— Désolé, chéri, fit Katie. Les jeunes sont venus danser ici. (Elle s’est précipitée vers la gauche et a disparu dans un groupe de sculptures.) Qu’est-ce que tu veux, Jerry ?
— Eh bien… Remington numéro deux [23] Frederic Remington (1861–1909), peintre et sculpteur américain, célèbre pour ses scènes de la vie du Far West. ( N.d.T. )
.
— Tout de suite.
Tout à coup, les personnages obscènes disparurent, le plafond s’abaissa brusquement pour se transformer en une structure de poutres et de plâtre. Un mur se changea en une large baie ouverte sur des montagnes qui appartenaient à l’évidence à l’Utah et non au Texas. Quant au mur opposé, il comportait à présent une cheminée de pierre massive où crépitait un bon feu. Les meubles étaient maintenant de ce style qu’on appelle parfois « colonial » et le sol dallé était couvert de tapis de style amérindien.
— C’est mieux comme ça. Merci, Katherine. Asseyez-vous, mes amis. Là où vous voudrez.
Je m’assis en évitant soigneusement le fauteuil du « pater familias », massif et recouvert de cuir. Katie et Marga se partagèrent un sofa tandis que Jerry s’installait dans le fauteuil du maître.
— Mon amour, que veux-tu boire ?
— Soda et campari, si tu veux bien.
— Chochotte. Et vous, Margie ?
— La même chose, je crois.
— Deux chochottes. Alec ?
— Je crois que je vais suivre ces dames.
— Fiston, je veux bien tolérer ça de la part du sexe faible. Mais pas d’un homme adulte. Dites-moi autre chose.
— Euh… Scotch et soda.
— Si j’avais un cheval, j’irais chercher mon fouet. Mon vieux, il vous reste une dernière chance.
— Eh bien… Bourbon et eau plate ?
— Sauvé. Un Jack Daniels . L’autre jour, à Dallas, un type a essayé de commander du whisky irlandais . Ils l’ont viré de la ville. Et puis ils lui ont fait des excuses. C’était un Yankee et ce n’était pas sa faute s’il ne connaissait rien de mieux.
Pendant qu’il parlait, notre hôte n’avait cessé de tambouriner sur une petite table à hauteur de son coude. Il s’arrêta et, soudain, sur la table près de mon fauteuil apparut un flacon texan empli d’un liquide ambré et un verre d’eau. Je m’aperçus à cet instant que tous les autres avaient été servis. Jerry leva son verre.
— Salut ! Et vive les confédérés ! Katherine, ajouta-t-il tandis que nous buvions, sais-tu où est notre canaille ?
— Je pense qu’ils sont tous dans la piscine, chéri.
— Ah !
Jerry a repris son pianotement nerveux. Et brusquement, là, en l’air, juste devant notre hôte, une jeune femelle est apparue, assise sur un plongeoir qui venait du néant. Elle était baignée de soleil alors que toute la pièce était dans la pénombre. Des gouttelettes d’eau brillaient sur sa peau. Elle était face à Jerry, le dos tourné vers moi.
— Salut, gringalette !
— Hello, P’pa. Bisou.
— Bisou mon œil ! Ça remonte à quand, la dernière fessée que je t’ai donnée ?
— A l’anniversaire de mes neuf ans. J’avais mis le feu à tante Minnie. Et qu’est-ce que j’ai fait aujourd’hui ?
— Mais bon sang de bon Dieu de bonsoir, qu’est-ce qui t’a pris de laisser ce programme porno, vulgaire et obscène dans la pièce familiale ?
— Daddy joli, arrête ta musique. J’ai vu tes bouquins, tu sais.
— Ce que j’ai dans ma bibliothèque privée ne te regarde pas. Réponds seulement à ma question.
— J’ai oublié de le couper, P’pa. Excuse-moi.
— Oui, c’est ça. Comme pour tante Minnie ? Ecoute, chérie, tu sais que tu es parfaitement libre d’utiliser les contrôles à ta guise. Mais quand tu as terminé, essaie de remettre le programme comme il était avant. Et si tu ne le sais pas, remets-le sur zéro.
— Mais oui, P’pa. J’ai seulement oublié .
— Arrête de te tortiller comme ça. Je ne vais pas te bouffer. Mais bordel de Zeus, où est-ce que tu as piqué ton programme ?
— Sur le campus. C’est une bande d’instructions du cours de yoga tantrique.
— Le yoga tantrique ? Ma petite gazelle, tu n’as vraiment pas besoin de ce genre de cours. Est-ce que ta mère est au courant ?
— Je lui ai conseillé de le suivre, intervint Katie avec douceur. Sybil est douée, nous le savons toi et moi. Mais encore faut-il qu’elle soit guidée.
— Vraiment ? Mignonne, je ne me risquerai pas à discuter de ça avec ta mère, je vais donc me replier sur mes positions de défense. A propos de cette bande, comment es-tu tombée dessus ? Tu connais les lois sur le copyright et ni toi ni moi n’avons oublié tout ce cirque autour de l’affaire du Jefferson Starship …
— P’pa, tu es pire qu’un éléphant ! Tu n’oublies donc jamais rien ?
— Jamais. Pire encore, je te préviens que tout ce que tu dis pourra être porté par écrit et retenu contre toi, quels que soient le lieu et les circonstances. Qu’est-ce que tu en dis ?
— Je demande à voir mon avocat !
— Alors, c’est ça : tu as piraté ce programme !
— Ça t’arrangerait, hein ? Tu pourrais en profiter. Non, je suis désolée, P’pa, mais j’ai payé les droits d’accès au catalogue, comptant, en liquide, et c’est la bibliothèque du campus qui a réalisé la copie pour moi. Voilà, gros malin.
— Grosse maligne toi-même : tu as gaspillé ton argent.
— Je ne crois pas. Ça me plaît.
— Moi aussi. Mais tu as quand même fichu ton argent en l’air. Tu aurais dû me demander.
— Quoi ?
— Je t’ai bien eue, hein ? J’ai pensé d’abord que tu avais bricolé les serrures de mon bureau ou que tu leur avais jeté un sort. Je me réjouis donc d’apprendre que tu as fait une folie. Et à combien se monte-t-elle ?
— Euh… quarante-neuf dollars cinquante. Avec le rabais étudiant.
— Ça me paraît correct. J’ai payé le mien soixante-cinq. D’accord. Mais si c’est porté sur ta facture du semestre, je le déduirai de ton allocation. Autre chose, ma toute belle, j’ai ramené un monsieur et une dame à la maison. Je les ai fait entrer dans le salon. Enfin, dans ce qui est censé être le salon. Et les voilà qui se retrouvent devant tout le Kama-sutra en couleurs. Qu’est-ce que tu dis de ça ?
— Je ne l’ai pas fait exprès, tu le sais.
— Alors, oublions ça. Mais ce n’est jamais très courtois de choquer les gens, surtout si ce sont vos invités. Essaie d’être plus prudente la prochaine fois ! Est-ce que tu dîneras avec nous ?
— Oui. Si j’arrive à me libérer assez tôt et si je me dépêche. J’ai un rendez-vous, p’pa.
— Et tu comptes rester à la maison combien de temps ?
— Pas question. On a une réunion toute la nuit. On répète la Nuit de l’Eté [24] La nuit de la Saint-Jean, en fait. ( N.d.T. )
. On est treize cercles.
Il soupira.
— Je suppose que je devrais remercier les Trois Commères que tu prennes la pilule.
— La pilule ! Quel vieux chnoque ! P’pa, tu sais très bien que personne ne se fait jamais mettre enceinte à un sabbat. Tout le monde sait ça.
— Sauf moi. Eh bien, je te remercie quand même d’avoir la bonté de venir dîner avec nous.
Elle poussa soudain un cri perçant en tombant du plongeoir et l’image la suivit dans l’eau. Elle refit surface en suffoquant et en crachant.
— P’pa, tu m’as poussée !
— Comment peux-tu dire une chose pareille ? fit Jerry d’un ton plein de dignité.
L’image s’effaça brusquement.
Katie Farnsworth déclara d’un ton badin :
— Jerry essaie de se faire obéir de sa fille. C’est désespéré, selon moi. Je crois qu’il devrait coucher avec elle et défouler ses instincts incestueux. Mais ils sont tous les deux bien trop collet monté.
Читать дальше