« Qu’est-ce que tu en penses, Ab ? »
Le regard du vieil homme erra pendant quelques secondes sur le ciel, sur la plaine, sur le visage d’Ellula.
« Donner un nom à un monde, c’est le commencement des ennuis, marmonna-t-il. On s’bat toujours pour les noms. Apprenez à le connaître, aimez-le comme Ellula m’a aimé. » Il désigna la carcasse du grand vaisseau d’un mouvement de menton. « Et faites disparaître cette horreur, c’est tout ce que j’peux vous dire. »
Alors le Qval se fraya un passage entre Chara et Lulla et s’approcha d’Abzalon. Il crut entrevoir le visage de sa fille, Djema, dans la forme incertaine, opaque, qui se dressait devant lui.
« Tu es magnifique, papa. »
Sa voix avait changé mais il reconnaissait certaines de ses intonations. Un courant d’air froid lui lécha le visage, le même qui l’avait effleuré dans les galeries souterraines du pénitencier de Dœq.
« Elle a su me donner un peu de sa splendeur », murmura-t-il en désignant Ellula.
Il contourna Laed, dévala la passerelle, pivota sur lui-même avant de poser le pied sur le sol, dévisagea un à un les membres de sa famille.
« J’étais le démon de l’ancien monde, vous êtes les anges du nouveau. »
Ayant prononcé ces mots, il s’éloigna dans la plaine d’un pas alerte malgré la gravité.
Il marcha deux jours et deux nuits sans s’arrêter. Au matin du troisième jour, exténué, les bras tétanisés, il avisa une colline plantée au beau milieu de la plaine. Il percevait des soupirs, de petits cris et des grattements qui trahissaient la présence d’une ou de plusieurs espèces vivantes. Les herbes changeaient de couleur au crépuscule et à l’aube en émettant des soupirs musicaux. Parfois une bulle translucide s’élevait de l’océan végétal, flottait un long moment dans les airs avant de se pulvériser et de libérer une pluie de poussières et de parfums – des pollens, peut-être. Baigné d’une paix profonde, il gagna le sommet arrondi de la colline, posa délicatement le corps d’Ellula sur les herbes, se redressa et admira le paysage qui s’étendait sous ses yeux, la plaine jaune et ondulante, le ciel qui se teintait d’un voile mauve, la tache bleu-vert et scintillante d’une étendue d’eau dans le lointain, l’ombre déchiquetée d’un massif montagneux.
« Prends mes yeux, Lœllo ! cria-t-il de toutes ses forces. Et regarde le nouveau monde ! »
Il resta debout jusqu’à la tombée de la nuit. Puis, lorsque les ténèbres eurent enseveli couleurs et reliefs, il s’allongea près d’Ellula, recouvrit de ses gros doigts la main glacée de son épouse, ferma les yeux et s’éteignit.
FIN
Voici un exemple parfait de ce que j’appelle une hypothèse élégante. Quant à la Terre en question, plusieurs textes anciens mentionnent son existence. Il ne s’agirait pas d’une terre au sens d’un pays, d’une région ou d’un domaine, mais bel et bien d’une planète.
Ce dernier aurait donné son nom au satellite Vox mais je me souviens l’avoir aperçu orthographié de la sorte dans un très ancien manuscrit de la bibliothèque du Moncle.
Note aux techniciens d’Invostex & Cie : Il y a là une erreur de conception qu’il convient de corriger à l’avenir.
Note aux techniciens d’Invostex & Cie : Le central électronique régissant le système de surveillance n’aurait pas dû être couplé au guidage automatique des chariots mais régi par un central indépendant, conformément au cahier des charges, car la défaillance de l’un a entraîné chez l’autre d’irréversibles dommages. Les restrictions économiques ne doivent en aucun cas s’appliquer à des systèmes aussi complexes.
Note aux techniciens d’Invostex & Cie : Il devient urgent de réfléchir à un autre moyen de stabiliser la vitesse du vaiseau. Outre le fait qu’il crée un décalage temporel important entre le point de départ et le point d’arrivée, le voleur de temps requiert une connaissance plus approfondie des mécanismes du couple vitesse-temps.