— Bien sûr, Siever », répondit Eugenia Insigna. Elle avait l’air inquiète. « Pourtant, ces trois journées n’ont pas été faciles à vivre. Je sens que chaque heure passée ici aggrave le danger pour Marlène.
— Je n’ai pas du tout peur d’Erythro, oncle Siever, assura la jeune fille.
— Et je ne pense pas que Pitt puisse faire grand-chose contre nous sur Rotor, poursuivit Insigna. Il le sait bien ; sinon il ne nous aurait pas envoyées ici.
— Je vais essayer de jouer le courtier honnête et de vous satisfaire l’une et l’autre. J’aimerais vous proposer de faire quelques expériences, en nous entourant de toutes les précautions qui conviennent.
— Quel genre d’expériences ?
— Pour commencer, je suggérerais une scanographie cérébrale. »
Marlène fronça légèrement les sourcils. « J’ai déjà eu des scanographies. Tout le monde en passe. On ne vous laisse pas entrer à l’école sans une scanographie. Et puis, on subit un examen médical complet …
— Je sais, l’interrompit gentiment Genarr. Je n’ai pas complètement gaspillé ces trois derniers jours. J’ai ici (sa main vint effleurer une pile de listings posée sur son bureau) le traitement informatique de toutes les scanographies cérébrales que tu as subies.
— Mais tu ne dis pas tout, oncle Siever, répliqua calmement la jeune fille.
— Ah, s’exclama Insigna d’un air triomphant. Que nous cache-t-il, Marlène ?
— Il est un peu inquiet à mon sujet. Il n’est pas tout à fait sûr que je sois en sécurité ici. Il est hésitant.
— Comment peux-tu dire cela, Marlène ? »
Marlène reprit, brusquement éclairée : « Je pense que c’est pour cela que tu as attendu trois jours, oncle Siever. Tu t’es raisonné jusqu’à ce que tu sois sûr que je ne pourrais pas voir ton incertitude. Mais cela n’a pas marché. Je la vois toujours.
— Si cela se voit, Marlène, c’est parce que je t’accorde une si grande valeur que le plus petit risque m’inquiète.
— Alors, qu’est-ce que tu crois que j’éprouve, moi qui suis sa mère ? Et, dans ton incertitude, tu t’es procuré des scanographies, violant ainsi le secret médical du dossier de Marlène.
— Il fallait que je sache. Mais c’est insuffisant.
— Insuffisant, en quoi ?
— Dans les premiers temps du Dôme, quand la Peste ne cessait de frapper, nous nous sommes efforcés d’élaborer un scanner cérébral plus détaillé et un programme d’ordinateur plus efficace pour en interpréter les données. Ils n’ont jamais été utilisés sur Rotor. Dans son obsession de cacher le fléau, Pitt n’a pas voulu les divulguer. Cela aurait pu provoquer des questions et des rumeurs inopportunes. De ce fait, Marlène, tu n’as jamais eu de scanographie cérébrale convenable et je voudrais que tu en fasses une avec notre appareil. »
Marlène recula « Non. »
Une lueur d’espoir éclaira le visage d’Insigna. « Pourquoi non, Marlène ?
— Parce que, quand oncle Siever a dit cela, il est devenu encore plus incertain.
— Non, ce n’est pas … » Genarr se tut, leva les bras et les laissa retomber en un geste d’impuissance. « Pourquoi me mettre martel en tête ? Marlène, ma chérie, nous avons besoin d’une scanographie cérébrale aussi détaillée que possible, comme modèle de ta normalité mentale. Si tu t’exposes ensuite à Erythro et qu’il en résulte la plus légère altération cérébrale, on pourra la détecter par une scanographie, même si personne ne peut s’en apercevoir en te regardant ou en te parlant. Mais dès que je mentionne une scanographie cérébrale, je pense à la possibilité de découvrir un changement mental indétectable par d’autres moyens … et cette idée fait ressortir mon inquiétude. C’est cela que tu perçois. Allons, Marlène, combien d’incertitude tu détectes ? Sois quantitative.
— Il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a. L’ennui, c’est que je peux seulement dire que tu n’es pas sûr. Je ne peux pas dire pourquoi. Peut-être que ce scanner cérébral spécial est dangereux.
— En quoi le serait-il ? On s’en est servi pour … Marlène, tu sais qu’Erythro ne peut pas te faire de mal. Ne pourrais-tu pas savoir que ce scanner ne te fera pas de mal ?
— Non, je ne peux pas.
— Sais-tu ce qui peut te mettre en danger ? »
Une pause et Marlène dit, à contrecœur : « Non.
— Mais comment peux-tu être sûre pour Erythro et pas pour le scanner ?
— Je l’ignore. Je sais seulement qu’Erythro ne me fera pas de mal, mais je ne sais pas si ce scanner est dangereux ou non. Ou le sera. »
Un sourire éclaira le visage de Genarr. Il n’était pas nécessaire d’avoir des facultés inhabituelles pour comprendre qu’il était énormément soulagé.
« Pourquoi est-ce que cela te rend heureux, oncle Siever ?
— Parce que si tu avais fabriqué tes intuitions de toutes pièces pour te rendre importante, ou par romantisme, ou par une sorte d’entêtement aveugle … tu les appliquerais à tout. Mais ce n’est pas le cas. Tu sais certaines choses et tu en ignores d’autres. Je n’en suis que plus enclin à te croire quand tu dis être sûre qu’Erythro ne te fera pas de mal, et je n’ai plus du tout peur que la scanographie cérébrale révèle quelque chose d’inquiétant. »
Marlène se tourna vers sa mère. « C’est vrai, maman. Oncle Siever se sent beaucoup mieux et moi aussi. C’est tellement évident. Tu ne le vois pas ?
— Peu importe ce que je vois, dit Insigna. Moi, je ne me sens pas mieux.
— Oh, maman », murmura Marlène. Puis plus fort, à Genarr : « J’accepte de subir une scanographie. »
« Ce n’est pas étonnant », murmura Siever Genarr.
Il étudiait les dessins complexes, presque floraux, de l’infographie qui apparaissaient et disparaissaient lentement de l’écran, en fausses couleurs. Eugenia Insigna, assise à côté de lui, les regardait avec de grands yeux sans rien comprendre.
« Qu’est-ce qui n’est pas étonnant, Siever ?
— Je ne peux pas le dire comme il faudrait parce que je ne connais pas leur langage. Et si Ranay d’Aubisson, qui est notre maître à penser en ce domaine, nous l’expliquait, ni toi ni moi ne la comprendrions. Cependant, elle m’a fait remarquer ça …
— On dirait une coquille d’escargot.
— La couleur la fait ressortir. C’est une mesure de complexité plutôt que la trace directe d’une forme physique, selon les termes de Ranay. Cette disposition est atypique. Généralement, on ne la trouve pas telle quelle dans le cerveau. »
Les lèvres d’Insigna tremblaient. « Tu veux dire qu’elle est déjà malade ?
— Non, bien sûr que non. Je dis atypique, pas anormale. Je n’ai sûrement pas besoin d’expliquer la différence à un observateur scientifique expérimenté. Tu es bien obligée de reconnaître que Marlène est différente. En un sens, je suis content que la coquille d’escargot soit là. Si son cerveau était totalement typique, nous nous demanderions d’où peut bien venir son exceptionnelle faculté de perception. Fait-elle habilement semblant ou sommes-nous fous, voilà la question qu’on se poserait.
— Mais comment sais-tu que ce n’est pas dû à … à …
— A la maladie ? Ce n’est pas possible. Nous avons rassemblé toutes ses scanographies cérébrales depuis la petite enfance. Cette atypie y est toujours.
— On ne m’en a jamais parlé.
— Bien sûr que non. Les anciennes scanographies étaient joliment rudimentaires et cela ne sautait pas aux yeux. Mais, une fois qu’on a eu celle-ci et qu’on a pu voir les détails clairement, on a repris les anciennes et on l’a fait ressortir. C’est Ranay qui a fait cela. Alors, tu vois. Le cerveau de Marlène a été enregistré dans toute sa complexité. Si elle était touchée, même légèrement, ce serait visible sur l’écran.
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