« Rattrape-le ! Ne le laisse pas s’échapper.
— C’est ce que j’essaie de faire. » Elle se rua vers lui en essayant de lui coller les bras au corps mais il était bien trop vigoureux pour elle. Elle trébucha à nouveau et se releva avec une coupure au-dessus de l’œil droit.
Flûte-de-Pan attaquait à pleines dents les liens de ses poignets. Le tissu se déchira et il se colla les mains aux oreilles.
« Et maintenant, Rocky ? hurla Gaby avec désespoir.
— Viens m’aider. Il te tuera si tu t’interposes. » Il était bien trop tard pour arrêter Flûte-de-Pan. Ses antérieurs étaient déjà libérés et il se contorsionnait comme un serpent pour déchirer ses ultimes liens.
Sans un regard pour les deux femmes ou pour sa compagne, il fonça vers Titanville. Il disparut bientôt derrière le sommet d’une colline.
Gaby semblait ne pas s’apercevoir qu’elle pleurait lorsqu’elle s’agenouilla près de Cirocco. Elle ignorait tout autant le filet de sang qui coulait sur sa joue.
« Que puis-je faire ?
— Je ne sais pas. Touche-la, caresse-la, fais tout ce que tu jugeras utile pour la distraire des anges. »
Cornemuse se débattait maintenant, les dents serrées, le visage exsangue. Cirocco tint bon, la serrant autant qu’elle put tandis que Gaby passait une corde autour de torse de la Titanide pour lui immobiliser les bras.
« Chut, chut, chuchota Cirocco. Il n’y a rien à craindre. Je vais te veiller jusqu’au retour de ton arrière-mère. Je te chanterai des berceuses. »
Cornemuse se calma peu à peu et Cirocco lut à nouveau dans ses yeux la même lueur d’intelligence qu’au premier jour de leur rencontre. C’était un spectacle infiniment plus réconfortant que celui de l’animal redoutable qu’elle était devenue un peu plus tôt.
Il s’écoula dix minutes encore avant que ne disparaisse le dernier ange. Cornemuse était trempée de sueur, comme un héroïnomane ou un alcoolique en manque.
Elle se mit à glousser tandis qu’elles guettaient le retour des anges. Cirocco s’allongea sur le côté, face à la Titanide, la tête près d’elle ; elle sursauta lorsque la créature se mit à bouger. Ce n’était pas, comme auparavant, pour éprouver ses liens. Non, le mouvement était ouvertement sexuel. Elle gratifia Cirocco d’un baiser humide. La bouche était si large et chaude que c’en était désarmant.
« J’aimerais être un garçon », roucoula-t-elle d’une voix avinée. Cirocco baissa les yeux.
« Seigneur », suffoqua Cirocco. L’énorme pénis de la Titanide était sorti de son fourreau et l’extrémité battait contre le sol.
« Pour vous, vous êtes peut-être une fille, chanta Cirocco, mais pour moi vous êtes un trop grand garçon. »
Cornemuse trouva ceci désopilant. Elle rugit de rire et tenta d’embrasser à nouveau Cirocco mais lorsque cette dernière recula, elle abandonna avec bonne humeur.
« Je vous ferais beaucoup de mal. » Elle hoquetait. « Hélas, ceci est destiné à un orifice arrière, dont vous êtes absolument dépourvue. Si j’étais un garçon, j’aurais un membre convenable pour vous. »
Cirocco sourit et la laissa divaguer mais ses yeux ne souriaient pas lorsqu’elle regarda Gaby par-dessus l’épaule de la Titanide.
« En dernière extrémité, dit-elle d’une voix calme, en anglais, si jamais elle faisait mine de se libérer, prends cette pierre et assomme-la. Si elle s’échappe, elle est morte.
— Pigé. Mais qu’est-ce qu’elle raconte ?
— Elle a envie de me faire l’amour.
— Avec ça ? Je ferais peut-être mieux de la sonner tout de suite.
— Ne sois pas idiote. Nous ne risquons absolument rien. Si elle se libère, elle ne nous remarquera même pas. Les entends-tu revenir ?
— Je crois bien que oui. »
Ce fut en fin de compte plus facile la seconde fois. Elles ne laissèrent pas à la Titanide la moindre occasion d’entendre les anges et, bien qu’elle transpirât et se débattît comme si elle pouvait quand même sentir leur présence, elle ne lutta toutefois pas beaucoup.
Puis les anges disparurent enfin, retournés aux ténèbres éternelles du rayon, loin au-dessus de Rhéa.
Elle pleurait lorsqu’elles défirent ses liens ; c’étaient les sanglots impuissants d’un enfant qui ne comprend pas ce qui lui est arrivé. Puis ils se muèrent en récriminations pleines d’humeur principalement à cause de ses jambes et de ses oreilles douloureuses. Gaby et Cirocco lui frictionnèrent les jambes à l’endroit où les liens les avaient meurtries. Ses sabots fourchus étaient aussi rouges que de la gelée de cerise.
La disparition de Flûte-de-Pan parut la rendre perplexe mais elle ne se désola pas lorsqu’elle eut compris qu’il était parti se battre. Elle les gratifia de baisers mouillés et les pressa contre elle amoureusement, ce qui ne fut pas sans inquiéter Gaby, même après que Cirocco lui eut expliqué que les Titanides séparaient nettement coït frontal et postérieur. Les organes frontaux étaient destinés à produire des œufs semi-fertilisés qui étaient ensuite implantés à la main dans le vagin postérieur fécondé à son tour par le pénis ventral.
Lorsque Cornemuse se leva, elle était trop saoule pour les porter. Elles lui firent faire quelques tours puis la guidèrent vers la ville. Au bout de quelques heures elles purent à nouveau l’enfourcher.
Titanville était en vue lorsqu’elles découvrirent Flûte-de-Pan.
Le sang avait déjà séché sur sa jolie robe bleue. Un javelot dépassait de son flanc, pointé vers le ciel. On l’avait mutilé.
Cornemuse tomba à genoux près de lui et pleura tandis que Cirocco et Gaby restaient en retrait. Cirocco avait un goût amer dans la bouche. Cornemuse lui en voulait-elle ? Aurait-elle préféré mourir avec son compagnon ou bien était-ce une conception désespérément terrienne ? Les Titanides semblaient hermétiques à la gloire du combat ; elles se battaient uniquement parce qu’elles ne pouvaient pas faire autrement. Cirocco les admirait pour le premier point, les plaignait pour le second.
Se réjouit-on de celui qu’on a sauvé ou pleure-t-on celui qu’on a perdu ? Elle ne pouvait faire les deux à la fois, alors elle pleura.
Cornemuse se releva tant bien que mal. Avec lourdeur. Trois ans, songea Cirocco. Cela ne voulait rien dire. Elle avait une partie de l’innocence des humains du même âge mais c’était une Titanide adulte.
Elle saisit la tête tranchée et lui donna un unique baiser puis elle la replaça près du corps. Elle ne chanta pas ; les Titanides n’avaient pas de chant pour un tel moment.
Gaby et Cirocco remontèrent sur son dos et Cornemuse se dirigea vers la ville au petit trot.
« Demain, dit Cirocco. Nous partirons pour le moyeu dès demain. »
Cinq jours plus tard, Cirocco préparait toujours son départ : subsistait le problème de savoir avec qui et quoi partir.
Bill était hors course, même s’il pensait le contraire. Idem pour August. Elle ne parlait plus que rarement, passait son temps à la lisière de la ville et ne répondait aux questions que par monosyllabes. Calvin ne pouvait dire si la meilleure thérapie était pour elle de rester ou bien de partir. Cirocco devait choisir elle-même en fonction de l’intérêt de la mission : celle-ci serait compromise par une éventuelle dépression d’August.
Calvin était éliminé puisqu’il avait promis de rester à Titanville tant que Bill ne serait pas suffisamment rétabli pour se débrouiller seul ; ensuite, il ferait ce qu’il voudrait.
Gene était partant. Cirocco désirait pouvoir le garder à l’œil, à bonne distance des Titanides.
Restait Gaby.
« Tu ne peux pas me laisser », lui dit-elle : ce n’était pas une prière mais un simple constat. « Je te suivrai.
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