Aube posa son plateau, se leva et prit une pose qui lui rappela Jill plus que leur ressemblance physique ne le justifiait, puis il se souvint que c’était ainsi que Jill était révélée comme Ève – Mère Ève, comme ils disaient.
Jill lui dit, la bouche pleine : « Tu vois, Ben ? C’est moi. »
Aube sourit. « Il y a tout juste un cheveu de différence, Gillian.
— Peuh. Je regrette presque que nous n’ayons pas le même visage. Tu sais, Ben, c’est très pratique que nous nous ressemblions : il nous faut deux Grandes Prêtresses, ce n’est pas de trop pour soutenir le rythme de Mike. Sans compter, ajouta-t-elle, que lorsque Aube achète une robe, elle me va. Cela m’évite d’aller dans les magasins.
— Je n’étais pas certain, dit Ben songeusement, que vous portiez des vêtements, à part ces robes de prêtresses. »
Jill parut surprise. « Comment pourrions-nous aller danser avec ça ? C’est notre façon favorite de nous passer de dormir. Assieds-toi et finis de manger ; Ben nous a assez regardées. Tu sais, Ben, un des membres du groupe de transition est un danseur absolument divin, et la ville est pleine de boîtes de nuit. Aube et moi le tenons éveillé si souvent que nous devons l’aider à ne pas s’endormir pendant les cours de langue. Mais il ne faut pas s’inquiéter : à partir du Huitième Cercle, on n’a plus guère besoin de sommeil. Qu’est-ce qui t’a fait croire que nous ne nous habillions jamais, Ben chéri ?
— Euh…» Ben finit par lui exposer son dilemme.
Jill ouvrit de grands yeux, eut un petit rire bête, mais s’arrêta instantanément. « Je vois. Ben chéri, j’ai mis cette robe parce que je dois filer dès que j’aurais avalé ça. Si j’avais gnoqué que cela te troublerait, je l’aurais ôtée avant même de te sauter au cou. Nous sommes tellement habitués à nous habiller ou pas selon ce que nous avons à faire que j’avais complètement oublié que cela pouvait paraître impoli. Mon adoré, fais exactement ce que tu préfères : garde ton slip, ou ôte-le.
— Oui, je…
— Mais ne te tracasse pas. » Jill sourit. « Cela me rappelle la première fois où Mike est allé sur une plage. Tu te souviens, Aube ?
— Je ne l’oublierai jamais !
— Tu sais comment est Mike. J’ai dû tout lui apprendre. Il ne comprit l’utilité des vêtements que le jour où il gnoqua, à sa grande surprise, que nous étions vulnérables à la chaleur et au froid. Pour les Martiens, la pudeur est inconnue, inconcevable. Mike ne gnoqua la valeur décorative des vêtements que lorsque nous dûmes choisir des costumes pour notre numéro de cirque.
« Il a toujours fait ce que je lui demandais, qu’il le gnoque ou pas. Tu ne peux pas imaginer combien de petites choses font de nous ce que nous sommes, mais nous mettons vingt ans à les apprendre ; Mike l’a pratiquement fait du jour au lendemain. Il a encore des lacunes, que nous nous efforçons tous de combler, sauf Patty, qui pense que tout ce que fait Mike est parfait. Il n’a pas encore fini de gnoquer les vêtements. Il gnoque qu’ils sont un mal qui sépare les gens, qui empêche l’amour de les rapprocher. Plus tard, il a gnoqué que l’on a besoin d’une barrière avec des étrangers. Mais pendant bien longtemps, Mike ne mettait des vêtements que lorsque je le lui disais.
« Et un jour, j’oubliai de le lui dire.
« Nous étions en Basse-Californie ; nous venions de faire, ou plutôt de refaire, la connaissance d’Aube. Mike et moi descendîmes pour la nuit dans un hôtel donnant sur la plage. Il avait tellement envie de gnoquer l’océan qu’il sortit le lendemain sans me réveiller, pour sa première rencontre avec la mer. « Pauvre Mike ! Il arriva sur la plage, rejeta son peignoir, et s’avança vers les vagues… pareil à un dieu grec, et tout aussi ignorant des conventions. Les bruits de l’émeute me tirèrent du lit, et je me précipitai pour lui éviter la prison. »
Le regard de Jill se perdit dans le vague. « Il a besoin de moi maintenant. Embrasse-moi vite, Ben. Nous nous reverrons demain matin.
— Cela durera toute la nuit ?
— Vraisemblablement. Cette classe de transition compte beaucoup d’élèves. » Elle se leva, attira Ben à elle.
Il l’enlaça. Un peu plus tard, elle dit, « Ben, Ben chéri… tu as dû prendre des leçons.
— Moi ? Je t’ai été absolument fidèle, à ma façon.
— Moi de même, Ben. Je ne me plains pas, mais je pense que Dorcas n’est pas pour rien dans tes progrès.
— C’est possible. Indiscrète !
— La classe peut attendre. Embrasse-moi encore. J’essaierai d’être Dorcas.
— Sois toi-même.
— Je ne peux pas faire autrement. Mike dit que Dorcas embrasse plus complètement – « gnoque davantage le baiser » – que nous toutes.
— Cesse de bavarder. »
Elle se tut, puis soupira. « Classe de transition, me voilà, resplendissante comme un ver luisant ! Prends bien soin de lui, Aube.
— Je n’y manquerai pas.
— Et dépêche-toi de l’embrasser ; tu verras ce que je veux dire !
— J’en ai bien l’intention.
— Ben, sois gentil et fais ce qu’Aube te dira. » Jill partit, sans se « hâter »… mais en courant.
Aube se glissa contre lui.
Jubal leva un sourcil. « Allez-vous me dire qu’à ce point, vous vous êtes dégonflé ?
— N’ayant pas le choix, j’ai… coopéré avec l’inévitable. »
Jubal hocha la tête. « Lorsqu’il est pris au piège, ce qu’un homme peut faire de mieux, c’est de conclure une paix négociée. »
« Vous savez, Jubal, continua Caxton, je ne vous aurais pas parlé d’Aube et de tout cela, si ce n’était pas nécessaire pour vous expliquer ce qui m’inquiète, chez eux tous… Duke, Aube, Jill, Mike lui-même et toutes ses autres victimes. Mike les fascine. Sa nouvelle personnalité est très forte. Il est trop suffisant, trop super-représentant de commerce, mais irrésistible. Aube aussi est irrésistible à sa façon. Au matin, j’en étais venu à penser que tout était parfait. Un peu étrange, mais fameux…»
Lorsque Ben Caxton se réveilla, il ne savait plus où il était. Il faisait sombre ; sous lui, une surface douce, mais qui n’était pas un lit.
La mémoire lui revint tumultueusement. Il se souvint clairement qu’à la fin il était allongé sur le sol moelleux du Temple Intérieur, bavardant calmement et à cœur ouvert avec Aube. Ils s’étaient baignés, avaient partagé l’eau, s’étaient rapprochés…
Il tâtonna frénétiquement autour de lui, sans rien trouver. « Aube ? »
Une faible lumière naquit. « Ici, Ben.
— Oh ! Je te croyais partie.
— Je ne voulais pas te réveiller. » Il fut brusquement désenchanté de voir qu’elle avait revêtu sa robe de cérémonie. « Je dois commencer le Service Extérieur du Lever du Soleil. Gillian n’est pas encore revenue. Il y a de nombreux élèves, comme elle te l’avait dit. »
Ses mots lui rappelèrent des choses qu’elle lui avait dites au début de la nuit… des choses qui l’avaient déprimé malgré ses explications patientes… doucement calmantes, et qui avaient fini par le convaincre. Il ne gnoquait pas encore tout, mais… oui, Jill était occupée à des rites… une tâche, un heureux devoir, qu’Aube s’était offerte à accomplir à sa place. Ben songea qu’il aurait dû regretter que Jill n’ait pas accepté…
Mais il ne regrettait rien. « Aube… Faut-il vraiment que tu partes ? » Il se leva lourdement, et la prit dans ses bras.
« Il le faut, Ben… Ben chéri. » Elle fondit dans ses bras.
— Maintenant ?
— Ce n’est jamais tellement pressé », dit-elle avec douceur. Plus aucune robe ne les séparait. Il était trop hébété pour se demander où elle était passée.
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