Trini avait toujours aimé faire la cuisine et le refuge était rempli de vivres qu’elle n’aurait aucune chance d’épuiser. Robin n’avait pas été capable d’absorber plus que quelques gorgées de potage. Pour s’occuper, elle leur prépara des œufs, du bacon et des crêpes. Larry leur fit honneur mais Cirocco les repoussa d’un geste.
« Théa ! » s’exclama-t-elle à un moment, ce qui lui attira les regards des autres. « Qu’est-ce que je raconte, Théa ! Comment diable ont-ils pu aller plus loin que Téthys ? »
Ils attendirent la suite mais ce fut tout. Larry replongea dans son bouquin et Trini recommença son rangement pour la dix-septième fois. Sur sa couchette, Robin reposait paisiblement.
* * *
Lorsque Robin gémit, Cirocco fut en un instant à ses côtés, suivie de près par Larry. Trini, qui regardait de derrière, dut se reculer précipitamment quand Cirocco s’écarta pour laisser Larry prendre le pouls de la patiente.
Robin ouvrit les yeux lorsque Larry lui toucha le bras, tenta de se dégager puis cligna lentement des paupières. Quelque chose dans la voix de Larry l’apaisait. Elle le regarda puis regarda Cirocco. Elle ne pouvait distinguer Trini dans l’ombre.
« J’ai rêvé que…» commença-t-elle puis elle hocha la tête.
« Comment te sens-tu, Robin ? » demanda Cirocco. Les yeux de la jeune fille se détournèrent lentement :
« Où étais-tu passée ? s’exclama-t-elle avec véhémence.
— Voilà une excellente question. Peux-tu écouter la réponse ? Comme ça, tu n’auras pas à parler tout le temps. »
Robin opina.
« Bon. Primo, j’ai renvoyé Cornemuse à Titanville pour qu’il rassemble une équipe afin de dégager l’accès à l’escalier. Si tu t’en souviens, il était complètement obstrué. »
Robin opina encore.
« Il fallut du temps pour rassembler tout le monde et plus encore que je ne l’aurais cru pour déblayer entièrement. Les Titanides étaient désireuses de travailler mais elles se comportaient bizarrement sous le câble : elles se mettaient à vagabonder et quand on les retrouvait, elles n’avaient pas souvenance d’être parties. Si bien que je fus obligée d’engager également quelques hommes, ce qui me fit perdre encore plus de temps.
« Mais nous avons pu dégager le passage et faire descendre une équipe de sept hommes jusqu’à Téthys. La chambre était submergée plus haut que je ne l’avais jamais vue. Téthys refusa de me parler et je n’ai rien pu y faire puisque Gaïa elle-même n’a aucune influence sur elle.
« Je suis alors venue ici… J’étais certaine que vous étiez tous morts mais je n’y croirais qu’après avoir retrouvé vos corps, aussi longtemps que cela me prenne. Si Téthys vous avait tués, je… je ne sais pas ce que j’aurais fait mais je lui aurais fait subir quelque chose qu’elle ne serait pas près d’oublier. Malgré tout, subsistait la maigre chance que vous soyez parvenus à passer devant elle pour pénétrer dans les catacombes.
— C’est bien ce qu’on a fait. Et Valiha…
— Ne parle pas tout de suite. Épargne tes forces. Bon. Autant que je sache, Gaby et moi sommes les seuls humains à jamais être descendus là-dessous et j’ignore à peu près tout des catacombes hormis qu’elles s’étendent à l’infini en formant un dédale inextricable. Je suis quand même descendue voir Théa pour l’avertir que si l’un d’entre vous se pointait, elle le laisse passer sans faire de difficultés. Puis j’ai bien tenté d’explorer le débouché oriental des catacombes mais je dus y renoncer au bout de quelques semaines. Je n’arrivais à rien. Je pris donc le risque d’abandonner provisoirement afin d’organiser une expédition de recherche correctement équipée qui descendrait explorer l’endroit mètre par mètre ; et pour ce faire, il me fallait commander sur Terre quantité de matériel. Je ne pensais pas vraiment qu’aucun de vous puisse jamais y arriver, tu vois, et je…
— Je comprends, dit Robin en reniflant. Mais Théa… oh, et puis merde. Moi qui croyais avoir… enfin, je pensais l’avoir eue toute seule. Alors qu’elle ne faisait que jouer avec moi. » Elle paraissait au bord des larmes mais finalement n’eut pas la force de pleurer.
Cirocco lui prit la main.
« Pardonne-moi. Tu m’as mal comprise. J’étais loin d’être satisfaite de devoir donner des ordres à Théa sans pouvoir être derrière pour la surveiller. L’intimité est son obsession. Je craignais que si l’un de vous venait à se montrer, elle ne le tue et ne se débarrasse du corps en faisant porter l’accusation sur Téthys puisque cette dernière me savait déjà au courant de ce qu’il s’était passé et savait que je n’y pouvais fichtrement rien à moins de rester camper plusieurs mois sur le pas de sa porte. C’est d’ailleurs peut-être ce que j’aurais dû faire, puisque…
— C’est très bien, dit Robin avec un pâle sourire. Je me suis débrouillée.
— Sûr que oui, et un de ces jours, j’aimerais bien que tu me racontes comment t’as fait. Bref, j’ai fait mon possible – bien que je regrette aujourd’hui sacrément de ne pas en avoir fait plus – et je m’apprêtais à redescendre voir Théa sous trois ou quatre jours lorsque j’ai reçu un appel de Trini pour m’annoncer que tu étais venue frapper à sa porte. Je suis arrivée aussi vite que possible. »
Robin opina en fermant les yeux.
« En tout cas, poursuivit Cirocco après une pause, j’avais des tas de choses à te demander et si tu te sens d’attaque, je pourrais peut-être le faire tout de suite. La première chose qui me tracasse, c’est de savoir pourquoi Gaby vous a laissés descendre voir Téthys. Je la connais et elle me connaît, même si on n’est pas toujours d’accord et elle aurait bien dû se douter que je trouverais moyen d’éclaircir le passage pour vous retrouver. Puis quand je ne l’ai pas vue avec toi, je me suis demandée pourquoi et maintenant je commence à me demander si elle n’est pas blessée et n’a pas pu…» Sa voix resta en suspens. Robin avait ouvert les yeux et son air horrifié était si explicite que Trini comprit instantanément ce qui était arrivé. Elle se détourna.
« J’avais cru qu’en déblayant les rochers…» gémit Robin.
Trini se retourna et vit que Cirocco s’était figée comme une statue de pierre. Ses lèvres bougèrent enfin mais sa voix était sans vie.
« Nous n’avons rien trouvé.
— Je ne sais pas quoi dire. On l’a laissée là-bas. On voulait l’ensevelir mais on n’avait même pas de quoi…» Sa phrase s’acheva dans les larmes et Cirocco se redressa. Quand elle se tourna, ses yeux regardaient dans le vide et Trini sut qu’elle n’oublierait jamais ce regard mort qui la balayait comme si elle n’avait pas été là, alors que la Sorcière allait ouvrir à tâtons le verrou et s’avançait sur le porche étroit. Ils l’entendirent descendre l’échelle, puis il n’y eut plus aucun bruit sinon les sanglots de Robin.
* * *
Ils s’inquiétaient pour elle mais en regardant dehors ils la virent à cent mètres de là, leur tournant le dos, enfoncée dans la neige jusqu’aux genoux. Elle resta ainsi immobile plus d’une heure. Trini s’apprêtait à sortir la chercher mais Larry lui dit d’attendre. Puis Robin dit qu’elle avait à lui parler et il descendit l’échelle. Trini put les voir discuter. Cirocco ne tourna pas la tête mais le suivit quand même lorsqu’il lui posa la main sur l’épaule.
Quand elle rentra, son visage était toujours aussi dépourvu d’émotion. Elle s’agenouilla près de la couchette de Robin et attendit.
« Gaby nous a dit quelque chose, commença-t-elle. Je suis désolée mais je crois qu’elle voulait que toi seule le saches et cette pièce est trop petite pour se prêter aux confidences.
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