« Parfait, se dit-elle. Gaïa doit bien disposer quelque part de moyens de communication. »
Probablement dans le noyau. Même si les propulseurs s’y trouvaient déjà, cette disposition centrale semblait la plus logique pour un poste de commandement. Il pouvait y avoir là des gens aux commandes, et peut-être pas. Il n’existait aucun moyen de rendre le trajet facile et la destination sûre. L’endroit pouvait être soigneusement protégé des intrusions et de tout sabotage.
Mais s’il y avait une radio là-haut, elle devrait voir par quel moyen mettre la main dessus.
Elle bâilla, se gratta les côtes et battit paresseusement des pieds. Le bouchon oscillait sur les flots. Un temps idéal pour piquer un roupillon.
Le bouchon tressauta et disparut sous les eaux boueuses. Cirocco le regarda un moment avant de comprendre, légèrement surprise, qu’elle avait une touche. Elle se leva et se mit à tirer sur la ligne.
Le poisson n’avait ni yeux, ni écailles, ni nageoires. Elle le tint en l’air et l’observa avec curiosité. C’était le premier poisson qu’ils arrivaient à prendre.
« Mais qu’est-ce que je fiche ici ? » se demanda-t-elle à haute voix. Elle rejeta sa prise dans la rivière, rembobina sa ligne et remonta le coude pour regagner le camp.
À mi-chemin, elle se mit à courir.
« Je suis désolée, Bill, je sais que tu as investi beaucoup de travail dans ce camp. Mais lorsqu’ils viendront nous chercher, je voudrais qu’on ait fait le maximum d’efforts pour nous tirer nous-mêmes d’affaire, dit Cirocco.
— Sur le fond, je suis d’accord avec toi. Quelle est ton idée ? »
Elle lui expliqua ses réflexions concernant le moyeu, le fait que s’il existait un contrôle technologique centralisé de cette vaste structure c’est là qu’il devrait se trouver.
« J’ignore ce que nous y découvrirons. Rien d’autre peut-être que de la poussière et des toiles d’araignée, tout le reste ici ne fonctionnant que par simple inertie. Ou peut-être le capitaine et l’équipage prêts à nous tailler en pièces pour avoir envahi leur vaisseau. Mais il faut qu’on aille voir.
— Comment proposes-tu de monter là-haut ?
— Je ne sais pas encore exactement. Je suppose que les saucisses n’y parviennent pas sinon elles en sauraient plus sur cette déesse dont elles parlent. Il est même possible que les bras ne contiennent pas d’atmosphère.
— Ce qui rendrait la tâche passablement ardue, remarqua Gaby.
— On ne pourra le savoir que sur place. Pour monter dans les rayons il faut emprunter les câbles de soutènement. Ils devraient traverser l’intérieur jusqu’au sommet.
— Mon dieu, murmura Gaby. Rien que les câbles inclinés font déjà cent kilomètres de haut. Et cela ne t’amène qu’au plafond. De là, il y a encore cinq cents kilomètres jusqu’au moyeu.
— Mon pauvre dos ! gémit Bill.
— Mais qu’est-ce qui vous prend ? demanda Cirocco. Je n’ai pas dit qu’on les escaladerait. On en décidera après y avoir jeté un œil. Ce que j’essaie de vous faire comprendre c’est que nous ne savons rien de cet endroit. Qui dit qu’un ascenseur express ne nous attend pas dans les marais pour nous faire monter tout en haut ? Ou qu’il n’y a pas un petit bonhomme pour nous vendre des billets d’hélicoptère ou des tapis volants ? Nous ne pourrons le savoir qu’après avoir commencé d’explorer le coin.
— Ne t’excite pas, dit Bill, je suis d’accord avec toi.
— Et toi, Gaby ?
— Je vais où tu vas, énonça-t-elle sur un ton prosaïque. Tu le sais.
— Parfait. Alors voilà mon idée : il existe un câble incliné à l’ouest, vers l’Océan. Mais la rivière coule dans la direction opposée et nous pourrions l’utiliser comme moyen de transport. Nous pourrions même rejoindre la rangée de câbles suivante plus rapidement par ce moyen qu’en traversant la jungle. Je pense que nous devrions nous diriger vers l’est, vers Rhéa.
— Calvin nous a dit d’éviter Rhéa, rappela Bill.
— Je n’ai pas dit que nous y entrerions. S’il y a quelque chose de plus dur à supporter que cet éternel après-midi ce doit bien être la nuit éternelle et je n’ai nulle envie d’essayer. Mais d’ici à là-bas il existe des tas de coins que nous pourrions explorer.
— Admettons, Rocky. Au fond, tu es une touriste. »
Elle ne put s’empêcher de sourire. « Touché. Tout à l’heure je me disais : nous sommes dans cet endroit incroyable. Nous savons qu’il est peuplé d’une douzaine de races intelligentes. Et que faisons-nous ? On reste assis à pêcher à la ligne. Eh bien, pas moi. Je me sens l’envie de fureter. N’est-ce pas pour cela qu’on nous paye, et bordel, c’est ce que j’aime ! Peut-être que je désire un peu d’aventure.
— Mon Dieu, répéta Gaby en étouffant un gloussement. Que pourrais-tu demander de plus ? Tu n’en as pas eu suffisamment ?
— Il arrive que les aventures se retournent contre vous pour vous mordre, remarqua Bill.
— Comme si je ne le savais pas. Mais nous descendrons cette rivière, quoi qu’il en soit. J’aimerais que nous levions le camp après la prochaine période de sommeil. Je me sens comme si l’on m’avait droguée. »
Bill considéra cette remarque un moment. « Crois-tu que ce soit possible ? Quelque substance dans les fruits ?
— Hein ? T’as trop lu de S.F., Bill.
— Écoute, tape pas sur mes lectures et je taperai pas sur tes vieux films plats en noir et blanc.
— Mais ça c’est de l’art. N’importe. Je suppose qu’il est possible que nous ayons ingéré quelque substance tranquillisante mais je crois franchement qu’il ne s’agit que d’une bonne vieille flemme. »
Bill se redressa pour saisir une pipe inexistante. Il eut l’air ennuyé de l’avoir encore oubliée puis s’épousseta les mains.
« Ça va prendre du temps pour monter un radeau, dit-il.
— Pourquoi un radeau ? Et que fais-tu de ces grosses cosses que nous avons vu dériver dans le courant ? Elles sont assez vastes pour nous porter. »
Bill fronça les sourcils. « Oui, je suppose, mais crois-tu qu’elles seront stables dans les rapides ? J’aimerais jeter un œil en dessous avant de…
— Stables ? Et tu crois qu’un radeau vaudrait mieux ? »
Il eut l’air étonné, puis chagriné.
« Tu sais, peut-être bien que c’est moi qui suis endormi. À vos ordres, commandant. »
Les graines croissaient au sommet des plus grands arbres de la forêt. Chacun ne donnait qu’une graine à la fois qui explosait comme un coup de canon lorsqu’elle était mûre. Un bruit qu’ils avaient pu entendre à de longs intervalles. Après l’explosion restait une sorte de coquille de noix lisse et régulièrement cloisonnée.
Dès qu’ils en virent une dériver devant eux, il se mirent à l’eau pour la hisser sur la berge. Vide, elle surnageait largement au-dessus des flots. Même en charge le franc-bord restait suffisant.
Il leur fallut deux jours pour l’aménager et tenter d’y arrimer un gouvernail. Ils confectionnèrent celui-ci à l’aide d’une longue tige terminée par une large palette, en espérant que cela suffirait. Chacun disposait d’une rame primitive au cas où ils devraient affronter des rapides.
Gaby largua l’amarre. Arquée, Cirocco les poussa à la gaffe vers le milieu du courant, puis prit son poste à la poupe, la main posée sur la barre. Une brise se leva, lui faisant à nouveau regretter de ne pas avoir de cheveux. Quel plaisir d’avoir les cheveux fouettés par le vent. Ce sont toujours les choses les plus simples qui vous manquent le plus, songea-t-elle.
Gaby et Bill, fort excités, avaient pour l’heure oublié leur animosité. Assis de part et d’autres de la coque ils surveillaient l’avant pour indiquer à Cirocco les écueils.
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