— Pour toujours ! Pour toujours ! Avec Notre Seigneur dans les cieux !
— Alléluia !
— Béni soit Son Nom !
— Amen ! Amen !
(Je m’aperçus que j’étais au nombre de ceux qui criaient amen !)
— Mais il y a un prix à payer. Il n’existe pas de passage gratuit pour le Paradis. Que se passe-t-il si vous ne demandez pas à Jésus de vous aider ? Si vous ignorez l’offre qu’il vous fait de vous laver de tous vos péchés et d’être baptisé et de renaître par le sang de l’agneau ? Oui, que se passe-t-il alors ? Dites-le-moi ?
L’assistance tout entière suspendait son souffle. Et puis, une voix s’éleva dans le fond : L’enfer !
— L’enfer et la damnation ! Non pas pour quelque temps mais pour l’éternité ! Non pas un feu allégorique, mystique, qui ne brûle que votre esprit et vous effleure à peine, comme un pétard de Quatre Juillet. Non, non… Le feu pour de vrai, la fournaise ardente, aussi réelle que ça ! (Frère Barnaby frappa sur son pupitre, produisant un craquement qui se propagea dans toute la tente.) Un feu qui porte les pierres au rouge, puis au blanc. Et c’est vous, les pécheurs, qui êtes plongés dans ce feu, et l’atroce douleur monte, monte en vous, encore et encore, et jamais ne diminue, jamais ! Il n’y a pas d’espoir pour vous. Inutile d’invoquer une deuxième chance. Car vous l’avez eue, cette deuxième chance… vous en avez eu un million. Et plus encore. Durant deux mille années, le doux Jésus vous l’a demandé, Il vous a supplié d’accepter de Lui ce pour quoi Il était mort sur la croix. Ainsi donc, lorsque vous irez rôtir dans le puits ardent, quand vous étoufferez dans les fumées de soufre – du soufre ordinaire, mes sœurs et mes frères, piquant, puant, qui vous déchirera les poumons et écorchera votre peau ! –, quand vous grillerez pour tous les péchés que vous avez commis, ne venez pas gémir et vous plaindre, et dire que vous ignoriez que ce serait aussi affreux. Jésus connaît tout de la souffrance car Il est mort sur la croix. Il est mort pour vous. Mais vous ne L’avez pas écouté et vous êtes maintenant dans le puits et vous gémissez. Et vous y resterez et vous brûlerez dans l’éternité ! Et vos plaintes ne pourront être entendues car elles se confondront avec les cris des milliards d’autres pécheurs !
La voix de frère Barnaby baissa soudain d’un ton et il ajouta sur le ton de la conversation :
— Vous tenez vraiment à brûler dans le puits ?
— Non !
— Jamais !
— Jésus, sauvez-nous !
— Jésus vous sauvera, si vous le Lui demandez. Ceux qui meurent selon le Christ sont sauvés, nous l’avons lu dans le Livre. Ceux qui seront vivants quand Il reviendra seront sauvés s’ils ont reçu le baptême et restent en état de grâce. Il nous a promis qu’il reviendrait et que Satan serait à nouveau enchaîné pendant mille années tandis que Notre Seigneur régnerait dans la paix et la justice sur cette terre. C’est le millénium, amis, le grand jour approche. Après ces mille années, Satan sera libre pour un temps encore et la bataille finale sera livrée. Ce sera la guerre dans les cieux. L’archange Michel sera notre général et conduira les anges du Seigneur contre le dragon – Satan, une fois encore – et son armée d’anges déchus. Et Satan perdra, dans mille ans. Et jamais plus on ne le verra dans les cieux. Mais ce sera dans mille ans d’ici, chers amis. Vous le verrez car vous vivrez… Si vous acceptez Jésus et le baptême avant que la trompette ne résonne pour annoncer Son retour. Pour quand cela sera-t-il ? Bientôt, bientôt ! Que dit le Livre ? Dans la Bible, Dieu dit plusieurs fois, dans Isaïe, dans Daniel, dans Ezéchiel, dans chacun des quatre Evangiles, que l’on ne vous dira pas l’heure exacte de Son retour. Pourquoi ? Pour que vous ne puissiez cacher la saleté sous le tapis, voilà pourquoi ! S’il vous disait qu’il va revenir pour le nouvel an de l’année deux mille de Son règne, il y en aurait pour passer les cinq ans et demi qui restent à frayer avec des femmes luxurieuses, à adorer des idoles étranges, à violer chacun des Dix Commandements. Et puis, dans la semaine de Noël de l’an 1999, vous les retrouveriez à l’église, pleurant leur repentir, essayant de négocier leur salut. Non, messieurs ! Pas question ! Pas de compromis ! Le prix est le même pour tous. Le cri et la trompette ne se feront peut-être pas entendre avant des mois… ou bien ils résonneront avant que j’aie fini mon discours. C’est à vous d’être prêts pour cet instant. Mais nous savons qu’il approche. Comment ? Une fois encore, c’est dans le Livre. Il y a des signes et des présages. Le premier, sans lequel le reste ne saurait se produire, c’est le retour des enfants d’Israël à la Terre promise – voyez Ezéchiel, Matthieu, lisez les journaux. Ils reconstruisent le temple… c’est chose faite, c’est écrit dans le Kansas City Star . Il y a d’autres signes et d’autres présages encore, des prodiges de toutes sortes, mais les plus grands sont des tribulations, des épreuves destinées à donner la mesure des âmes, pareilles à celles que Job a connues. Peut-il y avoir meilleur terme pour décrire le vingtième siècle que celui de « tribulations » ? Des guerres, des terroristes, des assassinats, des incendies, des épidémies. Et des guerres, toujours. Jamais au cours de son histoire l’humanité n’a été si durement éprouvée. Mais souffrez ce que Job a souffert et à la fin vous connaîtrez le bonheur et la paix éternels, la paix de Dieu, qui transcende toute compréhension. Il vous tend Sa main. Il vous aime. Il vous sauvera.
Frère Barnaby se tut et s’essuya le front avec un grand mouchoir déjà humide de sueur. Le chœur (obéissant peut-être à quelque signal) se mit à chanter doucement :
— Nous nous rassemblerons près de la rivière, la belle, la merveilleuse rivière, qui coule vers le trône de Dieu . (Puis enchaîna avec :) Me voici, sans une plainte .
Frère Barnaby mit un genou à terre et tendit les bras.
— Je vous en prie ! N’allez-vous pas Lui répondre ? Venez, acceptez Jésus, laissez-Le vous prendre dans Ses bras.
Le chœur continuait doucement :
Car Il a donné Son sang pour moi,
Et Il m’a dit de venir à Lui,
O Agneau de Dieu ! me voici, me voici !
Et je sentis descendre le Saint-Esprit.
Je Le sentis me dominer et toute la joie de Jésus inonda mon cœur. Je me levai et m’avançai dans l’allée. C’est alors seulement que je me souvins que Margrethe était avec moi. Je me retournai et rencontrai son regard. Ses yeux étaient à la fois graves et doux.
— Viens, ma chérie, lui murmurai-je en l’entraînant avec moi.
Ensemble, nous nous avançâmes vers Dieu, marchant dans la sciure. D’autres nous précédaient. Ils avaient déjà atteint le chancel. Je trouvai une place, repoussai quelques béquilles et un bandage et m’agenouillai, la main droite posée sur le chancel. J’y appuyai mon front sans lâcher une seconde la main de Margrethe. Je priai Jésus afin qu’il nous lave de nos péchés et nous reçoive dans Ses bras.
L’un des assistants de frère Barnaby murmura à mon oreille :
— Et toi, mon frère, où en es-tu ?
— Je suis bien, dis-je avec joie, de même que mon épouse. Aidez ceux qui en ont besoin.
— Sois béni, mon frère.
Il s’éloigna. Un peu plus loin, une sœur écrivait et parlait en même temps. Il s’arrêta pour la réconforter.
Je courbai de nouveau la tête, puis je pris conscience des hennissements effrayés des chevaux. En même temps, la toile de la tente battait comme sous l’effet d’un vent furieux. Levant les yeux, je vis une déchirure qui s’agrandissait. La toile fut brusquement arrachée. Le sol se mit à trembler et le ciel était sombre.
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