que lorsque nos activités correspondent à une des options prévues avant notre départ.
Janos alla vers un des moniteurs.
— Peut-être saurez-vous l’utiliser mieux que moi, poursuivit Brown. Mais j’ai pensé qu’il serait plus simple d’employer une bonne vieille feuille de papier et un stylo.
Tabori chargea un programme d’interclassement et fournit des instructions.
— Une minute, intervint Wakefield.
Janos s’arrêta et se tourna pour écouter son collègue.
— Nous nous compliquons l’existence pour rien. À ce stade, il est prématuré de faire des projets pour la totalité de la prochaine sortie. Nous devons en priorité mettre en place une base, ce qui devrait nous prendre de dix à douze heures. Les autres pourront se charger du reste entre-temps.
— Richard a raison, approuva Francesca. Nous brûlons les étapes. Commençons par envoyer les cadets de l’espace terminer notre installation dans Rama. Nous déciderons de la suite du programme pendant leur absence.
— Ce n’est pas rationnel, rétorqua Brown. Seuls des spécialistes peuvent faire une estimation fiable de la durée des préparatifs techniques. Il est impossible d’établir un emploi du temps valable sans leur concours.
— En ce cas, il suffit que l’un d’entre nous demeure auprès de vous, déclara Janos Tabori en souriant. Heilmann ou O’Toole le remplaceront et nous donneront un coup de main, pour éviter tout retard.
La décision fut prise à l’unanimité. Nicole resterait à nouveau à bord de Newton et représenterait les cadets lorsqu’ils établiraient le planning de la mission. L’amiral Heilmann descendrait dans Rama avec les quatre autres cosmonautes professionnels pour les aider à terminer l’assemblage des V.L.R., mettre en place une douzaine de stations de surveillance portatives supplémentaires dans l’Hémicylindre nord et construire un relais de télécommunications sur la rive nord de la mer Cylindrique.
Wakefield et son équipe dressaient une liste récapitulative des travaux annexes quand Wilson, resté muet toute la matinée, se leva brusquement.
— Tout ça, c’est des conneries ! s’exclama-t-il. Je n’arrive pas à croire que vous puissiez débiter des absurdités pareilles.
Richard interrompit son pointage. Les Dr Brown et Takagishi, qui réglaient les détails de leur sortie, se turent. Tous fixèrent Reggie.
— Borzov est mort il y a quatre jours, dit-il. Tout indique qu’il a été tué par les entités qui dirigent ce vaisseau gigantesque, mais nous sommes malgré tout allés l’explorer. Ensuite les lumières se sont allumées et éteintes à l’improviste.
Il dévisagea les autres membres de l’équipe. Il avait des yeux de dément et son front était brillant de sueur.
— Et que faisons-nous ? Je vous le demande. Comment réagissons-nous à cet avertissement lancé par des extraterrestres bien plus intelligents que nous ? Nous nous asseyons autour d’une table pour préparer calmement la suite de notre exploration de leur engin. Vous n’avez donc pas compris ? Ils ne veulent pas de nous. Ils désirent que nous repartions, que nous retournions sur la Terre.
L’éclat de Wilson fut accueilli par un silence gêné. Finalement, O’Toole vint vers lui.
— Reggie, dit-il doucement, nous avons tous été ébranlés par la mort du général Borzov. Mais vous êtes le seul à voir un rapport…
— Alors, c’est que vous êtes aveugles ! J’étais dans ce foutu hélicoptère, quand tout s’est éteint. Il faisait grand jour et pouf ! l’instant suivant on ne voyait plus rien. Un sacré truc, mon vieux. Quelqu’un avait coupé les lumières. Vous discutez depuis un moment, mais je n’ai entendu personne s’interroger sur la raison de cette brusque extinction des soleils de Rama. Qu’est-ce qui vous arrive, les gars ? Auriez-vous un intellect si développé que vous ne sachiez plus ce qu’est la peur ?
Wilson poursuivit ses divagations plusieurs minutes. Toujours sur le même thème. Les Raméens avaient projeté la mort de Borzov et fourni un avertissement en allumant et éteignant leur vaisseau. Ils allaient droit au désastre, s’ils ne renonçaient pas à cette exploration.
Le général O’Toole demeurait à son côté. Le Dr Brown, Francesca et Nicole discutaient dans un coin. Finalement, Nicole s’approcha.
— Reggie, vous devriez m’accompagner avec le général O’Toole, dit-elle en interrompant une nouvelle tirade. Nous poursuivrons ailleurs cette conversation afin de ne pas retarder le reste de l’équipe.
Il la dévisagea, l’air suspicieux.
— Vous, docteur ? Pourquoi devrais-je vous suivre ? Vous n’êtes pas descendue dans Rama. Vous n’avez pas vu assez de choses pour pouvoir comprendre.
Il se dirigea vers Wakefield.
— Vous y étiez, Richard. Vous avez vu cet endroit. Vous savez quelle intelligence et quelle puissance sont nécessaires pour construire un pareil véhicule spatial et l’envoyer naviguer entre les étoiles. Nous ne sommes rien, pour les Raméens. Moins que des fourmis. Nous n’avons pas une chance de nous en tirer.
— Je suis d’accord avec vous, Reggie, répondit posément Richard Wakefield après une brève hésitation. En ce qui concerne nos capacités respectives, tout au moins. Mais rien ne prouve qu’ils aient de mauvaises intentions à notre égard, ou seulement qu’ils nous prêtent attention. Le simple fait que nous soyons toujours en vie…
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