— Berquist ?
— C’est cela. J’ai des raisons de… Jill, qu’est-ce que vous avez ? Ne vous évanouissez pas, ou je vous balance dans la piscine !
— Jubal… Ce Berquist… Y a-t-il plusieurs Berquist ?
— Hein ? Il a l’air d’un drôle d’oiseau. Il n’y en a sans doute qu’un. En tout cas, il n’y en a qu’un parmi les assistants personnels de Douglas. Vous le connaissez ?
— Je ne sais pas. Mais si c’est le même, je pense qu’il est inutile de le chercher.
— Oui… allons, parlez, mon petit.
— Je suis terriblement désolée, Jubal, mais… je ne vous avais pas tout dit.
— Les gens disent rarement tout. Allez, je vous écoute ! »
D’une voix balbutiante, Gillian lui raconta la disparition des deux hommes. « Et voilà, conclut-elle tristement. Et ensuite, j’ai hurlé – Mike a pris peur et est tombé dans cet état cataleptique… et j’ai eu un mal terrible à arriver jusqu’ici. Mais cela, je vous l’ai déjà dit.
— Hum… oui, mais j’aurais aimé que vous me disiez également cela. »
Jill rougit jusqu’aux oreilles. « Je ne pensais pas que vous me croiriez. Et puis j’avais peur. Ils peuvent quelque chose contre nous, Jubal ?
— Comment ? demanda-t-il avec surprise.
— Je veux dire, nous envoyer en prison, par exemple.
— Voyons, chère Jill ! Ce n’est pas un crime que d’assister à un miracle. Ni d’en accomplir un, d’ailleurs. Mais ce problème a plus d’aspects qu’un chat n’a de poils. Laissez-moi réfléchir. »
Jubal resta silencieux dix bonnes minutes, puis rouvrit les yeux. « Je ne vois pas votre enfant à problèmes. Il est sans doute au fond de la piscine.
— En effet.
— Alors, plongez et ramenez-le. Je l’attends dans mon bureau. Je voudrais voir s’il peut refaire cela… et je ne veux pas de public. Ou plutôt, si : dites à Anne de mettre sa robe de Témoin – j’ai besoin d’elle en sa capacité officielle. Et je veux également Duke.
— Oui, patron.
— Vous n’avez pas le droit de m’appeler « patron » ; vous n’avez pas de salaire déductible.
— Oui, Jubal.
— J’aimerais avoir sous la main quelqu’un dont l’absence passerait inaperçue. Mike peut-il faire son tour de passe-passe avec des objets inanimés ?
— Je l’ignore.
— Nous verrons bien. Allez vite le chercher… Ah, quel moyen rêvé de se débarrasser de – non, il ne faut pas succomber à la tentation. À tout de suite, ma petite Jill. »
Lorsque Jill monta, quelques minutes plus tard, Anne était déjà là, vêtue de la robe blanche de sa guilde. Sans un mot, Jill prit une chaise et attendit : Jubal dictait à Dorcas. Sans même lever les yeux à son entrée, il continua :
«… du corps affalé, imbibant un coin du tapis et formant près de la cheminée une petite mare rouge foncé qui attira bientôt l’attention de deux mouches paresseuses. Miss Simpson porta la main à sa bouche. « Mon Dieu ! s’exclama-t-elle d’une voix catastrophée. Le tapis préféré de papa !… Et papa lui-même, si je ne me trompe pas. » Voilà, Dorcas. Fin de chapitre et fin de la première livraison. Au courrier. »
Dorcas sortit avec un sourire destiné à Jill. « Où est Mike ? demanda Jubal.
— Il arrive dans un moment, répondit Gillian. Il s’habille.
— Pourquoi faire ? demanda Jubal non sans irritation. Nous n’attendons pas d’invités.
— Mais… c’est nécessaire.
— Pourquoi ? Il est aussi bien comme ça. Allez le chercher.
— Je vous en prie, Jubal. Il faut qu’il apprenne.
— Peuh ! Vous projetez sur lui votre petite moralité bourgeoise et puritaine.
— Absolument pas ! Mais il faut qu’il apprenne nos coutumes.
— Coutumes, morale… Où est la différence ? Mais enfin, femme, par la grâce de Dieu et de notre droiture intérieure, nous avons ici une personnalité vierge des tabous pervers de notre tribu, et voilà que vous voulez en faire une copie de n’importe quel conformiste de quatrième ordre de ce pays en proie à la peur ! Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ? Achetez-lui donc une serviette d’homme d’affaires.
— Je ne fais rien de la sorte. J’essaie simplement de lui éviter les ennuis. C’est pour son propre bien. »
Jubal renifla bruyamment. « C’est ce qu’ils expliquèrent au chat avant de le couper.
— Oh ! » Jill se donna le temps de compter jusqu’à dix, puis dit : « C’est votre maison, docteur Harshaw, et nous vous devons beaucoup. Je vais le chercher immédiatement. » Elle se leva.
« Arrêtez, Jill.
— Pardon ?
— Rasseyez-vous – et n’essayez pas de devenir aussi désagréable que moi ; vous manquez d’entraînement. Et laissez-moi mettre une chose au point : vous ne me devez n’en. C’est impossible, car je ne fais jamais une chose qui ne me plaît pas. Personne, d’ailleurs, mais moi, je le sais. N’essayez donc pas d’inventer une dette qui n’existe pas, sinon vous allez finir par éprouver de la reconnaissance, ce qui est le premier pas vers la dégradation morale totale. Vous gnoquez cela ? »
Jill se mordit les lèvres, puis sourit. « Je ne sais pas exactement ce que veut dire « gnoquer ».
— Ni moi, mais j’ai l’intention de demander des leçons à Mike. Ce que je dis est sérieux. « Reconnaissance » est un euphémisme pour ressentiment. De la part de la plupart des gens, cela m’importe peu – mais venant d’adorables fillettes comme vous, c’est déplaisant.
— Mais voyons, Jubal, je n’éprouve aucun ressentiment contre vous !
— Je l’espère… mais cela viendra, si vous n’extirpez pas de votre esprit l’illusion que vous me devez quelque chose. Les Japonais ont plusieurs façons de dire « merci » – et toutes à des degrés divers, se traduisent par rancune ou ressentiment La langue anglaise n’a malheureusement pas la même honnêteté, et peut définir des sentiments que le système nerveux humain lui, ne connaît pas.
— Jubal, vous êtes un cynique. Je vous suis reconnaissante et je continuerai à l’être.
— Et vous êtes une jeune fille sentimentale. Nous sommes donc complémentaires. Allons à Atlantic City passer un week-end de débauche illicite. Rien que nous deux ?
— Jubal ! dit Gillian sur un ton de reproche.
— Vous voyez jusqu’où va votre gratitude ?
— Oh, mais je suis prête. Quand partons-nous ?
— Nous aurions dû partir il y a quarante ans. D’autre part, vous avez raison : il faut que Mike apprenne nos coutumes. Il doit ôter ses chaussures avant d’entrer dans une mosquée, garder son chapeau dans une synagogue et couvrir sa nudité lorsque le tabou l’exige, ou nos chamanes le brûleront pour déviationnisme. Mais, mon enfant, par les innombrables aspects d’Ahriman, ne lui lavez pas le cerveau. Qu’il apprenne à faire ces choses, mais qu’il les fasse avec cynisme.
— Je ne suis pas certaine d’en être capable. Mike semble totalement dénué de cynisme.
— Vraiment ? Je vous aiderai. Ne devrait-il pas être prêt ?
— Je vais voir.
— Un moment, Jill. Je vous avais expliqué pourquoi je ne tenais pas à accuser quiconque d’avoir enlevé Ben. Ainsi, s’il est illégalement détenu (pour dire les choses en termes galants), personne n’éprouvera le besoin de se débarrasser de lui pour supprimer une preuve gênante. Mais j’ai pris d’autres mesures, le soir de votre arrivée. Vous connaissez votre Bible ?
— Pas très bien, à vrai dire.
— C’est un tort ; on y trouve des conseils forts précieux.
«… celui qui fait le mal hait la lumière…» Ce doit être dans Jean, Jésus parlant à Nicodème. Je m’attendais à ce qu’on tente de nous arracher Mike, car il semblait peu probable que vous les ayez dépistés. Nous sommes dans un lieu solitaire et ne possédons pas d’artillerie lourde. Il n’y a qu’une arme qui puisse les faire reculer : la lumière. Les feux aveuglants de la publicité. J’ai donc fait en sorte d’assurer un maximum de publicité à tout ce qui se passerait ici – pas quelques journalistes faciles à réduire au silence, mais des chaînes couvrant le globe entier. Peu importent les détails techniques – ce qui importe c’est que, s’il y a de la bagarre ici, elle sera enregistrée par trois chaînes de stéréovision. »
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