— Et laquelle va se marier ?
— Quelle question ! L’heureux élu est ce docte réfugié d’une tempête de sable, notre estimé frère d’eau Mahmoud. Je les ai invités à venir vivre ici chaque fois qu’ils seront dans le pays. J’espère qu’ils le feront. J’arriverai sans doute à la faire travailler un peu.
— Certainement. Elle aime travailler. Et les deux autres attendent un enfant ?
— Aucun doute n’est permis. Je rafraîchis mes connaissances en obstétrique parce qu’elles veulent les avoir ici. Mon pauvre travail ! Mais pourquoi présumez-vous qu’aucun de ces deux ventres n’appartient à la future ?
— Je pensais que le sens des conventions de Mahmoud, et en tout cas sa prudence…
— Il n’aurait pas eu droit à la parole. Depuis le temps que j’essaie de suivre les méandres de leurs petits esprits retors, j’ai compris une seule chose, c’est que quand une fille veut, elle veut. Tout ce qu’un homme peut faire, c’est de coopérer avec l’inévitable.
— Mais alors… laquelle n’est ni fiancée ni enceinte ? Myriam ? Anne ?
— Doucement. Je n’ai jamais dit que la fiancée attendait un enfant… et vous semblez penser que c’est Dorcas qui va se marier. Non. C’est Myriam qui étudie l’arabe.
— Hein ? Que le diable m’emporte !
— Cela viendra, n’ayez crainte.
— Mais Myriam était toujours comme chien et chat avec Mahmoud…
— Et ils vous confient une colonne dans un journal… Vous n’avez jamais vu des adolescents s’amuser ?
— Oui, mais… c’est tout juste si Dorcas n’a pas fait la danse du ventre en son honneur.
— Dorcas est toujours comme cela. Mais surtout, lorsque Myriam vous montrera sa bague – de la grosseur d’un œuf de biset et encore plus rare –, feignez la surprise. Et du diable si je sais lesquelles attendent un gosse ou pas. Mais souvenez-vous qu’elles en sont heureuses. Ne vous imaginez surtout pas qu’elles se sont laissé « prendre ». Non. Elles le voulaient. Elles aiment ça. » Jubal soupira. « Je suis trop vieux pour aimer le babil de leurs petites voix, mais je me refuse à perdre des secrétaires parfaites, et des adorables gosses que j’aime. Je ferai tout pour les convaincre de rester. Depuis le jour où Jill a fait la conquête de Mike, le désordre va de pis en pis. Pas que je la blâme d’ailleurs… et vous non plus, je pense ?
— Non, mais… Jubal, croyez-vous vraiment que ce soit Jill qui ait tout commencé ?
— Hein ? Qui d’autre, alors ?
— Peu importe, mais Jill m’avait remis les idées en place lorsque j’étais arrivé à la même conclusion. Si j’ai bien compris, la première fut plus ou moins une question de hasard.
— Hum… Je le crois volontiers.
— Jill pense que Mike a eu de la chance en séduisant – ou en étant séduit par – celle qui était la plus apte à lui faire prendre un bon départ. Ce qui vous donne une bonne indication, si vous savez comment fonctionne l’esprit de Jill.
— Je ne sais même pas comment fonctionne le mien ! Quant à Jill… aussi amoureuse qu’elle soit, je n’aurais jamais cru qu’elle se mettrait à prêcher. Non, je ne comprends définitivement pas comment son esprit fonctionne.
— Elle ne prêche pas beaucoup, d’ailleurs – mais nous en reparlerons. Que vous dit le calendrier, Jubal ?
— Comment ?
— Pensez-vous que dans les deux cas se soit Mike, si les dates de ses visites correspondent ?
— Je n’ai rien dit qui puisse vous faire penser cela, dit Jubal prudemment.
— Et comment donc ! Vous m’avez dit qu’elles étaient heureuses. Je sais quel effet ce damné surhomme fait aux femmes.
— N’oubliez pas que nous sommes frères d’eau.
— Je ne l’oublie pas… et cela me fait comprendre d’autant mieux pourquoi elles sont si heureuses. »
Jubal se plongea dans son verre. « Ben, il me semble que vous seriez encore mieux placé que Mike sur cette liste.
— Comment !
— Allons, allons. Je n’ai pas l’habitude de mettre mon nez dans les affaires des autres, mais j’ai une vue et une ouïe normale ; quand une fanfare parade à travers ma maison, je le remarque. Vous avez dormi au moins une douzaine de fois sous ce toit. Avez-vous jamais dormi seul ?
— Ignoble individu ! Oui, j’ai dormi seul la première fois.
— Dorcas devait être rassasiée. Mais non ! Vous étiez bourré de somnifères – cela ne compte donc pas. Une des autres nuits ?
— Votre question est hors de propos, sans intérêt et indigne de ma considération.
— Cette réponse en vaut une autre. Vous remarquerez que les nouvelles chambres à coucher sont aussi éloignées de la mienne que possible. L’insonorisation n’est jamais parfaite.
— Dites donc, Jubal, votre nom ne serait-il pas encore mieux placé sur cette liste ?
— Quoi ?
— Sans même parler de Larry et de Duke. Tout le monde croit que vous possédez le plus luxueux harem depuis qu’il n’y a plus de sultans. Non, non, ne me comprenez pas mal ; ils vous envient. Mais ils vous considèrent quand même comme un vieux bouc libidineux.
— Ben, dit Jubal en tapotant le bras de son fauteuil, j’accepte d’être traité avec désinvolture par mes cadets, mais sur ce sujet, j’exige le respect dû à mon âge.
— Désolé, dit Ben sèchement. Je pensais que, puisque vous n’hésitiez pas à exposer ma vie sexuelle, vous ne m’en voudriez pas d’être aussi franc en ce qui vous concerne.
— Mais non, Ben, vous m’avez mal compris. C’est de la part des filles que j’exige d’être traité avec le respect qui convient à mon âge – sur ce sujet.
— Oh !
— Comme vous l’avez fait remarquer, je suis vieux. Très vieux. Je suis heureux de dire que je suis toujours sensible à la lubricité, mais elle ne me domine pas. Je préfère ma dignité à des passe-temps dont, croyez-moi, j’ai pleinement profité et que je n’ai pas besoin de répéter. Ben, un homme de mon âge, parvenu au pire stade de la décrépitude, peut entraîner une jeune femme au lit – et peut-être la satisfaire ; merci pour le compliment, il n’est peut-être pas superflu – par trois moyens : l’argent… son équivalent en termes de testament ou de droits de propriété, ou… Non, d’abord une question : pouvez-vous imaginer une de ces quatre filles coucher avec un homme pour ces raisons-là ?
— Non. Aucune d’entre elles.
— Merci, monsieur. Je suis heureux que vous vous soyez rendu compte que je ne fréquente que des dames du meilleur monde. La troisième raison est typiquement féminine. Une douce jeune femme va parfois au lit avec une vieille ruine parce qu’elle l’aime beaucoup, qu’elle a pitié de lui et veut le rendre heureux. Cela serait-il plus conforme ?
— Euh… je pense, Jubal, oui. Avec n’importe laquelle.
— Je le pense aussi. Mais cette raison qui suffirait peut-être à ces dames ne me suffit pas, à moi. J’ai ma dignité. Ayez la bonté de rayer mon nom de la liste. »
Caxton sourit. « D’accord, mon inflexible ami. J’espère que je serais moins difficile à tenter lorsque j’aurai votre âge. »
Jubal sourit. « Mieux vaut être tenté et résister qu’être déçu ensuite. Quant à Duke et Larry… je ne sais rien et ne tiens pas à le savoir. Lorsque quelqu’un vient vivre ici, je lui explique clairement que ce n’est ni une caserne ni un bordel, mais un home, et que, en tant que tel, il combine l’anarchie et la tyrannie, sans la moindre trace de démocratie, comme dans toute famille bien menée ; ils sont libres, sauf quand je donne des ordres, qui ne sont pas sujets à discussion. Ma tyrannie ne s’étend jamais jusqu’à la vie amoureuse, et les gosses ont toujours eu une vie privée raisonnablement secrète. Du moins…» Jubal eut un sourire mélancolique. «… jusqu’à ce que l’influence martienne ne soit devenue incontrôlable. Peut-être Duke et Larry ont-ils entraîné les filles derrière tous les buissons du parc… je n’ai en tout cas jamais entendu de cris.
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