C’était un tout terrain à six places modifié pour le combat aérien.
Cirocco jaillit du siège du pilote puis une autre personne, à peu près de sa taille, de la place du passager.
Trini s’en revint vers son minuscule réchaud pour monter le gaz sous la cafetière. Elle s’était portée volontaire – bien qu’à l’instar des autres humains vivant à Gaïa elle ne dût aucune obéissance à la Sorcière – dès qu’elle avait su que Cirocco cherchait de l’aide pour une mission de sauvetage destinée à rechercher Robin du Covent. Trini n’avait pu s’empêcher de penser sans cesse à Robin depuis le jour de son départ et elle pensait que l’attente dans le refuge était plus en rapport avec ses talents qu’une descente par l’escalier pour rendre visite à Théa.
On l’avait donc transportée ici avec des stocks de vivres, de couvertures, de fournitures médicales et de cartouches de gaz avec pour mission de préparer la station, depuis longtemps abandonnée, à l’éventuelle arrivée de l’un des disparus. Sirocco l’avait aidée à remettre en service la balise mais cela mis à part, il n’y avait pas grand-chose à faire. La structure tenait encore le coup et protégeait bien du blizzard. Elle avait donc passé tout son temps près de la fenêtre à bouquiner mais elle n’y était pas lorsqu’elle avait senti la tour vibrer légèrement sous le poids de quelqu’un qui gravissait l’échelle.
Elle vibrait aussi à présent mais avec plus de netteté tandis que Cirocco et son compagnon se hâtaient à l’extérieur. Elle leur ouvrit la porte. Cirocco se dirigea immédiatement vers Robin qui dormait sous une épaisse couche de couvertures. Elle s’assit auprès d’elle, lui toucha le visage et se retourna, l’air soucieux :
« Mais elle est horriblement brûlante !
— Elle a juste pu boire un peu de soupe », répondit Trini qui aurait bien voulu pouvoir lui en dire plus.
Le passager de Cirocco était un personnage familier pour Trini, comme pour quiconque avait passé quelque temps à Titanville : il s’appelait Larry O’Hara, et c’était le seul médecin humain de tout Gaïa. On n’avait cure qu’il fût ici parce qu’il avait été radié sur Terre et personne ne lui aurait demandé pourquoi. Il n’était probablement guère doué pour la chirurgie à cœur ouvert mais il savait réduire une fracture ou panser les brûlures et ses soins étaient gratuits. Il transportait toujours une authentique trousse médicale noire sans un seul gramme d’équipement électronique ; celle-là même qu’il venait de poser pour ôter son manteau de fourrure, révélant une silhouette massive à la barbe noire et aux joues vermeilles : plus celle d’un bûcheron que d’un chirurgien. Cirocco se tint à l’écart tandis qu’il auscultait la patiente. Il y prit tout son temps.
« Il est bien possible qu’elle perde les orteils, annonça-t-il à un moment.
— Foutaises ! » rétorqua Cirocco, ce qui pour Trini semblait une drôle de réponse.
Elle avait enfin l’occasion d’observer de près la Sorcière et elle fut surprise de voir qu’elle arborait toujours la même mise depuis la première fois où elle avait entendu parler d’elle : elle portait le même poncho mexicain rouge brique délavé avec un trou en son milieu. Drapé négligemment autour du corps, il arrivait aux genoux et s’il était décent lorsqu’elle demeurait immobile, il ne l’était plus du tout dès qu’elle bougeait. Elle marchait pieds nus. La neige était encore accrochée à ses chevilles mais elle fondait rapidement.
Qu’était-elle ? se demanda Trini. Elle savait depuis longtemps que Cirocco était différente mais supposait qu’elle était restée humaine. Elle n’en était plus si sûre à présent. Peut-être était-elle quelque chose de plus, mais les différences étaient subtiles. La seule qui fût visible, elle la partageait avec Gaby Plauget : tous les humains à peau sombre sur Gaïa l’étaient de naissance. Sauf Gaby et Cirocco qui avaient toujours l’air bronzées de la veille.
Larry finit par se détourner pour prendre la tasse de café que lui offrait Trini. Il la remercia d’un sourire et s’assit, laissant ses mains se réchauffer contre la faïence blanche.
« Eh bien ? l’interrogea Cirocco.
— J’aimerais la sortir d’ici mais je ne pense pas qu’elle soit transportable. D’ailleurs, je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus pour elle à Titanville. Elle souffre de plusieurs gelures, et d’une pneumonie. Mais elle est jeune et robuste et la drogue titanide que je lui ai administrée fait des merveilles contre la pneumonie : elle devrait pouvoir s’en tirer, soignée convenablement.
— Tu resteras ici pour y veiller », annonça Cirocco. Mais Larry hocha la tête :
« Impossible. J’ai ma clientèle qui m’attend à Titanville. Tu peux t’occuper d’elle ; ou Trini peut le faire.
— J’ai dit…» Cirocco s’interrompit avec un effort qui était visible sur ses traits. Elle se détourna quelques instants.
Larry semblait intéressé, sans plus. Trini savait qu’il était hors de question de le convaincre de quoi que ce soit : une fois qu’il avait décidé où se trouvait son devoir, il l’accomplissait sans plus se soucier d’en débattre avec vous. Quoi qu’il ait pu lui arriver sur Terre, il prenait au sérieux son serment de médecin à Gaïa.
« Excuse-moi d’avoir été si cassante. Combien de temps Pourrais-tu rester ?
— Jusqu’à vingt revs, s’il le faut. Alice s’occupera de tout pendant mon absence. Elle se débrouille bien, tu sais ; je songe même à lui décerner un diplôme.
— Il faudra que je fasse sa connaissance, un de ces jours, dit Cirocco, distraitement.
— Je ne la laisserai pas tomber en pleine crise, lui assura Larry. Mais, franchement, je peux t’expliquer ce qu’il faut faire en un petit quart d’heure… Le traitement est aussi vieux que les montagnes…
— Elle a parlé, il y a quelque temps », hasarda Trini. Cirocco se retourna immédiatement et Trini crut un instant qu’elle allait venir lui secouer l’épaule. Mais elle se retint, se contentant de la dévisager.
« A-t-elle mentionné l’un des autres ? Gaby ? Chris ? Valiha ?
— Elle n’était pas vraiment éveillée, dit Trini. Je crois qu’elle parlait à Théa. Elle avait peur, mais ne voulait pas le laisser paraître. C’était confus.
— Théa, murmura Cirocco. Mon Dieu, comment est-elle parvenue à franchir Théa ?
— Je pensais que tu t’y attendais ? Sinon, pourquoi m’avoir fait rester ici ?
— Pour couvrir toutes les bases, expliqua Cirocco, distraitement. Tu étais en réserve pour un cas peu probable. Je ne vois vraiment pas comment elle a trouvé le moyen de traverser tout ça, encore moins de passer…» Elle s’interrompit pour regarder Trini.
« Ce n’est pas ce que je voulais dire, j’espère que tu…
— Ne t’inquiète pas : je suis contente d’avoir été là. »
Cirocco se détendit ; elle finit même par sourire.
« Moi aussi. Je sais que tu y as passé un bout de temps et je t’en suis reconnaissante. Je veillerai à ce que…
— Je ne veux rien », coupa vivement Trini. À nouveau, le regard de Cirocco la scruta.
« D’accord. Mais je ne l’oublierai pas. Doc, est-ce qu’on peut la réveiller ?
— Appelle-moi Larry. Il vaudrait mieux la laisser reposer pour l’instant. Elle s’éveillera d’elle-même mais je ne promets pas qu’elle ait toute sa tête. Elle a une forte fièvre.
— Il est très important que je puisse lui parler. Les autres pourraient être en danger.
— J’entends bien. Laissons-lui encore quelques heures et je verrai ce que je peux faire. »
Cirocco ne savait guère attendre. Certes, elle n’arpentait pas la pièce, elle ne bavardait pas ; en fait elle demeura immobile et silencieuse sur sa chaise. Mais son impatience envahissait la pièce, empêchant Trini de se détendre. Larry, lui, savait attendre : il trompait le temps en bouquinant l’un des livres que Trini avait terminés pendant sa longue garde.
Читать дальше