Robert Silverberg - Ciel brûlant de minuit

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XXIVe siècle. Effet de serre. Plus de couche d'ozone. La Terre a basculé dans les bouleversements climatiques, et le ciel brûlant de minuit ne laisse jamais filtrer la moindre fraîcheur.Tandis que Paul Carpenter remorque un iceberg monstrueux afin d'alimenter Los Angeles en eau potable, Nick Rhodes, biologiste, cherche à adapter l'humanité à une atmosphère pauvre en oxygène, pour le compte d'un conglomérat japonais. Isabelle cherche l'amour, et Jolanda le dépassement de l'art.Ils sont tous pris au piège de ce monde dégradé, de leurs vies bancales et de leurs amours furtives, aussi déboussolés que la Terre brûlante qui les porte.Et tous, ils cherchent la sortie.Dans les étoiles…
Robert Silverberg, consacré par quatre prix Hugo et cinq prix Nebula, dresse ici le tableau d'un avenir plausible, terrifiant et fascinant.

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Résultat : la saleté, la pollution, la chaleur, les poisons dans l’atmosphère, les métaux dans l’eau, les trous dans la couche d’ozone, le monde devenu un éden dévasté…

Et merde ! Quel merveilleux accomplissement ! Une seule espèce de singe évolué avait saccagé toute une planète !

Pendant qu’ils attendaient la voiture au bout de la jetée du restaurant, Carpenter s’approcha de Rhodes.

— Je peux conduire, Nick, fit-il d’une voix douce, si tu ne t’en sens pas capable.

— Ça ira, répondit Rhodes qui n’avait pas l’air très solide sur ses jambes. Je laisserai la voiture se débrouiller seule et tout se passera bien.

— Comme tu voudras. Je suppose que tu pourras me déposer au Marriott après avoir reconduit Enron à son hôtel.

— Et Jolanda ?

— Quoi, Jolanda ? Elle habite à l’est de la baie, non ?

— Tu pourrais la laisser rentrer seule demain matin. Je suis sûr qu’elle n’y verrait pas d’inconvénient.

— Je n’ai absolument rien arrangé avec elle, Nick ! C’est à peine si nous avons échangé quelques mots de la soirée.

— Tu n’as pas envie d’elle ? C’est ce qu’elle attend, tu sais. Elle a été invitée pour toi.

— Cela signifie-t-il automatiquement que… ?

— Avec elle, oui. Elle serait très vexée. Bien sûr, je pourrais toujours lui expliquer que tu as fait vœu d’homosexualité depuis notre dernière rencontre ou inventer quelque chose et la reconduire ce soir à Berkeley, mais tu commettrais une erreur. C’est un coup génial. Qu’est-ce qui ne va pas, Paul ? Tu es fatigué ?

— Non. C’est juste… Et puis, tant pis ! Ne t’inquiète pas, je me conduirai en galant homme ! Tiens, voilà ta voiture !

Carpenter se retourna pour voir ce que faisait Jolanda. Elle se tenait au bord de l’eau, avec Enron, le regard fixé sur la traînée des lumières du pont traversant la baie en direction de San Francisco. Ils étaient si près l’un de l’autre qu’il vint aussitôt à l’esprit de Carpenter qu’il allait peut-être pouvoir se soustraire à ses obligations. Elle dépassait d’une demi-tête l’Israélien trapu et puissant, mais il lui chuchotait à l’oreille des choses intimes, d’un air pressant, et tout dans l’attitude de Jolanda indiquait qu’elle n’était pas insensible à ses paroles. Puis elle détourna son visage et lança un regard interrogateur à Carpenter qui comprit que les projets d’Enron ne concernaient pas la fin de la soirée.

Conformément au rituel de circonstance, Carpenter demanda donc à Jolanda si elle aimerait passer prendre un dernier verre à son hôtel ; elle acquiesça d’un signe imperceptible, avec un battement de paupières, et l’affaire fut réglée. Carpenter se sentit plutôt bête. Vaguement obscène aussi. Mais les dés étaient jetés : après tout, il aurait bien le temps de dormir seul quand il chercherait des icebergs en plein Pacifique.

Rhodes mit le pilotage automatique et le trajet jusqu’à San Francisco s’effectua sans encombre. Jolanda se blottit confortablement contre Carpenter, comme s’ils s’étaient préparés au fil des heures à cet accomplissement. Et si c’était vrai ? se dit Carpenter. Peut-être n’avait-il simplement rien remarqué ?

Quand la voiture s’arrêta devant l’hôtel d’Enron, une vénérable bâtisse néogothique de Union Square, l’Israélien prit la main de Jolanda avant de descendre, la garda un long moment dans la sienne et la baisa avec ostentation.

— J’ai passé une merveilleuse soirée, déclara-t-il. J’aurais le plus grand plaisir à vous revoir.

Il remercia Rhodes et même Isabelle, salua Carpenter d’une inclination de tête et s’éloigna d’un bond.

— Un homme remarquable, murmura Jolanda. Pas vraiment aimable, mais tout à fait remarquable. Et si dynamique. Une telle maîtrise des problèmes planétaires. Je trouve que les Israéliens sont des gens fascinants, pas vous, Paul ?

— Prochain arrêt : Marriott Hilton, annonça l’ordinateur de la voiture.

À l’avant, Rhodes semblait s’être endormi, la tête sur l’épaule d’Isabelle. Carpenter n’avait absolument pas sommeil, mais ses yeux étaient irrités et douloureux, à cause de l’air, des tensions de la soirée, de l’heure avancée. Il se doutait qu’il ne pourrait pas fermer l’œil de la nuit. Eh bien, ce ne serait pas la première, probablement pas la dernière non plus.

— Si nous laissions tomber le dernier verre ? fit Jolanda quand ils furent dans le hall du Marriott. Si nous montions directement ?

Arrivés dans la chambre de Carpenter, ils commencèrent à se déshabiller.

— Tu connais Nick Rhodes depuis longtemps ? demanda-t-elle.

— Une trentaine d’années, pas plus.

— Vous êtes des amis d’enfance ?

— Oui, à Los Angeles.

— Sais-tu qu’il t’envie terriblement ?

Elle lança ses sous-vêtements par terre, s’étira, inspira profondément, savourant sa nudité. Seins lourds, cuisses fortes, des fossettes partout, des flots de cheveux bruns bouclés : le type latin d’une sensualité torride. Voluptueuse. Attirante.

— Il m’envie ?

— Absolument. Il m’a longuement parlé de toi et m’a dit à quel point il admire ton indépendance intellectuelle, le fait que tu ne te sois pas laissé ligoter par toutes sortes d’entraves morales.

— Tu es en train de dire qu’il me trouve amoral ? demanda Carpenter.

— Il trouve que tu as l’esprit souple, ce n’est pas la même chose. Il admire ta facilité à t’adapter rapidement à des situations délicates, des problèmes moraux complexes. Il aimerait pouvoir le faire aussi aisément que toi au lieu de s’empêtrer constamment dans les difficultés. Toi, tu passes au travers de tout cela.

— Jamais je ne m’étais considéré comme un esprit aussi libre, fit Carpenter.

Il s’approcha d’elle et laissa courir sa main le long de sa colonne vertébrale. Elle avait une peau étonnamment douce. Il trouva cela très agréable. De plus en plus de gens se faisaient restructurer la peau pour lutter contre les craquelures morbides dues à la protection insuffisante de la couche d’ozone. En général, cela ne servait pas à grand-chose : le seul résultat était de leur donner l’aspect et la sensation d’un sac en lézard. Mais, au toucher, la peau de Jolanda Bermudez était celle d’une vraie femelle de l’espèce humaine. Carpenter éprouvait beaucoup de plaisir à la caresser. Et à sentir sous ses doigts l’élasticité de la chair.

— Nick est vraiment un grand homme, reprit-elle. Si intelligent, si réfléchi. Il se consacre totalement à sa tâche qui est de trouver une solution aux problèmes dramatiques qui menacent le monde ! Mais Isabelle lui en fait voir de toutes les couleurs.

— Je pense qu’il préfère les femmes qui lui mènent la vie dure.

— J’essaie de faire en sorte qu’elle ne le remarque pas, poursuivit Jolanda sans tenir compte de l’interruption, mais il m’arrive de ne pas être d’accord avec Isabelle quand elle condamne le programme de recherches de Nick. Même si je le reconnais à contrecœur, il n’y a peut-être pas d’autre issue. Même si je reste persuadée que l’émigration vers les satellites L-5 est sans doute notre meilleur choix, j’espère au fond de moi-même et je prie pour qu’il soit possible à notre espèce de rester sur la Terre. Pas toi ? La solution de Nick sera peut-être la seule voie à suivre, à supposer que nous ne trouvions pas le moyen de réparer les terribles dommages écologiques que nous avons causés. Les travaux de Nick…

Elle était en pleine forme, débordante d’énergie verbale. Carpenter se prit à redouter qu’elle ne se lance dans un nouveau laïus sur la nécessité de protéger la planète. C’est l’hyperdex, se dit-il : elle doit rester dans un état de surexcitation permanente. Il comprit qu’il allait devoir la baiser en légitime défense, pour se protéger de cette logorrhée. Avec une douceur insistante, il l’attira sur le lit et se nicha contre le corps à la peau douce et crémeuse, laissant courir ses mains sur les flancs et la poitrine, lui fermant la bouche d’un baiser. Cela se révéla un moyen fort efficace de changer de sujet.

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