Robert Heinlein - Job - une comédie de justice

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Promis à une brillante carrière militaire lorsqu’une grave maladie l’obligea à y renoncer en 1934, il est devenu un des auteurs les plus prolifiques de notre époque. Qui donc se mêle de bouleverser ainsi la vie du pasteur Alex Hergensheimer alors qu’il regagne son cher Kansas après un long voyage ? Dieu ou Satan ?
Tout commence par un épisode de très païenne magie lors d’une escale en Polynésie…
Et quand il se retrouve à bord, l’honorable pasteur découvre que tout a changé, y compris lui-même : pour ses compagnons, il est Alec Graham, homme d’affaires, et pour Margrethe, la jolie stewardess, un parfait amant ! Plus dangereux encore : il se retrouve à la tête d’un million de dollars fort mal acquis.
Quant au temps historique, là, c’est le total chamboulement. Dans quel passé… ou quel futur est-il ?
Sentant se perdre son identité et son âme, Alex s’affole, craint l’approche de quelque Armaguedon…

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Le commandant Hansen demanda alors à l’hôtesse de disposer des sièges supplémentaires autour de la table pour Forsyth et les autres, mais tous trois protestèrent, arguant que leurs épouses respectives, ainsi que leurs compagnons de table, les attendaient. En outre, il n’y avait pas assez de place pour tous. Ces arguments devaient être peu convaincants pour le commandant : un Viking, grand comme une maison. Avec un marteau à la main, il aurait aisément pu passer pour Thor. Il a des muscles là où la plupart des hommes n’ont rien, absolument rien. Discuter avec lui risque de poser un sérieux problème.

Mais il accepta avec jovialité un compromis. Les trois hommes pouvaient regagner leurs tables pour dîner mais, auparavant, ils devaient rendre grâce, avec lui et avec moi, à Shadrak, Meshak et Abed Nego [6] Condamnés par Nabuchodonosor à être jetés dans la fournaise de feu ardent (Livre de Daniel), ils en réchappèrent. ( N.d.T. ) , les anges gardiens de ce bon camarade Alec. En vérité, c’était toute la table qui devait participer.

— Steward ! lança-t-il.

Et nous avons fait Skaal ! encore trois fois en arrosant à chaque fois nos amygdales d’antigel danois. Avez-vous fait le compte ? Nous en sommes à sept, je crois. Vous pouvez arrêter là, parce que c’est là que j’ai cessé moi aussi de tenir le compte. Je me sentais gagné par la même apathie que j’avais éprouvée au milieu de la fosse ardente.

Le steward avait servi à nouveau du champagne sur un simple signe du commandant. C’était à mon tour de porter un toast, je retournai le compliment aux trois autres avant de me joindre à un toast général au commandant Hansen, puis à un autre dédié à ce brave Konge Knut .

Le commandant leva ensuite son verre aux Etats-Unis et tous les convives se dressèrent pour se joindre à nous. Je ne pus faire autrement que de porter un toast à la reine du Danemark, toast auquel on répondit. Après quoi le commandant me demanda de prononcer un petit discours.

— Dites-nous comment c’était dans cette atroce fournaise !

Je voulus refuser mais, de toutes parts, on se mit à crier : Un discours ! Un discours !

Je me redressai avec quelque difficulté et essayai de me rappeler le discours que j’avais prononcé au dernier dîner des bonnes œuvres des missions étrangères. Mais pas un mot ne me revenait. Finalement, je me jetai à l’eau…

— Eh bien, je vais vous dire, c’était pas rien ! Mais vous pouvez y arriver aussi, si vous appuyez votre oreille contre terre, si vous vous y mettez tout de suite et si vous regardez le ciel bien en face ! Merci, merci à tous, et je vous invite chez moi la prochaine fois.

Toute la salle applaudit et il fallut encore porter d’autres Skaal , je ne sais plus pourquoi, et la dame qui se trouvait à la gauche du commandant se leva et vint m’embrasser pendant que toutes les autres s’agglutinaient autour de nous et m’embrassaient aussi. Cela parut inspirer les autres dames dans toute la salle car il ne tarda pas à se former une procession. Elles voulaient toutes m’embrasser et, par la même occasion, elles embrassaient le commandant. A moins que ce ne fût le contraire.

C’est pendant cette parade qu’on enleva le steak qui avait été posé dans mon assiette. J’avais fait le projet de le manger mais je ne le regrettais pas trop, troublé que j’étais par toutes ces embrassades, un peu comme je l’avais été par les femmes du village après ma traversée du feu.

Je crois que mon trouble avait commencé, à vrai dire, dès que j’avais passé le seuil de la salle à manger. Je formulerais mon impression ainsi : les femelles présentes, mes compagnes de croisière, étaient toutes dignes de la National Geographic Review .

Oui. Tout à fait. Ce qu’elles portaient leur donnait l’air d’être encore plus dénudées, ou presque, que mes amies du village. Je ne vous décrirai pas leurs « robes de soirée », car je ne suis pas sûr que je le pourrais… ni même que je le devrais. Je suis même certain que je ne devrais pas. Mais aucune desdites robes ne couvrait plus de vingt pour cent de ce que les dames, dans mon monde à moi, dissimulaient lors des réceptions de fête. Je ne parle que de ce qui se trouve au-dessus de la taille, bien entendu. Les jupes étaient longues, allant même jusqu’au sol, mais elles étaient néanmoins coupées, ou découpées, de surprenante façon.

Certaines des dames présentes portaient un vêtement par-dessus leur robe. Une sorte de manteau qui couvrait presque tout… mais il était fait d’un tissu transparent comme du verre. Ou peu s’en fallait.

Quelques-unes des plus jeunes, des jeunes filles à vrai dire, étaient sorties des pages de la National Geographic , exactement comme les filles du village. Pourtant, elles ne semblaient pas aussi impudiques que leurs aînées.

J’avais remarqué tout cela presque à la seconde où j’avais mis le pied dans la salle. Mais je m’étais efforcé de ne pas regarder, et le commandant et les autres m’avaient à ce point accaparé dès le départ que je n’avais pas eu le temps de risquer le moindre regard sur ces tenues incroyablement indécentes. Mais, comprenez-vous, lorsqu’une dame s’avance, met les bras autour de votre cou et demande instamment à ce que vous l’embrassiez, il est plutôt difficile de ne pas remarquer qu’elle risque la pneumonie avec ce qu’elle porte sur le dos. Sans parler de toutes sortes d’autres malaises des bronches.

Mais, malgré la léthargie et l’étourdissement que j’éprouvais, je réussis à me contenir.

Néanmoins, la nudité des corps ne me choqua pas autant que la crudité des mots. De toute ma vie, j’avais rarement entendu pratiquer pareil langage en public… et guère souvent en privé, même entre hommes. Je dis : des « hommes » parce que des gentlemen ne s’expriment jamais ainsi dans le monde que je connais, même s’il y a des dames présentes.

La chose la plus choquante qui me soit advenue dans ma jeunesse, c’est un jour où, traversant le square de notre ville, je vis la foule rassemblée devant le palais de justice. M’approchant pour voir ce qui se passait… je découvris mon chef de patrouille scout au pilori. Je faillis m’évanouir.

Le délit qu’il avait commis était d’avoir usé d’un langage profane, si j’en crois l’écriteau qu’il portait autour du cou. L’accusatrice était sa propre femme. Il ne l’avait pas démentie et s’était remis de lui-même à la clémence du tribunal. Mais le juge était Deacon Brumby, qui n’avait jamais entendu parler de clémence.

M. Kirk, mon chef de patrouille, quitta la ville deux semaines après, et nul ne le revit jamais. C’est ce qui se passait en général lorsqu’un homme avait été cloué au pilori. Je n’ai jamais su quel mauvais langage M. Kirk avait pu employer, mais ce ne devait pas être si grave que ça puisque tout ce que lui infligea Deacon Brumby fut une nuit de pilori, du crépuscule à l’aurore.

Ce soir-là, à la table du commandant, dans la salle à manger du Konge Knut , j’entendis une dame très douce, du genre bonne grand-mère, s’adresser à son époux en utilisant plusieurs mots interdits allant du blasphème à certaines descriptions d’actes sexuels criminels. Eût-elle parlé ainsi dans ma ville natale qu’elle aurait encouru la plus longue peine de pilori qui soit, avant d’être chassée de la ville. (Sans toutefois être enduite de goudron et de plumes, usage que nous considérons comme brutal.)

Pourtant, on ne réprimanda même pas cette charmante dame. Son époux se contenta de sourire et lui affirma qu’elle s’inquiétait trop.

Pris entre ces tenues indécentes, ce parler choquant et les effets de deux potions aussi étranges que traîtresses et généreusement administrées, j’étais totalement perdu. Etranger en terre étrangère, j’étais terrassé par des coutumes aussi nouvelles pour moi que scandaleuses.

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