Jill secoua la tête. « Cela ne suffirait pas.
— Ça dépend. Je connaissais un magicien qui habillait son assistante à la mode 1900 ; on ne voyait même pas ses jambes. Puis, il escamotait ses vêtements l’un après l’autre. Les jobards adoraient ça. Mais ça n’avait rien de vulgaire, vous savez. À la fin, elle en portait encore autant que ce que vous avez sur vous maintenant.
— Ça ne me gênerait pas de le faire toute nue, mais la police arrêterait les représentations.
— Même sans cela, vous ne le pourriez pas, ma chérie. Vous causeriez une émeute. Mais puisque vous êtes bien faite, pourquoi ne pas vous en servir ? Je ne serais pas allée loin comme femme tatouée si je ne me déshabillais pas autant que c’est permis.
— À propos de vêtements, dit Mike, vous devez être mal à l’aise, Pat. Le conditionneur d’air est sûrement en panne ; il fait au moins trente degrés. » Il était vêtu d’un peignoir léger, et la chaleur ne l’incommodait que très peu ; parfois, il devait ajuster son métabolisme. Mais leur amie avait l’habitude de ne presque rien porter, et ne s’habillait que pour dissimuler ses tatouages aux yeux des jobards. « Mettez-vous à l’aise. Nous sommes entre amis.
— Mais bien sûr, Patty, dit Jill. Si vous n’avez rien en dessous, je vous trouverai quelque chose.
— Eh bien…
— Il ne faut pas vous gêner avec nous. Je vais vous aider avec la fermeture éclair.
— Oui, et j’ôte déjà mes chaussures. » Elle continua à bavarder sans cesser de se demander comment elle pourrait aborder les sujets religieux. Que Dieu les bénisse, ces gosses étaient prêts à voir la lumière, mais elle croyait avoir toute la saison devant elle… « Ce qu’il y a dans ce métier, Smitty, c’est qu’il faut comprendre les jobards. Évidemment, si vous étiez un vrai magicien – oh, je ne veux pas dire que vous n’êtes pas habile, bien au contraire ! » Elle fourra ses bas dans une de ses chaussures. « Je veux dire si vous aviez fait un pacte avec le Diable. Mais les jobards savent que ce sont des trucs. Alors il faut une routine amusante. Avez-vous jamais vu un mangeur de feu avec une jolie assistante ? Elle ficherait tout en l’air : les gens ne regarderaient plus qu’elle, en espérant qu’il se mettrait le feu aux tripes ! »
Elle s’extirpa de sa robe. Jill vint l’embrasser. « Voilà, tante Patty, vous avez l’air plus naturelle. Buvez tranquillement.
Mrs. Paiwonski pria le ciel de lui venir en aide. Eh ! Les images parleraient pour elles-mêmes – c’était bien pourquoi Georges les avait mises là. « Vous voyez, voilà ce que je montre aux jobards. Avez-vous jamais regardé, vraiment regardé, mes images ?
— Non, admit Jill. Nous ne voulions pas vous gêner en vous regardant comme deux gogos.
— Eh bien, regardez maintenant ! C’est ce que Georges, que Dieu bénisse sa douce âme, voulait. Là, sous mon menton, vous voyez la naissance du prophète, le saint Archange Foster ; un petit bébé innocent qui ne savait pas ce que le Ciel lui réservait. Mais les Anges le savaient – vous les voyez, tout autour de lui ? Ensuite, vous voyez son premier miracle ; avec un jeune pécheur de son école, il alla tirer un pauvre petit oiseau… il le ramassa, le caressa et l’oisillon s’envola, tout heureux de vivre. Et maintenant, passons à mon dos. » Elle leur expliqua que, lorsque Georges avait commencé la grande œuvre, il ne restait pas beaucoup de place, mais que, dans sa géniale inspiration, il avait transformé « L’Attaque contre Pearl Harbor » en un « Armageddon » et le « Panorama de New York » en une vue de la Ville Sainte.
« Oh oui, mon bon Georges a eu bien du mal à faire tenir toutes les étapes de la vie terrestre de notre prophète. Ici, vous le voyez prêcher sur les marches du séminaire impie qui refusa de l’admettre, et là, sa première arrestation, début de la Persécution. Tout autour de la colonne vertébrale, vous le voyez briser les idoles… et tout en bas, il est en prison, éclairé par une lumière descendue du Ciel. Puis, les Premiers Justes envahirent la prison…»
(Le révérend Foster avait compris que, dans la lutte pour la liberté religieuse, les coups-de-poing américains et les gourdins valaient mieux que la résistance passive. Son église était on ne peut plus militante. Mais Foster était un excellent tacticien : il n’engageait une bataille que lorsque l’artillerie lourde était du côté du Seigneur.)
«… le sauvèrent et enduirent de goudron et de plumes le faux juge qui l’avait condamné. Et devant… oh, vous ne pouvez pas voir grand-chose, à cause de mon soutien-gorge. Quel dommage. »
(Michaël, que désire-t-elle ?)
(Tu le sais. Dis-le lui.)
« Tante Patty, lui dit Jill gentiment. Vous voulez que nous voyions toutes les images, n’est-ce pas ?
— Eh oui… comme Tim l’explique dans son boniment, Georges a dû se servir de toute ma peau pour que l’histoire soit complète.
— Si Georges s’est donné tant de mal, c’est pour qu’on voie tout. Je vous avais dit que cela me serait égal de faire notre numéro toute nue, et ce n’était que pour amuser les jobards. Mais vous, vous poursuivez un but, un but saint.
— Soit… si vous le voulez vraiment. » Elle chanta un Alléluia silencieux ; Foster la soutenait. Grâce aux saintes images de Georges et avec un peu de chance, elle leur ferait voir la lumière.
« Je vais vous aider. »
(Jill…)
(Michaël ?)
(Attends.)
Avec une stupéfaction indescriptible, Mrs. Paiwonski vit que son slip et son soutien-gorge en lamé avaient disparu ! Jill ne s’étonna pas lorsque son peignoir s’évanouit et fut à peine surprise lorsque la robe de chambre de Mike prit le même chemin. Elle le mit sur le compte de sa politesse de chat.
Mrs. Paiwonski les regardait avec de grands yeux. Jill passa un bras autour de ses épaules. « Allons, chérie, tout va bien. Mike, tu devrais lui dire.
— Oui, Jill. Pat…
— Oui, Smitty ?
— Vous aviez dit que ma magie consistait en tours de passe-passe. Vous alliez ôter vos sous-vêtements. Je l’ai fait pour vous.
— Mais comment ? Où sont-ils ?
— Là où sont le peignoir de Jill et ma robe de chambre. Partis.
— Ne vous tracassez pas, Patty, nous les remplacerons. Mike, tu n’aurais pas dû.
— Désolé, Jill. J’avais gnoqué que c’était bien.
— Tu avais peut-être raison. » Patty n’était d’ailleurs pas trop bouleversée – et surtout, partageant l’éthique des gens du voyage, elle ne parlerait pas.
Mrs. Paiwonski ne s’inquiétait guère d’avoir perdu ces deux bouts d’étoffe, et la nudité – la sienne ou la leur – ne la choquait absolument pas. Mais un problème théologique la troublait fort. « Smitty ? C’était vraiment de la magie ?
— Je pense que c’est le mot qui convient, acquiesça Mike.
— J’appellerais plutôt cela un miracle, dit-elle sans détours.
— Si vous voulez. Ce n’était en tout cas pas de la prestidigitation.
— Je sais bien. » Elle n’avait pas peur. Étant soutenue par la foi, Patricia Paiwonski n’avait peur de rien. Mais elle était inquiète pour ses amis. « Regardez-moi dans les yeux, Smitty. Avez-vous conclu un pacte avec le Diable ?
— Non, Pat. »
Elle continua à lire dans son regard. « Vous ne mentez pas…
— Il ne sait pas mentir, tante Patty.
— Alors, c’est un miracle. Smitty… vous êtes un saint !
— Je ne sais pas, Pat.
— L’Archange Foster ne s’en est aperçu qu’après avoir accompli bien des miracles. Vous êtes un saint homme, Smitty, je le sens. Je l’avais senti dès que je vous ai vu.
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