— Je me demandais s’il s’agissait de la même. Il y a très peu de femmes entièrement tatouées. Mais celle que je connaissais, il y a trente ans de cela, avait l’horreur habituelle des serpents. Personnellement j’aime beaucoup ces animaux… et je serais très heureux de faire la connaissance de votre amie.
— Vous la verrez quand vous irez voir Mike. Elle lui sert plus ou moins de majordome. Patricia, mais appelez-la Pat ou Patty.
— Mais oui ! Jill l’a en très haute estime. Mais elle ne m’avait jamais parlé de ses tatouages.
— En fait, il pourrait s’agir de votre amie, Jubal. Je l’ai appelée « môme », mais il s’agissait d’une première impression. Elle parait vingt ans, mais affirme que c’est l’âge de son fils aîné. En tout cas, elle trottina vers moi, me mit les bras autour du cou, et m’embrassa en me disant : « Tu es Ben ! Bienvenue, mon frère. Je t’offre de l’eau. »
— Elle en était déjà au tutoiement ?
— Ils se tutoient tous là-dedans. Ah ! Jubal, cela fait des années que je suis journaliste, et j’en ai vu de toutes les couleurs, mais je n’avais jamais été embrassée par une fille inconnue vêtue en tout et pour tout de ses tatouages. J’étais embarrassé.
— Pauvre Ben.
— Vous l’auriez été aussi.
— Non. N’oubliez pas que je connaissais une dame tatouée. Elles se sentent habillées dans leurs tatouages. C’était en tout cas vrai pour mon amie Sadako. Elle était japonaise. Mais il faut dire que les Japonais n’ont pas comme nous conscience de leur corps.
— Pat non plus n’est pas consciente de son corps… mais elle l’est de ses tatouages. Lorsqu’elle mourra, elle veut se faire empailler, en hommage à Georges.
— Georges ?
— Désolé. Son mari. Il est au ciel, à mon grand soulagement, bien qu’elle en parle comme s’il venait de sortir pour aller boire un demi. Mais au fond, Pat est une grande dame… et elle ne m’a pas laissé longtemps dans mon embarras. »
Patricia Paiwonski avait donné le baiser de la fraternité à Ben Caxton avant qu’il ne sache ce qui lui arrivait. Elle sentit sa gêne et en fut surprise. Michaël lui avait dit qu’il devait venir et lui avait fait voir son visage en esprit. Elle savait que Ben était un frère dans le plein sens du mot, un membre du Nid Intérieur, et que seul Michaël était plus proche de Jill que lui.
Mais Patricia était toute entière possédée du désir de rendre les autres aussi heureux qu’elle-même. Elle fit marche arrière, et invita Ben à se déshabiller, mais sans insister, sauf toutefois pour les chaussures. Le Nid était douillet, et d’une propreté méticuleuse – grâce aux pouvoirs de Michaël.
Elle lui montra où suspendre ses vêtements et alla lui chercher quelque chose à boire. Le pauvre chéri paraissait bien fatigué. Connaissant ses préférences par Jill, elle revint avec un double martini. Ben était pieds nus et avait ôté sa veste. « Frère, puisses-tu ne jamais avoir soif.
— Nous partageons l’eau, dit-il, et but. Quoique ceci en contienne fort peu !
— Suffisamment, répondit-elle. Michaël dit qu’il suffit que l’eau soit dans la pensée. C’est le partage qui importe. Je gnoque qu’il dit vrai.
— Je gnoque. Ah ! Exactement ce qu’il me fallait. Merci, Patty.
— Ce qui est à nous est à toi, et ce qui est à toi est à nous. Nous sommes heureux que tu sois rentré chez toi. Les autres prêchent ou enseignent. Ils viendront lorsque l’attente sera accomplie. Veux-tu que je te montre ton nid ? »
Ben la suivit : une immense cuisine avec un bar bien fourni, une bibliothèque plus riche encore que celle de Jubal, de somptueuses salles de bains, des chambres à coucher… Ben conclut du moins qu’elles servaient à cette fin bien qu’il n’y eût pas de lits, mais le plancher y était encore plus moelleux que partout ailleurs. Patty les appelait « petits nids » et lui montra celle où elle dormait habituellement.
Un des murs avait été évidé pour faire place à ses serpents. Arrivé aux cobras, Ben ne put plus cacher sa répugnance. « Il n’y a rien à craindre, lui affirma-t-elle. Nous avions mis du verre, mais Mike leur a appris à ne pas dépasser cette ligne.
— J’aurais plus confiance en du verre.
— Comme tu voudras, Ben. » Elle abaissa une cloison protectrice. Ainsi tranquillisé, Ben alla même jusqu’à caresser Gueule de Miel lorsqu’elle l’invita à le faire. Pat lui montra ensuite une autre pièce, de forme circulaire, très grande et dans le centre de laquelle se trouvait une piscine également ronde. « Ceci, lui dit-elle, est le Temple Intérieur, où nous recevons les nouveaux frères dans notre Nid. » Elle plongea ses orteils dans l’eau. « Tu veux partager l’eau pour nous rapprocher ? Ou bien simplement nager ? »
Ben déclina l’honneur.
« L’attente est bonne », agréa-t-elle. Ils revinrent au living et Patricia alla remplir leurs verres. Ben s’installa sur un divan… et se releva presque aussitôt. Il faisait chaud, le cocktail lui avait donné encore plus chaud, et le divan moelleux qui s’ajustait à ses contours, encore davantage. Il décida qu’il était stupide de rester habillé comme à Washington, alors que Patty n’avait sur elle qu’un petit serpent qu’elle avait gardé autour de ses épaules.
Il opta pour un compromis, ne gardant que son slip, et alla accrocher tout le reste dans l’entrée. Il remarqua un écriteau sur la porte : Avez-vous pensé à vous habiller ? L’avertissement n’était sans doute pas superflu. Il vit aussi une autre chose qu’il n’avait pas remarquée en arrivant : de chaque côté de la porte était disposée une grande coupe de cuivre, débordant de billets de banque…
Débordant littéralement : le sol était jonché de billets de diverses couleurs.
Il les regardait toujours lorsque Patricia revint. « Tiens, frère Ben, dit-elle en lui tendant son verre. Que le Bonheur nous rapproche.
— Ah oui… merci. » Ses yeux se tournèrent de nouveau vers l’argent.
Elle suivit son regard. « Oh, je suis une maîtresse de maison bien négligente, mais Mike nous facilite tellement la besogne…» Elle se baissa pour ramasser les billets et les fourra dans la moins pleine des deux coupes.
« À quoi est-ce que cela sert, Patty ?
— Ça ? Nous le laissons ici parce que cette porte donne sur la rue. Si l’un de nous quitte le Nid – cela m’arrive quotidiennement pour faire les courses –, il peut avoir besoin d’argent. Comme cela, il ne risque pas d’oublier.
— On en prend une poignée et on s’en va, comme ça ?
— Mais bien sûr, voyons… Oh, je vois ce que tu veux dire. Il n’y a jamais que nous ici. Si nous avons des amis venus du dehors, ce qui nous arrive souvent, nous les logeons plus bas, dans des chambres conventionnelles. Aucun de ceux qui pourraient être tentés ne vient jusqu’ici.
— Je ne pense pas être à l’abri de la tentation ! »
Cela la fit rire. « Comment cela pourrait-il te tenter, puisque c’est à toi ?
— Euh… évidemment, oui. Et les cambrioleurs ? » Il essaya d’estimer le contenu des deux coupes… ciel, un billet qu’elle avait négligé de ramasser avait trois zéros ! Il renonça.
« Il y en a eu un la semaine dernière.
— Ah oui ? Et combien a-t-il volé ?
— Rien. Michaël l’a renvoyé.
— Il a appelé la police ?
— Oh non, Mike ne remettrait jamais quelqu’un aux poulets. Il l’a simplement…» Elle haussa les épaules… « fait partir. Duke a dû réparer le trou qu’il avait percé dans le plafond du jardin intérieur. Je ne te l’ai pas montré ? Merveilleux, avec un tapis d’herbe… je sais que tu en as un chez toi, Jill me l’a dit. C’est là que Michaël en a vu pour la première fois. Il y en a partout ?
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